La carte blanche des éditions Calype propose au public, venu très nombreux, une présentation de l’ouvrage 1709 – L’année où la révolution n’a pas éclaté. Cédric Michon, historien et directeur de la collection, interroge son auteur Gauthier Aubert, professeur d’histoire moderne à l’Université Rennes II, spécialiste du XVIIIe siècle et notamment des révoltes populaires. Il est l’auteur de Révoltes et répressions dans la France moderne (Armand Colin, 2015) et a codirigé avec Georges Provost Rennes 1720. L’incendie (PUR, 2020) ainsi que le numéro 37 de la revue Parlement[s] La construction de l’État monarchique en France (1380-1715).

Cédric Michon rappelle d’abord toute l’importance des travaux des historiens modernistes que sont Pierre Goubert et Alain Croix. Le nouveau livre de Gauthier Aubert a pour objectif de répondre à une question : pourquoi et comment la monarchie est-elle parvenue à traverser une crise aussi exceptionnelle que celle de l’hiver 1709 et des saisons qui ont suivi ? L’ouvrage s’organise en quatre chapitres, un par saison en commençant par l’hiver. Par sa chronologie détaillée, ce plan doit permettre de saisir toute la complexité et l’évolution de la situation économique, sociale ou politique.

La genèse du livre

Gauthier Aubert a fréquemment abordé ce sujet du « Grand hiver » avec ses étudiants lors de travaux dirigés à l’université. 1709 est donc une année importante trop peu étudiée pour ce qu’elle est vraiment dans les travaux et publications scientifiques … d’où l’idée de cet ouvrage ! En historien généraliste, Gauthier Aubert s’est appuyé sur des ouvrages d’historiens plus « spécialisés » sur les questions qui se recoupent ici (ruralité, paysannerie, émeutes) comme Jean Nicolas (dont le fichier se trouve à l’université Rennes II), Marcel Lachivère ou François Le Brun. La correspondance de Madame de Maintenon et les écrits de Saint-Simon ont été aussi une base essentielle.

Un contexte difficile et un hiver qui dure

Pour comprendre l’hiver 1709, le contexte est précisé : la France doit faire face à de nombreuses difficultés intérieures comme extérieures : le siège de Toulon en 1707, la perte de Lille en 1708, les finances qui sont au plus bas, les révoltes frumentaires toujours plus nombreuses ou encore le choix contesté du roi de disperser Port-Royal.

L’ouvrage ne s’intéresse pas uniquement à la vague de froid de janvier 1709 mais bien à toute l’année du « Grand hiver ». Bien sûr, celui-ci a marqué les contemporains car il a été une véritable catastrophe économique et sociale du fait de :

  • son intensité : L’hiver 1709 est marqué par une chute importante des températures. A Marseille, le port est pris dans les glaces. Il en est de même pour la Garonne, Paris, le Rhin (ce qui provoque la peur d’une invasion). Sur le plateau de Langres, on atteint les – 40° C. Les arbres et les animaux meurent. Les plus pauvres aussi. De manière plus anecdotique, à Versailles l’alcool gèle !
  • sa durée exceptionnelle : Deux mois, jusqu’en mars !
  • la succession des périodes de gel et de dégel qui détruit l’ensemble des récoltes.

Le bilan humain est terrible, plus de 600 000 morts, mais il est à « relativiser » si l’on s’intéresse aux crises liées aux hivers précédents (ex : 1607-1608, 1693-1694).

Que se passe-t-il au printemps ?

C’est la saison de la prise de conscience. La population constatent avec amertume la perte des récoltes des céréales d’hiver. Gauthier Aubert souligne la capacité de réaction des paysans. Ceux-ci n’ont pas attendu, ils ont semé de l’orge (100 jours à pousser). Nicolas Demaret, contrôleur des finances et neveu de Colbert, même s’il a pu nier l’évènement au départ, exige désormais que l’on sème. Malgré cela, la peur de la soudure se répand car les réserves s’amenuisent. L’État prend des mesures afin de permettre le transport des grains et le sécuriser. Les paysans pensent que des réserves existent et qu’il faut forcer les spéculateurs à livrer leurs grains. Même les gens qui n’ont pas faim, ont le sentiment d’avoir faim ! Des révoltes frumentaires contre les « spéculateurs », les convois et les envoyés royaux se multiplient. L’État cherche à alimenter les marchés mais en même temps il soustrait aux marchés une partie des grains (pour l’armée). L’inflation et le chômage frappent les campagnes de plein fouet et poussent les paysans à l’exode rural pour trouver du travail et à manger.

La personne du roi est de plus en plus critiquée. Les contemporains ont souvent fait une lecture religieuse de l’évènement. Dieu serait en colère car les hommes ont péché … mais qui a péché, le roi ou le peuple ?

Et Paris ?

Dans la capitale, le catalogue des revendications s’allonge, on passe de la faim à la remise en cause des impôts et la population menace les financiers. Par exemple, les bateliers de la Seine se révoltent ce qui provoque 8 morts. Un air de 1789 plane sur la capitale ! Des prisonniers sont faits. Une question se pose alors : faut-il les pendre ? Le curé de Saint Sulpice joue le médiateur, on les libère.

A cela s’ajoutent des bruits de régicide contre « Louis le tyran ». On veut tuer ce « chien de roi », on veut que les femmes marchent sur Versailles … comme une annonce des journées révolutionnaires d’octobre 1789 ! Les pamphlets circulent comme ce Pater Noster : « Notre Père qui est à Versailles, votre nom n’est plus glorifié, votre royaume n’est plus si grand, votre volonté n’est plus faite sur la terre et sur l’onde, donnez nous notre pain qui nous manque de tous côtés, pardonnez à nos ennemis qui nous ont battus et non à nos généraux qui les ont laissé faire, ne succombez pas à toutes les tentations de la Maintenon, et délivrez nous du Chamillard (ministre de la guerre et jadis des finances) ».

Le lent retour à la normale

Au mois de juin 1709, Louis XIV adresse un appel à son peuple afin de l’exhorter à un dernier effort dans le but d’obtenir une paix honorable. Les conditions proposées par les coalisés sont inacceptables pour le souverain. Les combats reprennent dans le cadre de la guerre de succession d’Espagne avec la bataille de Malplaquet le 11 septembre 1709, au sud de Mons dans les Pays-Bas espagnols. Lors de celle-ci, l’armée française réussit à préserver le royaume d’une invasion.

A l’automne, le nombre d’émeutes diminue. Les apports des récoltes venues de l’étranger améliorent tout doucement la situation mais à des rythmes très différents selon les provinces.

 

Pour conclure, Gauthier Aubert annonce avoir ouvert une parenthèse uchronique en fin d’ouvrage en proposant deux trajectoires différentes. Et si Malplaquet avait été une véritable déroute militaire ? Et si les émeutes frumentaires avaient dégénéré ?

 

La conférence de Gauthier Aubert nous a proposé de comprendre la situation de la France absolutiste au début du XVIIIe siècle. Malgré le « Grand hiver » auxquelles s’ajoutent d’autres difficultés, intérieures comme extérieures, l’édifice royal ne s’est pas fissuré car, pour l’historien, « de la maréchaussée de Roanne jusqu’à l’élite sociale de la Cour », tout le monde a collaboré … ce sont les « dividendes de l’absolutisme » qui ont mieux fonctionné en 1709 qu’en 1789 !

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX

Présentation de l’ouvrage en vidéo :