Quand le maire apparenté Front National de Béziers flirte avec l’histoire en débaptisant une rue du 19 mars 62, date du début de l’application des accords d’Évian, on éprouve certaine lassitude devant la « nostalgérie » dont les cercles algérianistes qui se sont accaparés la mémoire d’un conflit peuvent faire preuve dans nos régions méridionales.

On pensait avoir touché le fond, c’était une erreur.

En assumant le fichage à partir des prénoms des élèves d’origine étrangère, c’est-à-dire très clairement issus de l’immigration maghrébine, et a priori considérés comme « musulmans », l’actuel maire de Béziers veut passer à la vitesse supérieure.

Cela interpelle les professeurs d’histoire.

La mise en place d’une progression dans le programme d’histoire de classe de première des lycées me conduit, au moment où cette annonce est largement reprise, et bien entendu commentée, surtout par ceux qui sont éloignés du terrain que représente l’enseignement du second degré, à traiter de la question : « les combats de la résistance et la Refondation républicaine ». Dans cette partie du programme les instructions précisent qu’il convient d’évoquer « Les combats de la Résistance (contre l’occupant nazi et le régime de Vichy) et la refondation républicaine. (Bulletin officiel spécial n°9 du 30 septembre 2010) les aménagements intervenus en 2012 ne traitent pas de cette question. Aménagements apportés au programme d’enseignement commun d’histoire-géographie NOR : MENE1238598A arrêté du 5-11-2012 – J.O. du 15-11-2012 MEN – DGESCO A3-1

Dans cette première partie de la question, on insiste évidemment sur la remise en cause par le gouvernement de Vichy des principes de la république. On fait référence au statut des juifs d’octobre 1940. Ce statut des juifs qui a été mis en place sans que l’on ait jamais pu identifier ni prouver la moindre pression allemande en sa faveur, a également permis le fichage, en partie sur la base de déclarations volontaires, mais aussi à la faveur d’arrestations des juifs, par la police française et les troupes d’occupation.

L’Express : Les fichiers de la honte. Par Conan Eric, publié le 04/07/1996

Il est évidemment difficile, il me sera difficile dans les semaines qui viennent, de traiter de cette question sans être interpellé à propos de cette annonce, de cette révélation, ou de cette provocation, du premier magistrat de la commune dans laquelle se trouve le lycée Henri IV de Béziers. (C’est ce lycée Henri IV qui a compté Jean Moulin parmi ses anciens élèves. Il y a des rapprochements qui sont parfois difficiles à faire !)

Au cours de cette année 2015, il reste encore quelque semaines pour terminer cette année scolaire, les professeurs d’histoire ont été largement interpellés. Sur la laïcité, comme enseignants l’éducation civique, sur l’enseignement de l’histoire des religions, et aujourd’hui, à propos des programmes scolaires du collège, sur le caractère obligatoire et facultatif de certaines composantes du programme intégrant l’islam, l’humanisme, la philosophie des lumières.

Il n’est pas question ici de se livrer à cet exercice d’amalgame auxquels les pseudos experts, davantage familiers des plateaux de télévisions et des tribunes libres des grands titres, que les salles de classe nous habituent.

La question qui est posée ici, elle interpelle d’abord le citoyen, le professeur d’histoire et de géographie ensuite.

  • Au nom de quoi, sur la base d’un prénom, dois je obligatoirement mettre dans une catégorie spécifique, religieuse en l’occurrence, Sarah et Leïla, Khaled et Idriss, Pierre ou Jean- Édouard, Kevin ou Brian ?

En cette année 2015, mais surtout bien avant, car notre temps de passeurs de savoirs, et en partie d’éducateurs, n’est pas celui des irruptions médiatiques, nous avons parlé de laïcité, de tolérance, d’esprit des lumières et de l’humanisme. Et Mohamed, Karim, Myriam, Charlotte, Margot et Mélissa y trouvaient sans doute leur compte.Celui d’un message de tolérance, de respect des personnes et de refus des atteintes aux valeurs communes de la République.

  • Que faut-il que je leur dise aujourd’hui ? Que la loi de la République s’est arrêtée aux limites de la ville de Béziers ?, limites que nous étudions d’ailleurs dans les espaces de proximité, car je n’oublie pas la géographie dans les programmes de première.
  • Que Khaled est musulman et Kevin presbytérien ? David juif et Émilie agnostique ?

Je garderai cet exemple, ainsi que les réactions qui suivront, pour l’année prochaine, lorsque dans le programme de terminale, Lucie et Isabella, Catarina et Maxime, Alexandre et Thomas, traiteront en cours d’histoire « les mémoires de la seconde guerre mondiale », ou au choix, « les mémoires de la guerre d’Algérie ». On aura encore des choses à dire…

À propos de mémoire, usurpée ou instrumentalisée, j’ai envie de dire que la ville de Béziers, celle où j’enseigne depuis plus de 20 ans est devenue, depuis 2014, un laboratoire infernal. Il serait bon que « les savants fous » qui se sont installés à quelques dizaines de mètres de ma salle de classe, et de quelques autres, arrêtent de fabriquer des monstres mémoriels. Il en va de la paix civile, à l’intérieur de l’enceinte scolaire, comme dans la Cité.

Bruno Modica
Professeur d’histoire
Président de l’association des Clionautes
Lycée Henri IV de Béziers