Quatre intervenants pour cette table ronde autour de quatre personnages : l’explorateur (Isabelle DION ), le bagnard (Gilles POIZAT), le migrant (Gérard CRESPO) et le savant (Fabien BORDELÈS ).

Pourquoi et comment partent-ils ? Quel retour ?

Les esclaves ont volontairement été exclus, ils demanderaient un exposé à eux seuls.

Une évocation des sources des ANOM pour chaque sujet fait l’objet d’une attention particulière.

Les migrants

Gérard CRESPO a choisi de parler des migrations vers l’Algérie. Les sources sont nombreuses : attribution de concessions, documents relatifs à l’accueil des migrants étrangers (rapports de police, capitaineries des ports, consulats d’Italie, d’Allemagne, de Malte, d’Espagne et de Suisse), sources judiciaires pour les condamnés déportés.
Ces sources permettent de compter, localiser, suivre les déplacements à la colonie.

Pourquoi part-on ?

La première période 1830-1889 (date de la loi sur la naturalisation des étrangers) correspond à l’arrivée de 430 000 personnes environ, dont environ une moitié de Français.
De 1830 à 1840 il s’agit surtout des hommes à la recherche de l’aventure et quelques grands aristocrates, ceux qu’on appelle les « gants jaunes », essentiellement des légitimistes qui s’installent sur de grandes propriétés et qui recrutent une main-d’œuvre espagnole et italienne, migrants de la misère.
De 1840 à 1848 : Les départs sont plus organisés avec des concessions pour exploiter la terre de 2 à 20 ha : de petits ruraux sans grand avenir en métropole qui peuvent acquérir plus facilement une terre grâce à un petit pécule, ce n’est donc pas une migration de la misère contrairement à la migration italienne ou espagnole.

1848 marque une rupture au moment de la grave épidémie de choléra avec des retours nombreux dans un sens. Mais après les émeutes de la même année 459 personnes sont condamnés à la déportation en Algérie dans les bagnes militaires aux quels il faut ajouiter environ 9 000 personnes après le coup d’État de Napoléon III. La plupart rentre en métropole à l’issue de leur peine (de 5 à 10 ans).
D’autre part l’État propose une concession à des ouvriers volontaires, 13 5OO dossiers furent retenus sur plus de 100 000 volontaires pour une installation dans des villages de colonisation.

Après 1860 le développement de la politique de mise en valeur voit la mise en place de réseaux de recrutement des migrants. Depuis l’Espagne et l’Italie (Naples, Lombardie) ce sont des départs plus politiques avec des circuits spécifiques. 90% des migrations politiques s’accompagnent de retour. On retrouve ces fuites politiques après 1936 pour l’Espagne (guerre civile) et 1940 pour l’Italie ( une migration aussi bien pro qu’anti Mussolini.

Comment partir ?

Le voyage se fait depuis Toulon, il est donc plus facile pour les métropolitains que pour les étrangers. Le migrant est souvent déçu par ce qu’il trouve : une terre mais à défricher.
Les Allemands, les Suisses sont pris en charge par des réseaux quand les Italiens et les Espagnols vivent des situations plus précaires (absence de ligne maritime régulière malgré quelques tentatives d’implantation du fait d’une clientèle non solvable, trop pauvre au XIXe s., leur voyage ressemble assez à ce qui se passe aujourd’hui en Méditerranée (capitaines de port corrompus qui laissent partir des bateaux inappropriés, abandon de leur cargaison humaine sur les plages).

La question du retour est brièvement évoquée, ils furent minoritaires sauf en 1956/1962 où 1,4 millions de « pieds-noirs » rentrent dans un pays qu’ils ne connaissent pas.

Les explorateurs

Pour les étudier Isabelle DION dispose des séries géographiques et des séries sur les missions mais aussi des archives privées (Savorgnan de Brazza, Auguste Pavie …)

Un explorateur est celui qui va vers un espace lointain peu ou pas connu. Il peut prendre des formes différentes le savant, le marchand, l’officier de marine, le missionnaire, solitaire comme Caillé mais cette situation est rarissime. Dans la seconde moitié du XIXe c’est aussi la colonne militaire. La définition est donc complexe, la représentation dans le grand public est mise en valeur dans les journaux de l’exploit tel Brazza ou l’entrée de Caillé dans Tombouctou.

Jusqu’à 1923 on dénombre 675 explorateurs en Afrique. Combien l’histoire en a-t-elle retenu ?

Les motivations :

Durant le premier empire colonial (Nouvelle France, Antilles, Guyane, Îles et Sénégal) l’exploration porte sur de nouvelles routes, des richesses et un esprit missionnaire.
Au XIXe on assiste à un vaste mouvement d’exploration (Mungo Park, les Anglais), les Français n’ont pas le premier rôle. D’autre part les motivations sont différentes selon le pays de destination. En Asie c’est la recherche d’une route vers la Chine (Doudart de Lagrée), en Afrique c’est une concurrence entre Européens.
Enfin après 1885 on note l’importance des colonnes militaires et l’arrivée de l’idée de mission civilisatrice.

Qui part ?

Dans l’ensemble ils sont jeunes entre 23 et 30 ans mais les militaires sont plus âgés Flatters a 48 ans, Marchand 33 ans.
Beaucoup parmi eux sont marins puis fonctionnaires comme Auguste Pavie en Indochine. L’explorateur est l’homme d’un pays, d’une région à explorer.

Comment partir ?

Il existe des « manuels » : paraît en 1867 le livre de D’Abbadie, Instructions pour le voyage et l’exploration, relayé par la société de géographie en 1875. En1920 Un manuel de l’explorateur plus humoristique.
Ces ouvrages renseignent le voyageur s’il convient de partir seul ou non, quels vêtements choisir, faut-il apprendre la langue ou avoir recours à un interprète local ? Que manger et que boire ? Avec la question du vin qui constitue parfois une part importante des bagages.

Le sort des explorateurs est souvent funeste : mort en expédition (accident, maladie ou tué par les populations ou les autorités locales). C’est au retour seulement que l’explorateur devient célèbre.

Les bagnards

Changement de perspective avec Gilles POIZAT qui nous parle des bagnards dont il donne une définition juridique : le bagnard a été condamné aux travaux forcés. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle il subit sa peine à Toulon ou à Brest, ensuite il part pour les colonies nouvellement découvertes ou à valoriser : Guyane ou Nouvelle-Calédonie. Puisque les bagnards sont gérés par l’administration des colonies, les archives sont aux ANOM.

On distingue 3 catégories de bagnards :

– Les transportés, condamnés aux travaux forcés jusqu’en 1940
– Les déportés politiques de la Commune ou de la Révolte de Kabylie après 1870
– Les relégués, une création de la 3èmè République (1885) qui sont de petits délinquants multirécidivistes (plus de 3 condamnations en 10 ans même si ce sont de très petites peines, des vols ridicules) que l’intervenant met en parallèle avec les lois de liberté (presse, réunion)

Les bagnards furent environ 100 000 en un siècle, les derniers ne sont rentrés qu’en 1953 aux quels il faut ajouter 2000 femmes envoyées pour faire des lieux de relégation une colonie de peuplement.
Pour ce tableau on utilise les archives administratives du bagne qui donne certes le point de vue de l’administration mais aussi l’intégralité des dossiers de chaque bagnard (archives familiales, correspondances non parvenues au bagnard mort ou en fuite ou non expédiées aux familles par la censure).

Si le terme de motivation ne convient pas on peut se poser la question des motifs de l’administration. Le bagne est une utopie : on envoie le délinquant sur une terre vierge pour une expérience sociale, une réhabilitation tout en débarrassant la métropole d’indésirables. Cette régénération par le travail fournit aussi une main-d’œuvre pour la mise en valeur d’un territoire.
C’est un échec vu les conditions climatiques, géographiques, sanitaires déplorables surtout en Guyane. La sous-alimentation chronique induit une forte mortalité (25% en 1855/1856)

La médiocrité même de l’administration pénitentiaire conduit à une politique de répression sans réhabilitation. La situation est cependant meilleure en Nouvelle-Calédonie : un territoire moins dur, un début de mise en valeur.

Quelles sont les motivations des fonctionnaires de l’administration ?

Pour les cadres c’est une perspective de carrière. Pour les surveillants, au début le recrutement est de qualité (des sous-officiers, lettrés pour écrire les P.V. d’évasion, de rixes) puis on assiste à une dégradation du recrutement, des engagés qui n’ont pas d’avenir ailleurs (quasiment illettrés, corrompus, brutaux).

Enfin il ne faudrait pas oublier les familles des bagnards qui ont pu venir en Nouvelle-Calédonie où des concessions sont données aux bagnards libérés, phénomène marginal mais réel. D’autre part il ne faut pas oublier le « doublage » pour les peines à temps qui impose au bagnard de rester sur place une fois sa peine achevée pour la même durée. En Guyane on les retrouve clochards d’autant que la ville de Cayenne leur est interdite. Au-delà d’une peine de 8 ans, ils doivent rester sur place jusqu’à la mort.

Quant au retour, 90% ne rentrent jamais. L’évasion marginale donne lieu à une mythologie du bagne et les abus sont décris notamment par Albert Londres.

Les savants

Le savant, le chercheur, le scientifique, présenté par Fabien BORDELÈS n’est pas nécessairement un explorateur.

Du naturaliste voyageur du XVIIIe à l’ingénieur, agronome, hydraulicien, cartographe actuel la figure du savant a évolué.

Leurs motivations :

Collecter des objets, collecter des données et donc des départs très encadrés avec des listes de choses à rapporter, des missions précises sur le commerce ou la diplomatie. De nombreuses missions visent à rentabiliser l’investissement colonial. Après 1945 ces missions entrent dans le cadre de la coopération.

Qui sont-ils?

Beaucoup sont d’anciens militaires, administrateurs scientifiques (naturalistes mais aussi linguistes) comme Hubert Deschamps nommé en 1926 administrateur à Madagascar et auteur d’une thèse intitulée Les Antaisaka. Géographie humaine, histoire et coutumes d’une population malgache

La mortalité parmi eux est forte, encore aujourd’hui, surtout en Guyane et à Madagascar.