Au prieuré Saint-Cosme, les fouilles ont permis d’identifier 457 corps de femmes, d’hommes et d’enfants. Connaissance de l’état sanitaire de la population du prieuré, types de sépultures, régime alimentaire, occupations… Les études racontent la vie du lieu. Non loin, la restauration et le retour dans la collégiale de Loches du tombeau d’Agnès Sorel, ont permis d’approfondir la connaissance de la vie et de la mort d’Agnès, notamment grâce aux analyses réalisées par Philippe Charlier en 2004..
Tout dans la mort dit la vie, à la lumière des recherches scientifiques et archéologiques récentes.

Intervenants

Modérateur :

-Bruno MARMIROLI Directeur de la Mission Val de Loire

Intervenants :

-Matthieu GAULTIER Archéo-anthropologue Conseil départemental d’Indre et Loire – SADIL

-Vincent GUILDAULT Responsable du site du prieuré Saint-Cosme Conseil départemental d’Indre-et-Loire

-Anne EMBS Conservatrice régionale des monuments historiques de la région Centre Val de Loire, Ministère de la Culture

-Philippe CHARLIER Médecin légiste, archéologue, anthropologue

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Le sujet proposé aujourd’hui est à la fois passionnant mais délicat à traiter dans ce cadre des vingt-sixièmes rendez-vous de l’histoire de Blois, puisqu’ une équipe a été réunie pour cette carte blanche qui traite d’un sujet qui interpelle : « ce que les morts disent des vivants ». Selon Bruno MARMIROLI qui assure la modération, il s’agit de redire l’histoire des vivants à l’aune de leur sépulture, entre l’histoire des caveaux des prieurés Saint Cosme et le monument funéraire d’Agnès Sorel, et de distinguer ce que nous apprennent les morts de leur existence.

Pour traiter de ce sujet qui porte à la fois sur un lieu emblématique et deux personnalités historiques, la table ronde réunit des personnalités complémentaires pour l’évoquer, le sujet étant à la fois passionnant et délicat à traiter. La table ronde débute avec un lieu emblématique où, il y a quelques années une fouille et plusieurs campagnes de fouilles ont été menées et ont permis de découvrir un nombre assez conséquent de sépultures.

Le prieuré de Saint Cosme, un espace particulier

Vincent GUILDAULT nous présente le site. Nous nous retrouvons ici sur les bords de Loire en aval de Tours, dans ce prieuré de Saint-Cosme dont on voit ici une photo en cours de fouilles. Nous nous projetons en 2009 – 2010, donc dans un monastère qui a été fondé aux alentours de l’an 1000 sur une île de la Loire, aujourd’hui rattachée à la terre. Ici, sur le document projeté nous ne voyons pas les contours de cette île, mais nous distinguons le centre du monastère qui apparaît sur l’image avec, évidemment, l’église en son centre. Ce monastère accueille des chanoines augustiniens qui suivent la règle de Saint Augustin, et qui proviennent de Saint-Martin de Tours. Ce lieu a été pendant près de huit siècles sous la dépendance de Saint-Martin avec cette particularité d’être conçu sur une île, donc évidemment l’insularité procure aux chanoines qui décident d’y vivre un isolement certain par rapport aux tentations de la ville mais aussi vis-à-vis des épidémies de peste. Le lieu a aussi en prime, une vocation de soins comme nous le verrons plus loin.

 

Le lieu s’est développé en plusieurs phases dont ici Vincent Guildault ne parlera pas. Ici, nous voyons la fondation du prieuré en 1092, avec un établissement roman complet avec en son centre l’église,  puis nous avons sur la partie gauche le logis du prieur qui nous intéressera plus tard pour l’époque de Pierre de Ronsard. Puis nous distinguons le palais du cloître, identifiable au carré vert sur la photo, qui est entouré de bâtiments, le réfectoire des chanoines, et sur le pourtour on va découvrir une salle capitulaire, l’église qui occupe la partie sud et la partie noviciale. IL s’agit donc d’un monastère classique si on excepte sa localisation géographique. Saint Cosme et Saint Damien sont deux frères jumeaux d’origine arabe qui ont vécu au troisième siècle après J.-C. dans une province rebelle correspondant à la Syrie aujourd’hui, et dont des reliques ont été ramenées probablement grâce à Grégoire de Tours, lui-même auteur de nombreuses reliques en Touraine.

Au XVème siècle, le lieu est largement remblayé. Des zones d’inhumation ont été modifiées à cette occasion durant la période qui est aussi une période de construction, comme le montre l’arche gothique visible sur le document projeté, arche qui est un élément d’agrandissement et de réfection de cette église durant ce siècle.

Au XVIème siècle, la venue de Ronsard le consacre comme lieu de création. Le lieu devient à ce moment un monastère dans lequel vient s’installer un grand auteur qui va produire pendant 20 ans, il est donc prieur de 1565 à 1585. Il décide d’y mourir et d’y être enterré. L’église, visible sur les documents projetés montre son tombeau. Au XVIIe siècle il y aura une nouvelle phase de reconstruction dans ce lieu avec des bâtiments qui sont ajoutés. Puis arrive la suppression du lieu en 1742, les religieux le détruisent eux-mêmes. Puis, nous assistons à une situation classique, le lieu est vendu comme bien national sous la Révolution. Il est acquis par un individu de Touraine qui s’en dessaisi lors de la première grande crue de Touraine en 1856 (2m50 d’eau) Puis, à la suite de l’installation de privés jusqu’en 1944, un hameau a été construit. A la fin de la guerre, le lieu subit des bombardements alliés. Une restauration est ensuite entreprise et une ouverture au public est réalisée en 1951. Désormais c’est le Conseil départemental d’Indre et Loire qui est propriétaire du lieu.

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Bruno Marmiroli resitue cet espace :  la Loire est juste à droite à proximité du lieu, une infrastructure routière séquence ce lieu. L’image montre un état de la fouille montrant les 457 sépultures découvertes.

Bref portrait du prieuré

Vincent GUILDAULT explique le but des fouilles qui interviennent en 2009- 2010. Elles avaient pour but premier non pas la connaissance mais de procéder à l’estimation des remblais. En effet, au XVème  siècle, l’homme cherche à se protéger des crues donc le visiteur avait l’impression de marcher sur une sorte de grand remblai avec des bâtiments noyés sans connexions visibles de ces derniers entre eux. Donc le visiteur ne savait pas réellement où il se trouvait.

Cependant, on savait que le prince des poètes était enterré là, on savait qu’il y avait sans doute une communauté qui était inhumée, mais on ignorait quelles étaient les fonctions des bâtiments. Il a donc été nécessaire d’estimer ces remblais. C’est en fouillant ces derniers que l’on a pu découvrir des éléments forts de ce lieu et qui a permis de qualifier les espaces qui ont été ensuite aménagés à partir de 2015. Aujourd’hui, nous n’avons plus cette vision d’un chantier archéologique. Deux nouveaux jardins ont été réaménagés. C’était aussi l’objectif : après la fouille, il s’agissait de réaménager un jardin qui ne soit pas celui des années 80 qui était un jardin de roses en hommage à Ronsard, mais ce jardin n’était pas satisfaisant car d’une part le raccourci était un peu trop facile, et d’autre part il ne disait pas grand-chose de l’histoire du monastère tourangeau. La proposition de jardin qui est faite aujourd’hui est réellement nourrie des découvertes faites lors des fouilles et dans le sillage de ces dernières, les jardins sont construits comme une narration.

La proposition actuelle est composée de 12 jardins différents, où le narratif des lieux s’exprime à travers le végétal.

Les différentes zones funéraires du prieuré

Matthieu GAULTIER détaille dans un second temps les dates avec une vue des fouilles à l’été 2009 : ce prieuré accueille non pas un mais des cimetières, et différentes zones funéraires. Nous voyons au premier plan une zone assez large située entre un bâtiment qui est en fait l’ancienne hôtellerie, l’infirmerie et, à gauche un petit espace. Ici le lieu a été appelé « cimetière nord », car il était situé au nord de l’église datée du XIe siècle qui fut utilisée comme chapelle funéraire par les moines entre le XIIème et le XVIIIe siècles, et qui est connecté à l’église qui est juste derrière. Dans l’église, nous avons également des espaces funéraires. Dans la salle capitulaire nous voyons quelques tombes qui ont été disposées, et, au sud de l’église, même si cela ne se voit pas sur la photo projetée, car cela a été remblayé à ce moment-là, nous avons également un autre espace de cimetière et des tombes dans le cloître.

Typologie des tombes

Par conséquent, nous avons différentes zones funéraires et, évidemment dans ce lieu qui a été utilisé entre le XIIème et le XVIIIe siècle pour inhumer des individus. Nous n’avons pas les mêmes catégories de personnes qui accèdent aux différents espaces funéraires de ce lieu. Cet aspect a pu être mis en évidence par différents aspects, en travaillant sur l’ensemble de la population inhumée, en séquençant par grandes périodes chronologiques, de l’aménagement du prieur. Ont été dénombrées 457 tombes avec presque 500 individus, car nous avons dans cet espace funéraire du Moyen Âge en réalité des regroupements perpétuels entre les sépultures, c’est-à-dire des destructions de sépultures les plus anciennes par les plus récentes. Par conséquent, certains ossements ont été placés en position secondaire par les fossoyeurs, qui, au cours des différents remaniements les ont redéposés au fur et à mesure dans les sépultures.

Les 500 personnes sont réparties de la manière suivante dans les différents cimetières :

– dans la salle capitulaire : peu de personnes y ont été inhumées car c’est un lieu de pouvoir du prieuré : les dirigeants de l’abbaye y sont inhumés,

– le cimetière nord regroupe environ 300 sépultures,

– le cimetière sud regroupe 150 à 200 sépultures.

Les profils sont là aussi différents et une typologie des tombes est également possible.

Sur les photos projetées nous voyons que certains individus ont davantage les moyens que d’autres. Ces personnes se font fait inhumer dans un sarcophage qui rappelle ce que nous connaissons pour le début du Moyen Âge dans la région et qui ont été réutilisés au XIVème siècle selon les cas. Ici nous avons affaire à un sarcophage du XIVème siècle utilisé pour une personne mais aussi pour redéposer les ossements des précédents occupants. Le sarcophage est utilisé finalement comme un caveau. Même si le marquage au sol n’a pas été conservé, il a bien existé à un moment.

Des tombes diverses sont projetées au public : une autre montre un bel aménagement avec un coffrage avec un fond de terre cuite. Mais nous avons aussi des tombes plus simples, qui sont en dehors de ces espaces plus privilégiés. On trouve ces derniers dans le prieuré qui peuvent être l’église ou le nartex de l’église, donc le porche qui a été accolé en fait au mur occidental de la nef au XIIIe siècle, ou alors la salle capitulaire, endroit où nous avons les tombes les plus prestigieuses, celles des grands donateurs ou des dirigeants du prieuré. Donc, en fonction de ces catégories de tombes, nous avons une première indication sur la répartition sociologique des défunts dans le prieuré. Mais ce qu’il faut comprendre également, c’est que nous ne sommes pas dans un cimetière ordinaire, mais dans le cimetière d’un établissement religieux qui n’a pas vocation à accueillir l’intégralité de la population vivant autour de cet établissement. On accède à ces cimetières soit parce qu’on est religieux du prieuré, soit parce qu’on est associé au prieuré (employés, domestiques intervenants et donateur régulier). La population fait donc l’objet d’une sélection.

Nous avons une grande majorité d’hommes. Sur 478 personnes, ont été identifiés 432 adultes dont 56 femmes seulement et 56 individus au sexe non déterminé. Très peu d’enfants ont été identifiés. Dans le prieuré, des espaces géographiques sont réservés à certaines catégories de personnes. L’analyse des ossements et des objets ont également aidé à dresser cette sociologie des individus. Ainsi on s’aperçoit de certaines différences parlantes entre les individus inhumés dans le cimetière nord et le cimetière sud. Bien que dans le nord ce soient des personnes un peu plus âgées, il y a moins de pathologies visibles sur les squelettes que chez les individus du cimetière du sud, ce qui indique un mode de vie les préservant moins bien que les individus inhumés dans le nord. De même nous constatons qu’il y a plus de femmes dans le cimetière sud qui a donc un profil plus laïc.

La vie du prieuré

Les Chanoines prient, gèrent le domaine du prieuré et ses ressources. Ils ont une vocation d’accueil et de soins dans ce prieuré. Cette vocation a été mise en évidence par les profils de population un peu spécifique puisqu’ont été identifiés des individus ayant un certain nombre de pathologies assez élevés en comparaison avec d’autres cimetières. Un nombre assez important d’individus atteints de luxation de la hanche ont été reconnus ; il s’agit là de personnes accueillies soit régulièrement au prieuré, parfois de manière continue, soit occasionnellement. De fait ils ont ensuite obtenu le droit de se faire inhumer dans le prieuré dont ils étaient manifestement des réguliers. Un autre élément intéressant a été relevé grâce à des découvertes intéressantes faites dans des dépôts de céramiques, avec par exemple un creuset qui a été utilisé pour la fabrication de l’étain et qui est très bien connu dans les Charentes. Ce modèle n’étant pas local, cela tend à montrer que nous affaire à quelqu’un qui est venu se faire soigner au prieuré. Il s’agit probablement d’un pèlerin de passage qui s’est fait enterrer avec un objet de sa région d’origine.

Des pots funéraires, et d’autres objets spécifiques ont été retrouvés comme une lampe à huile encastrée dans un coffrage maçonné, symbole de la lumière accompagnant le défunt vers Dieu. Des cruches aussi déposées dans des tombes plus récentes, au XVIème siècle. Au XIIème siècle, les archéologues ont retrouvé certains pots percés de trous pour pouvoir diffuser de l’encens lors de la cérémonie funéraire. L’aspect pratique est double : masquer l’odeur de la mort et symboliser l’élévation de l’âme. Souvent ce sont des pots de cuisine récupérés, et non fabriqués exprès qui sont utilisés pour les cérémonies.

Un savoir-faire spécifique au prieuré : la trépanation

Plus intéressant et inattendu, six traces de trépanations ont été retrouvées, ce qui est assez exceptionnel dont une réalisée sans doute pour soigner une fracture crânienne résultant peut-être d’une chute. Si nous replaçons cette opération dans le contexte de l’époque, les traités de médecines de l’époque expliquaient comment traiter les fractures crâniennes et comment les nettoyer. Donc ici, nous avons bien un acte chirurgical qui, en plus, a réussi car la personne a survécu !

Une autre trépanation réussie a été identifiée sur un individu ayant eu à la naissance une cynostose trop rapide entre les différentes parties de la boite crânienne. Pour rappel, notre crâne est composé de pleins d’os différents dont le frontal et les pariétaux et, au moment de la naissance, ces os sont séparés. Peu à peu ils se soudent entre eux mais une suture trop rapide empêche le cerveau de se développer normalement, les os exerçant une pression sur ce dernier, ce qui a été le cas ici, au XIIIème siècle. Pour corriger ce qui devait provoquer des migraines ou des troubles neurologiques, une ouverture a été pratiquée sur l’arrière du crâne pour soulager l’individu de cette pression et ainsi, mieux vivre, et l’individu a survécu. Actuellement le traitement existe toujours selon Philippe Charlier.

Actuellement que tire-t-on comme enseignements de ces recherches ? Comment ces dernières sont-elles reliées à l’actualité et au cheminement scénographique et historique du prieuré ?

Il est vrai que notre connaissance du lieu était liée à des noms de personnages, parfois leurs fonctions, leur dignité. Ainsi le médecin est toujours signalé, on l’appelle Physicus d’ailleurs. Le premier que l’on pourrait citer est Béranger de Tours, théologien et médecin ayant tenu des propos mal compris par l’Église. Il a été mis à l’écart, et est devenu l’un des fondateurs du protestantisme et qui a fini ses jours au prieuré. Il a eu différents disciples. Mais les archéologues n’avaient pas en découvrant ses sépultures l’importance qu’il pouvait avoir, on pouvait penser qu’il s’agissait seulement du médecin de la communauté, on n’imaginait pas qu’il avait pu soigner et opérer autant avec un réel savoir-faire, aussi longtemps même s’il était probablement aidé par un assistant. Les gens faisaient visiblement le déplacement pour se faire opérer dans ce lieu.

L’impact des fouilles sur les visites du site

Lorsque l’on visite ce type de lieu historique, il y a aussi beaucoup d’idées reçues, beaucoup de choses sont dites sans être vérifiées mais dans le cas présent, les découvertes et les vérifications opérées ont apporté une véritable assise scientifique. Dès lors il ne s’agissait plus de parler uniquement de la communauté à travers des documents d’archives ( la basilique Saint-Martin ayant brûlé plusieurs fois, les archives sont largement lacunaires, donc on ne peut pas se fier seulement aux documents qu’on découvre), mais il est vrai qu’introduire les découvertes scientifiques dans les visites permet d’apporter un nouveau regard, et de faire en sorte que les gens s’interrogent aussi sur ses longues périodes que l’on pense toujours un peu linéaires.

Il pense par exemple à la question de l’alimentation. Quand on découvre que certains religieux ont consommé plus de poissons de mer que de poissons de rivière, cela interroge car les ressources au Moyen Age sont d’abord locales. Se dire qu’ils vont faire deux jours de bateau pour trouver des poissons plus lointains, pour se nourrir à une certaine époque, cela change la vision quant à leur relation à leur environnement. Cela complexifie certainement l’approche que l’on peut avoir et, en même temps élargir aussi l’horizon des gens qui visitent ce lieu, ce qui est aussi un des objectifs de la visite.

Par conséquent, effectuer des fouilles archéologiques n’est pas gratuit même s’il est difficile de vendre des fouilles archéologiques à des décideurs. Dans leur cas, ils ont plutôt réussi et cela a engendré d’autres chantiers, notamment à l’abbaye féminine de Beaumont, un lieu de fouilles très importants. Plus on aura des exemples de lieux qui auront été fouillés de manière assez exhaustive, plus aussi on pourra comparer les rites, les pratiques, y compris médicales.

Le mort le plus célèbre du prieuré : Ronsard, prince des poètes

La transition est toute trouvée pour revenir sur le mort le plus célèbre du prieuré : Ronsard, le prince des poètes.

Il a fait l’objet de travaux et d’études dans les années 30 ; il meurt à 61 ans, à Saint Cosme, où il était venu passer une dernière semaine. Ses dernières semaines sont très documentées contrairement au reste de sa vie. On sait de lui qu’il est à demi-sourd, que vers 16 ans il est sujet à des fièvres, qu’il a peut-être contracté la syphilis, mais pas sûr. Il n’était peut-être pas sourd Il composait avec un instrument de musique, et personne ne s’est plaint, parmi ses contemporains d’avoir des difficultés à lui parler. Mais il faut savoir que les poètes sont en général toujours privés (symboliquement ?) d’un sens, comme le premier d’entre eux, Homère qui était aveugle. Cela permet aux poètes de développer un sixième sens qui est celui de l’inspiration, donc il ne faut sans doute pas trop chercher du côté de la surdité. Mais par contre ce qui était intéressant est qu’il souffrait visiblement de rhumatismes chroniques, d’arthrose. En tant que prince des poètes, Ronsard est aussi le poète officiel des rois de France et donc, à ce titre, il a accès à des pratiques funéraires qui ne sont pas celles que l’on vient de développer, puisqu’il est prieur commandataire (commandataire donc nommé par le Roi et non le Pape) nommé par Charles IX.

Au moment de sa mort, Ronsard est à Cosme pour écrire. Il n’avait pas de maladie en particulier, mais il Avait des crises de goutte donc un régime alimentaire satisfaisant. La découverte de la tombe date des années 30. Ronsard a été inhumé dans l’église volontairement au cœur de l’église donc un emplacement très privilégié.

La tombe de Ronsard n’a pas été fouillée en 2009 – 2010 car cela avait déjà été fait par le membre d’une société archéologique de Touraine, le docteur Ranjard  qui souhaitait retrouver la tombe du poète dans le prieuré. En 1933 des fouilles sont donc effectuées dans le prieuré de l’église. Une unique sépulture est découverte et nous savons par les archives que Ronsard avait justement été inhumé dans le cœur. Il y avait donc assez peu de doute sur l’identité de la personne inhumée. Les céramiques trouvées dans la sépulture correspondent, et à l’époque le docteur Ranjard s’est livré en plus à toute une étude du squelette pour essayer de faire la démonstration qu’il s’agissait bien de celui du prince des poètes. Il s’est notamment intéressé à la surdité de Ronsard pour constater s’il y avait des traces sur le crâne. Puis, avec les moyens de l’époque, il effectue un premier essai de comparaison anatomique entre la morphologie du crâne trouvé dans la tombe et un masque funéraire de Ronsard connu et conservé et dont une copie au prieuré est conservée. Avec différents montages photographiques, il a réussi à superposer le crâne au masque funéraire pour vérifier la morphologie [voir documents au-dessus]. Aujourd’hui la pratique existe toujours mais avec des techniques plus modernes mais l’idée et le principe étaient déjà là. Il s’est livré également à un examen des ossements pour documenter le dossier. En 2009-2010, les fouilleurs n’ont pas pu accéder aux ossements qui ont été réunis à l’issue de l’étude du Docteur Ranjard. En effet, en 1934, un caveau a été refait et les ossements ont été déposés à l’époque dans un petit cercueil de bois de plomb dans ce caveau.

Tout montre qu’un soin particulier a été pris dans son cas : Ronsard a été embaumé (Il s’agit là du seul squelette du prieuré sur lequel existe des traces d’embaumement), l’arrière du crâne a été scié à l’arrière pour extraire le cerveau, une pratique réservée à une élite de la noblesse des XVIème- XVIIème siècles.  L’embaumement a deux fonctions à cette époque : la première pour conserver le corps dans sa tombe mais aussi sur son lit de mort plusieurs jours, voire deux semaines, pour les visiteurs qui viennent de loin lui rendre un dernier hommage.

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Les enjeux politiques autour du tombeau d’Agnès Sorel

Bruno MARMIROLI  opère une transition et ouvre une petite fenêtre vers la dimension politique que revêt à la fois l’inhumation mais aussi l’enjeu du corps et de son lieu d’inhumation avec le cas d’Agnès Sorel, qui est symptomatique de ces enjeux ; la parole est laissée à Anne EMBS

Le cas d’Agnès Sorel représente un cas atypique de l’histoire de la sculpture funéraire et de l’histoire tout court. Personnage singulier de l’histoire de France, Agnès Sorel est née aux environs de 1422, et décédée en 1450 du côté de Jumièges en Normandie. Elle est issue de la petite noblesse et était dame de compagnie d’Isabelle de Lorraine, épouse du roi René d’Anjou, Roi qui avait une cour extrêmement fastueuse et célèbre pour ses poètes et ses érudits. C’est probablement dans ce contexte qu’en 1443 ou 1444 elle rencontre Charles VII et devient sa maitresse. Agnès Sorel acquiert de son vivant un statut de favorite qui était alors inexistant. Elle vit peu de temps, et décède à 28 ans. Elle vit essentiellement à Loches, Cité Royale avec le roi. Ils ont eu 3 filles, et elle décède lors de l’accouchement de sa 4ème.

Le célèbre tableau de Jean Fouquet, le plus grand portraitiste du XVème siècle, qui représente le roi Charles VII, est sans concession, sans idéalisme pour le Roi de France, avec une mise en scène théâtrale avec les rideaux s’ouvrant sur le personnage royal. Il n’a pas de couronne, ce qui peut sembler étonnant mais on est aux prémices du genre consacré au portrait royal qui va continuer à évoluer. C’est vraiment au XVIème et XVIIème siècles que le modèle du portrait royal va se figer. Un autre tableau peint par Fouquet est un portrait présumé d’Agnès Sorel, issu d’un dyptique commandé par Etienne Chevalier dont l’une des parties représente une Vierge à l’enfant censée être Agnès.

Au Moyen Age le monument funéraire, connu depuis l’Antiquité, connait un regain d’intérêt et de pratique à partir du XIIème et ce, jusqu’au XVIIe siècle. Il a pour principale vocation de s’adresser aux vivants, suivant l’idée que l’on ne doit pas oublier les défunts, c’est un support de la mémoire qui raconte une histoire. Il représente la dernière trace qu’un défunt laisse sur Terre. C’est un discours politique, économique, les grilles de lecture sont nombreuses. Le tombeau d’Agnès Sorel est totalement atypique car c’est la

La Vierge allaitante en manteau d’hermine représentée sous les traits d’Agnès Sorel, Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers.

1ère fois qu’on a un monument funéraire pour une favorite du roi de France. Ce monument funéraire est mis en scène, glorifié dans un édifice à proximité directe du logis royal situé en plus au centre d’un édifice religieux. Il est donc atypique car, en plus, il nous raconte le destin d’une femme exceptionnelle. Agnès décède le 11 février 1450, après avoir rejoint Jumièges, en Normandie où se trouve le roi alors en campagne militaire. Ses exécuteurs testamentaires sont Jacques Cœur, le grand argentier du roi de France et Etienne Chevalier, tous deux étant très connus. Son souhait, exprimé dans ses dernières volontés, est réalisé : elle a droit à une inhumation à la Collégiale Saint Ours qui est sous l’autorité directe du Roi de France (ce qui va faciliter la commande de ce monument funéraire) à proximité directe du logis royal, à Loches où son corps est transporté après son décès. Son cœur et ses entrailles sont extraits et inhumés à Jumièges sur place, dans l’abbatiale où un monument funéraire est également commandé. Par conséquent, Agnès Sorel a deux monuments funéraires, mais, à l’époque, la pratique d’avoir deux tombeaux est alors fréquente dans les milieux princiers et royaux. Le reste du corps a continué la route vers Loches où Agnès Sorel est inhumée, au centre de la collégiale, à l’emplacement le plus privilégié : au centre du chœur qui constitue pour tout chrétien de cette époque l’endroit le plus sacré puisque situé à proximité de l’autel où l’on célèbre la messe. L’endroit est supposé faire bénéficier le plus de faveurs pour l’élévation de l’âme du défunt.

Agnès Sorel avait fait un don de 50 écus au prieuré de Saint Cosme un mois avant de mourir, ce qui relève des pratiques extrêmement fréquentes de l’époque. Le fait de faire des dons en échange notamment de prière puisque l’une des préoccupations majeures du chrétien au Moyen Âge c’est le salut de son âme. Et justement, le tombeau est aussi là pour ça. Il raconte l’histoire politique mais aussi une histoire religieuse car il est aussi là pour rappeler aux vivants qu’ils doivent prier pour le mort. Mais le fait d’être inhumé au centre du choeur est, en temps ordinaire, réservé au fondateur d’une abbaye par exemple ou à une personnalité de très haut rang or là il s’agit d’une femme, la favorite du Roi et non son épouse ! Le privilège est donc immense.

Si nous nous penchons plus particulièrement sur le tombeau, il nous est connu dans ses dispositions d’origine par un certain nombre de dessins dont ceux de la célèbre collection Gaignières aujourd’hui conservée à la BNF et qui nous illustre donc le tombeau avant ses multiples remaniements. Le tombeau a, en effet, connu une histoire extrêmement tumultueuse. Il a été souvent déplacé, et a connu des restaurations parfois assez lourdes notamment au début du XIXe siècle. Donc cette iconographie nous permet de voir le tombeau tel qu’il avait été construit à l’origine. Nous n’avons pas cependant l’acte, la commande de ce tombeau mais il est évident que c’est une commande du Roi de France compte tenu du privilège exorbitant que cela constituait l’époque. Le tombeau s’inscrit dans la tradition du monument funéraire médiéval et se compose de plusieurs parties :

– nous avons un soubassement en calcaire noir

– ensuite nous avons une dalle, une pierre calcaire de Tournai avec une épitaphe, c’est-à-dire une inscription qui court tout autour de la table et qui là encore à une vocation très précise : elle donne le nom de la défunte, qui interpelle le vivant afin qu’il prie pour le salut de la défunte.

– Enfin, sur la table le gisant qui est la représentation d’Agnès Sorel. Qu’est-ce qu’un gisant ? C’est une représentation du défunt typiquement médiéval, qui nous vient du verbe « gésir » c’est-à-dire être allongé mais le défunt est représenté ni tout à fait mort ni tout à fait vivant, les yeux ouverts et les mains en prières. C’est une forme très classique et très traditionnelle qui apparaît en Occident autour de l’an 1000 et qui connaît un très grand succès quasiment jusqu’au XIXe siècle. Après il y a des évolutions, avec des représentations plus réalistes. Mais ici il s’agit d’une représentation idéalisée du défunt. Quelques accessoires sont présents :

– à ses pieds, des agneaux : une image parlante qui nous renvoie à son prénom

– à sa tête deux anges qui sont supposés évoquer les prières et le salut de l’âme

– Et un dais sculpté couronnant le monument.

Pour resituer le monument dans l’histoire de la sculpture funéraire médiévale, très rapidement à la fois par son iconographie et sa forme, en fait le tombeau d’Agnès s’inscrit dans une tradition qui apparaît au XIIe siècle, notamment avec les gisants d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt situé à Fontevraud, mais avec une particularité iconographique qui est reprise dans le gisant d’Agnès Sorel est qu’à l’origine elle tenait un livre de prière. Ce petit détail iconographique apparaît sur le tombeau d’Aliénor d’Aquitaine, qu’on ne connaissait pas auparavant, détail iconographique qui sera repris par la suite sur le tombeau de Bérangère de Navarre, épouse du roi Richard Cœur de Lion. Il y a donc une forme de tradition de représenter la femme avec un livre de prières. On le retrouve également sur des monuments funéraires présents à Saint-Denis dans le cadre de la grande commande du roi Saint-Louis qui initie pendant son règne la commande de monuments funéraires pour tous les rois de France qui l’ont précédé, qu’il soit enterré ou pas d’ailleurs à Saint-Denis, afin de figurer une forme de continuité dynastique. Chacun a justement son petit livre. Par conséquent, Agnès se situe dans cette continuité de tombeaux qui deviennent de plus en plus monumentaux. Plus on avance dans Moyen Âge, et plus on avance dans le statut social, plus les tombeaux deviennent de plus en plus monumentaux, comme en témoigne celui de l’un des fils de Saint-Louis, puisque le soubassement est de plus en plus ouvragé avec la représentation par exemple de pleurant dans la partie basse. Tendance à représenter les défuntes avec un livre de prières Donc le tombeau d’Agnès se situe dans une certaine continuité.

Puis, au fur et à mesure des restaurations, le livre de prière disparait des mains d’Agnès, aujourd’hui ses mais sont simplement en prières. Le dais détruit sous la Révolution a, quant à lui, été restauré.

Un autre aspect intéressant de ce tombeau et la richesse des matériaux, et la polychromie. On a vu dans les tombeaux précédents plutôt de la pierre calcaire avec des réaux de polychromie éventuellement. La commande d’un cran avec des matériaux extrêmement précieux. Ici le gisant est en albâtre qui vient de l’Isère donc que d’une carrière assez éloignée du lieu du décès, la pierre de Tournai pour la dalle avec là aussi des matériaux qui viennent de loin et sous coûteux et avec une équipe pour l’objet d’une mise en scène ostentatoire avec des contrastes de couleurs noire et blanc et les inscriptions en lettres d’or. L’ensemble donnait un résultat assez soutenu. Ce caractère très fastueux du tombeau là aussi s’inscrit dans une tradition royale comme le montre l’exemple du tombeau d’Isabelle d’Aragon, situé dans l’abbaye de Saint-Denis à Paris. Dans sa version d’origine, on avait un soubassement noir, la table noire, le gisant en marbre blanc et l’inscription. Mais le tombeau qui a connu quelques péripéties a perdu tout son encadrement architecturé, ses colonnettes et le dais qui le surmontait.

Bruno MARMIROLI rentre dans le détail scientifique en glissant un mot sur l’enjeu politique constitué par ce tombeau.

Nous l’avons vu avec le message que le roi fait passer au moment de la commande : il installe Agnès au centre de la collégiale, il s’inscrit dans une lignée iconographique somptuaire. Mais l’histoire du tombeau continue d’avoir une portée politique par la suite. Très rapidement les chanoines veulent se débarrasser du tombeau d’Agnès, car avoir la maîtresse du roi au centre de la collégiale est embarrassant. Donc dès le XVe siècle, très peu de temps après la mort de Charles VII ils tentent leur chance et demande au nouveau roi de pouvoir la mettre ailleurs. En vain. Pendant trois siècles, ils réitèrent la même demande. Ce n’est qu’en 1777 seulement qu’ils vont obtenir gain de cause. C’est à ce moment que le tombeau est déplacé à l’intérieur de la collégiale. Puis, assez rapidement, germe l’idée de le sortir de la collégiale. Il est placé dans deux endroits différents du logis royal : d’abord dans la tour dite d’Agnès Sorel, tour très humide et exigüe où le tombeau s’est dégradé, et ensuite dans l’une des pièces au premier étage de la salle au cours du XXe siècle, après 1970. À chaque fois, nous constatons dans les archives que les déplacements font polémique, ces derniers donnent lieu à des échanges sans fin y compris jusqu’à nos jours, car si nous regardons l’histoire récente du tombeau d’Agnès : rien qu’au XXIe siècle, il a déja été déplacé deux fois. Il est revenu à la collégiale au moment de l’analyse du corps d’Agnès, puis ensuite il a été restauré et légèrement déplacé récemment en 2016, et à retrouver la configuration la plus proche de celle d’origine. La dalle en calcaire datant du XIXe siècle qui n’était pas très heureuse, a été retirée, et on lui a restitué le dais. Encore de nos jours, c’est une œuvre qui, à chaque fois, suscite débats et polémiques comme le montre par exemple la question de son prêt pas pour une grande exposition parisienne. Son déplacement, et le fait qu’Agnès quitte Loches ne va toujours pas de soi.

Un cadavre c’est comme les fraises, ça ne se conserve pas longtemps

Philippe CHARLIER, médecin légiste, revient dans le vif (!) du sujet sur le cas du corps d’Agnès Sorel et les circonstances de son décès. À chaque fois que l’on transfère le gisant d’Agnès, à chaque fois on transfère également les restes. Elle avait été embaumée, car, rappelons-le, un cadavre au XVe siècle, c’est comme les fraises, ça ne se conserve pas longtemps. Il faut l’embaumer et, pour cela, il existe une procédure très classique avec une ouverture du crâne, du corps, et la sortie des organes qui sont mis dans un contenant, déposé sur place en général sur le lieu même de l’embaumement en l’occurrence ici à Jumièges en Normandie. Un deuxième monument funéraire aurait pu être fait pour le cœur spécifiquement mais là en l’occurrence, les deux ont été mis au même endroit. Par conséquent la seconde sépulture, et non la troisième, et donc celle de Loches en Touraine. Cette sépulture reste intègre jusqu’au premier déplacement du tombeau en 1777. C’est à ce moment qu’une réduction de tombe est réalisée puisque les fossoyeurs récupèrent tout l’intérieur, et curent l’intérieur du cercueil qui était en fait un triple cercueil fait de chêne, de cèdre et de plomb.  Les fossoyeurs mettent le contenu à l’intérieur d’un saloir à cochons, une céramique en grès tout ce qu’il y a de plus banal, achetée neuve cela dit, et voici à ce qu’elle ressemble :

Photo issue de l’article de Bruno Dufaÿ et Marcel Poulet, « Une datation absolue pour un saloir du XVIII e  s. en grès de la Puisaye – À propos de l’urne contenant les restes d’Agnès Sorel » disponible ICI

Par conséquent elle va être transportée de chaque lieu d’enfouissement à chaque lieu d’enfouissement en passant quand même entre-temps dans le bureau du préfet, en est enfoui quelques années à la verticale de l’église à l’arrière, et chacun y va de son ouverture. Chaque personne d’importance qui visite la commune de Loches ressort l’urne, on l’ouvre on regarde l’intérieur comme une attraction touristique et les gens se servent et récupèrent tantôt une dent, une mèche de cheveux ou autre chose car c’est l’habitude d’avoir des morceaux de corps humains tout simplement pour posséder un souvenir historique.

À côté, des usages un peu borderline mais classiques pour les populations anciennes sont relevés. Par exemple, Agnès est morte jeune, aux alentours de 28 ans. Elle avait donc une denture plutôt bonne et par conséquent les gens se sont servis de ses dents pour en faire des prothèses dentaires, des bridges à l’époque. Par conséquent, toutes les dents qui ont été retrouvées dans l’urne funéraire étaient en fait les dents dont l’émail était cassé et qui ne présentait pas un grand intérêt sur le plan pratique pour faire des bridges. Pareil pour les cheveux, nous avons des témoignages selon lesquels des mèches de cheveux ont été encadrés et qui sont encore aujourd’hui conservées chez plusieurs collectionneurs privés de Loches et de Touraine, dans un style qui serait presque victorien. Un noble de Loches lui par contre, s’est fait confectionner un bloc de cristal creux dans lequel il a mis une mèche de cheveux dont il se servait comme un pommeau pour sa canne. Il avait même poussé le vice à mettre juste quelques mèches de cheveux dans sa propre perruque.

Il faut le voir à la fois avec le regard qui est celui du souvenir historique et de l’anecdote, mais il faut se souvenir que les rois de France sont ouints par le saint chrême, ils ont le pouvoir de guérir les écrouelles, et, dans ce contexte, Agnès Sorel était la maîtresse officielle d’un roi de France. Par conséquent on pourrait assimiler Agnès Sorel à une forme de relique de contact (avec le roi avec qui elle avait un rapport intime). Posséder les restes d’une favorite revient à posséder les restes de quelqu’un en contact avec le roi, et donc de détenir quelque chose qui a capté le fluide royal et qui a lui-même un pouvoir talismanique.

L’ultime autopsie d’Agnès Sorel

2004-2005 : lors de la dernière exhumation, les restes de la Dame de Beauté ont été acheminés en TGV à Lille Europe et au CHU de Lille. Philippe Charlier était en poste en tant qu’interne au CHU de Lille à ce moment.

Le premier examen qui a été fait pour Agnès Sorel, comme on le fait pour tous les cadavres X qui arrivent en contexte médicolégal est d’abord l’examen scanographique. Nous avons union de funéraire qui fait 42 cm de hauteur sur 34 de largeur soit une céramique classique, et on a ce crâne qui est posé sur le dessus de l’urne funéraire de façon quasi théâtrale avec ses grands yeux qui vous regardent, une mandibule en deux parties et un ensemble de matières organiques et de matières minérales qui sont intéressantes. L’examen scanographique a permis de mettre en évidence l’existence de 5 couches stratigraphiques. En fouillant dans l’urne funéraire on s’est rendu compte que les couches stratigraphiques inférieures correspondaient aux membres inférieurs et ainsi de suite jusqu’à tout en haut. Nous avions donc la gestuelle des fossoyeurs qui étaient reconstitués par l’examen scanographique et les analyses en laboratoire. On retrouve le même type de procédé dans des céramiques ptolémaïques dans la nécropole d’Alexandrie.

La mandibule était en deux parties, il n’y avait plus de dents car toutes ont été arrachées ou sont tombées post mortem lors du transfert. Les dents restantes étaient abîmées. Nous voyons donc un crâne, avec des fragments de plomb. On constate aussi la présence de deux essences de bois : du chêne et du cèdre. L’étude botanique a confirmé le fait qu’il y a bien eu un double cercueil avec deux essences de bois. Le plomb également a été confirmé par une analyse, mais il a été blanchi complètement par des dépôts de calcite mais aussi par une attaque liée aux fluides de décomposition d’Agnès Sorel qui ont un pH relativement acide autour de 4 – 5 qui a provoqué une réaction assez classique et observée dans d’autres sépultures.

Mais ce n’est pas exactement un crâne mais une tête momifiée que nous avons. Cela ne saute pas aux yeux certes mais la couleur naturelle du crâne était grisâtre. Ce que l’on observe à la surface du crâne avec ces dépôts marron clair ou foncé sont en fait des secteurs conservés de peau et de muscles. Donc c’est une tête passablement abîmée mais une tête malgré tout et pas simplement un crâne. Notons une chose importante : tout à l’heure nous avons vu le grand portrait d’Agnès Sorel peint par Fouquet et un élément a sauté aux yeux des spectateurs : le front et les yeux. Ce sont les premiers éléments que l’on voit ce portrait où elle a effectivement de très grands yeux. Pour un légiste qui a l’habitude de voir des crânes il est vrai que l’orbite des yeux est extrêmement importante. Les myopes ont souvent de gros globes oculaires par rapport au reste du visage mais rien ne permet d’affirmer qu’Agnès Sorel était myope. Mais dans tous les cas elle avait de gros yeux par rapport à la taille de son visage. Elle a probablement fait deux choses qui ont été confirmées par l’examen microscopique de la partie supérieure du front : elle a dû s’épiler la partie supérieure du front car des traces d’inflammation ont été relevées au niveau de la peau à cet endroit. Elle l’a fait pour deux raisons :

-la première : elle a suivi l’importation d’une mode venue de Florence,

– la seconde : c’est aussi une forme de chirurgie esthétique destinée à diminuer la proportion de ses yeux par rapport à la taille de son visage.

On constate aussi une chose importante : Il n’y a pas de trace de sciage du crâne dans son cas mais à voir rien n’indique ce que cela n’a pas été fait à l’arrière du crâne. L’étude de l’intérieur du crâne qui continue encore actuellement, donnera peut-être la mise en évidence de produits d’embaumement déposés à l’intérieur de la boîte crânienne. Donc ce n’est pas parce que nous n’avons pas un sciage au niveau du front que l’on n’a pas eu de sciage du crâne.

Quelques dents permettent de montrer une cassure de l’émail dentaire qui est un peu ancienne, patiné avec des dépôts de calcite dessus mais relativement récente par rapport à la mort de l’individu. Cela nous signale qu’il y a eu des tentatives d’arrachage au moment des différentes exhumations pour les raisons exposées plus haut. Les dents sont importantes car la croissance du cément dentaire, ce dernier se trouvant au niveau de la racine, permet de reconstituer l’âge au décès de l’individu mais aussi le nombre de grossesses chez la femme. Les anneaux de cément dentaire croissent comme les anneaux des arbres selon un rythme annuel probablement dû à l’influence du climat, de l’ensoleillement, de la pression atmosphérique et d’alimentation et donc nous avons un anneau de cément dentaire par année de vie à partir de la création du germe dentaire. Cela permet donc, avec le comptage des anneaux linge au décès de l’individu. Chez les femmes, la largeur des anneaux est fortement augmentée lors de la grossesse, ce qui nous permet donc de compter à la fois l’âge au décès, mais aussi le nombre et l’année de survenue de la grossesse. Cela nous a permis de mettre en évidence les trois grossesses d’Agnès Sorel et la dernière, juste avant son décès, qui correspond à ce quatrième enfant dont elle a accouché et qui malheureusement n’a pas survécu. L’enfant était présente dans l’urne funéraire : deux petites vertèbres qui font 8 mm de diamètre ont été retrouvées, ainsi qu’un fragment de l’occipital de ce fœtus de sept mois in utero. Selon l’habitude ils ont été enterrés l’un avec l’autre.

La recherche continue encore sur les restes d’Agnès Sorel, et actuellement la protéonique est réalisée sur les produits d’embaumement pour identifier les protéines des différents éléments botaniques ou organiques ayant été utilisés lors de l’embaumement. Donc, sur des tous petits échantillons qui font quelques millimètres et qui ont été conservés pour étude avec l’autorisation du conseil départemental, le travail continue.

Un gisant hyper réaliste

Revenons sur la tête … Si nous regardons de plus près la tête nous verrons que l’os est visible à travers une toute petite zone grise, le reste est la peau. Nous voyons également les sourcils d’Agnès, l’épilation que l’on voyait sur le gisant mais aussi sur la peinture de Fouquet était un peu idéalisée. Quant à la couleur, il faut se méfier. Quand on voit une mèche de cheveux (quelques-unes n’ont pas été volées) dans la mesure où elles ont été entortillées dans des produits d’embaumement il ne faut pas se fier à la couleur qu’elles ont pu prendre. Après examen microscopique, les chercheurs se sont rendus compte qu’elle avait une couleur de cheveux beaucoup plus claire que cela. Ils ont subi une teinture post-mortem causée par les produits d’embaumement et par la gangue de moisissure et des poussières qui se sont accumulées. Ses cheveux étaient blonds en l’occurrence.

Si l’on revient sur le gisant qu’Anne avait décrit, il est finalement très réaliste et même, il est assez troublant de voir la superposition en deux dimensions de la face du gisant sur le scanner du crâne d’Agnès Sorel. Nous avons les secteurs de peaux qui sont figurées en vert, nous avons les traces de dépôt de produits d’embaumement en violet et les sourcils en rouge. Cela montre une correspondance anatomique qui est extrêmement importante ce qui laisse supposer que le gisant est tellement réaliste au niveau du visage, sauf le bout du nez qui visiblement a été refait, que cela se laisse supposer que ce réalisme est peut-être dû au fait que le sculpteur a travaillé à partir d’un masque mortuaire, perdu de nos jours.

Les chercheurs ont travaillé avec un autre visage conservé à Bourges qui est l’œuvre de Laurana. La superposition anatomique est parfaite. Lorsque l’on travaille sur des courbes, on travaille sur un nombre infini. Ici, on superpose sur le plan statistique l’infini sur l’infini, ce qui en termes de probabilités est plutôt bon et fiable. Nous avons donc ici une superposition parfaite avec le crâne, y compris l’épaisseur pour les lèvres, l’ouverture des narines, et même le positionnement et la fusion entre les paupières supérieures et inférieures. C’est donc une représentation hyper réaliste.

Le mystère de la mort d’Agnès Sorel

Concernant les causes de la mort d’Agnès Sorel (car c’est aussi un des éléments sur lesquels les scientifiques ont pu travailler), dans les produits d’embaumements qui ont été identifiés, on retrouve

  • Du poivre maniguette (Afrique de l’ouest), un poivre gris utilisé en cuisine mais il faut rappeler qu’à l’époque les embaumements sont pratiqués par des cuisiniers ou des chirurgiens, car on est dans une période de transition. Ce sont eux qui ont les produits, les aromates, ce sont eux qui ont l’habitude d’ouvrir la viande faisandée, de farcir les dindes… ce sont eux qui ont l’habitude de manier les odeurs or, la théorie des odeurs est extrêmement importante à l’époque, on l’a rappelé pour le prieuré Saint-Cosme, avec les pots à encens qui doivent accompagner le défunt au paradis : il faut que le corps sente bon pour ceux qui viennent le voir et lui témoigner Respect mais aussi pour ouvrir les portes du paradis.
  • On retrouve également des fruits et graines de mûrier blanc,
  • Des fragments de rhizomes identifiés comme étant du gingembre,
  • De nombreux végétaux non identifiables sur le plan botanique pour le moment.

On note surtout la présence de mercure en très grande quantité dans les mèches de cheveux, mais le mercure ne participe pas aux produits d’embaumements (comme chez Anne de Bretagne) car il se retrouve au centre du poil et des cheveux et non dans la surface et la racine. Cela signifie qu’Agnès Sorel l’a avalé.

Une motivation peut être invoquée : le mercure tuait des parasites intestinaux notamment l’ascaris que l’on a retrouvé en très grande quantité dans son urne funéraire et qui provenait de son tube digestif ; de la fougère mâle a été retrouvée aussi : elle paralyse le vers intestinal, tandis qu’en complément le mercure provoque une purge (ce qui se traduit par une diarrhée). Mais le dosage dans les cheveux montre qu’elle a pris 10 000 fois la dose thérapeutique autorisée ! Donc soit il y a eu une erreur de dosage de l’apothicaire, ce qui paraît difficile à envisager, soit il faut envisager l’hypothèse criminelle. Lors du procès de Jacques Cœur ce dernier fut accusé d’avoir empoisonné Agnès Sorel, ce qu’il a catégoriquement rejeté. Une troisième hypothèse peut être avancée : s’est-elle suicidée après son accouchement alors que dans le même temps son couple avec le Roi battait de l’aile ?  On ne peut pas éliminer cette hypothèse mais ce n’est pas au légiste de le dire mais aux historiens.

 

Photos : Cécile Dunouhaud (sauf l’urne funéraire d’Agnès Sorel)