Le FIG invite cette année pour les Rendez-Vous des lycéens, Pablo Servigne et Hugo Viel dans la cathédrale de Saint-Dié, lieu pas si incongru puisqu’il s’agissait d’accueillir plus de 500 lycéens de la région venus avec leurs professeurs et accessoirement de consacrer celui que la presse grand public qualifie de prophète… 

Avec Pablo Servigne, auteur, chercheur ingénieur agronome « in-terre-dépendant », conférencier (« L’effondrement expliqué à nos enfants et à nos parents » Seuil) et Hugo Viel, activiste, chargé de campagne pour 350.org (« Climat : trop tard pour agir ? » La Martinière Jeunesse)
Autant le dire de suite, ce dialogue, animé par Paul Didier, chef de projet, est celui de deux activistes qui s’engagent pour agir contre la crise climatique.
Réchauffement climatique, bouleversement de la diversité… Quel sera le monde de demain, la transition est-elle le grand défi de notre génération ?

Pablo, quand vous étiez lycéen que pensiez-vous ?

J’ai 44 ans et passé mon bac en 96 avant le prix nobel du GlEC et le film d’Al Gore en 1996, j’étais peu concerné sinon pour la justice sociale dans ma famille. C’est à la fac d’agronomie, que le lien s’est fait.

Et toi Hugo ?

Pas de déclic, au lycée je n’étais pas concerné et les choses ont bien changé avec les lycéens engagés actuels ! Devenu ingénieur, j’avais envie de rendre ce que j’avais reçu en m’engageant au niveau international dans les COP d’abord, puis dans d’autres structures plus mobiles. J’ai voulu faire ma part.

Pablo, l’effondrement, et après ? Pourquoi avoir créé le concept de « collapsologie » ?

En agro, je suis devenu spécialiste en recherche des fourmis. Puis je me suis dit que je ne pouvais pas continuer à ne rien faire de concret pour ce que je voyais autour de moi. Comment faire porter ma voix ?
Les scientifiques parlaient de « collapse » pour toutes choses. En 2013 on m’a demandé de faire un rapport au parlement européen sur les sols et leur santé. Comme je n’ai pas trouvé de vision globale chez les scientifiques du sujet, j’ai voulu écrire un livre sur une situation qui serait à la confluence des effondrements constatés par diverses disciplines. Or l’effondrement, c’est la fin du monde pour beaucoup et nous voulions montrer non seulement ce qui s’effondre, mais aussi ce qui doit se régénérer. Le mot était donc trop fort, trop émotionnel pour le grand public. Le message du livre, ce n’était pas pour les générations futures mais pour les générations présentes. Une manière de ne plus être dans le déni. Avec ce livre, je voulais faire bouger les lignes et les gens. D’autres ont dit, « ton livre m’a fait peur, je ne peux pas le terminer, c’est trop angoissant ! »Mais quand une peur arrive, on se met en mouvement alors que trop de peurs fige. Comment travailler sur les peurs, s’en servir comme une énergie d’action.
Hugo Viel : ça fait peur, oui mais ce n’est pas le sentiment qui domine dans mon activisme. Le premier levier d’action c’est la colère, contre un système ou des gens qui n’agissent pas. Après la colère vient ensuite l’espoir. Il n’y a pas de deadline, le monde continuera d’évoluer en bon ou en mauvais. Chaque action que nous ferons ensemble va influer la marche du monde.

On entend beaucoup qu’il ne faut plus faire d’enfants…

Pablo Servigne:  la question est biaisée pour moi. Je ne voulais pas avant 30 ans. C’est compliqué rationnellement, car en neurosciences, c’est le cerveau reptilien qui décide et le cerveau rationnel qui essaie de justifier la position initiale.
La question est en fait indécente et dépend de chacun. Ce n’est pas à nous mais aux jeunes de décider ! Il faut créer un foisonnement d’initiatives, de créativité, de chaos, d’incertitude.
J’ai récemment rencontré Edgar Morin qui avait moins de 18 ans lors de l’occupation allemande. Les hommes étaient prisonniers, les hommes plus jeunes étaient réquisitionnés pour le STO. Alors les ados ont pris les armes comme Guy Moquet, fusillé à 17 ans. Pearl Harbor puis Stalingrad ont ensuite ouvert les possibles. La catastrophe n’était plus inéluctable. La jeunesse doit agir maintenant alors que les anciens disent que ça va peut-être passer !
Hugo Viel : en 2019 ont commencé les grandes mobilisations sur le climat. C’était très stimulant. En 2015 il y avait bien eu les accords de Paris mais 4 ans plus tard, rien ne se passait. D’où le grand narratif de la génération climat. J’ai envie d’avoir des enfants pour qu’ils vivent dans un monde meilleur.

En voulez vous aux générations précédentes ?

Hugo Viel : j’en parle dans mon livre. Notre action est un héritage long. La guerre des générations est une erreur. En fait ceux qui prennent les décisions sont toujours les mêmes types de personnes (l’industrie fossile, leurs actionnaires et les personnalités politiques qui les ont soutenus). C’est à ces personnes que j’en veux, pas aux générations précédentes.
Pablo Servigne : j’adorerais qu’il y ait des paroles qui se libèrent chez ceux qui ont profité cyniquement du système, ou ceux qui se sont contentés d’un « développement durable ».
Hugo Viel : on manifeste devant le Crédit Agriole, qui finance Total Energie. Et les gens du CE du CA sont sortis en nous disant « c’est bien ce que vous faites »… foutage de gueule !

Et notre responsabilité ? Nous les avons élus !

Hugo Viel : plus de 80 % des gens seraient prêts à changer mais à condition que ce soit de manière équitable.
PS : on leur donne du pouvoir, certes, mais l’essentialisation des catégories pose problème (super riches, etc.). Voter a un sens pour moi au niveau local, face à des élus que je peux convaincre.

Pablo, tu n’as pas créé de parti politique. Tu préfères les solutions anarchistes ?

Pablo Servigne: il y a une mauvaise vision de l’anarchisme. C’est s’auto-organiser ensemble, être dans l’entraide, cf. La commune de Paris ou celle de Barcelone. Pour moi ça reste un idéal magnifique. La France est un pays très vertical… il faut un renversement politique. Brassens disait « je suis une mauvaise herbe ». Il faut qu’on recrée un récit. L’effondrement est la moitié du récit. Qu’est ce qu’on choisit et qu’est-ce qui s’effondre ? Il faut remplacer les chefs par les leaders qui sortent du lot dans les crises. Ce sont les porteurs de récit.
Le temps a malheureusement manqué pour laisser la parole à ces jeunes que l’on qualifie d’ «éco-anxieux ». Il aurait été intéressant de les écouter puisque nos deux intervenants l’avaient souhaité. Dommage…