Conférence de Philippe Hugon Les relations complexes et complexées de la France et de l’Afrique
Animateur : Jean-Jacques Blain Clionautes

Philippe Hugon est l’auteur de nombreux ouvrages très utilisés par les étudiants et les enseignants : dont « géopolitique de l’Afrique », et l’économie de l’Afrique la 7ème édition date de 2012 Il est Professeur émérite en sciences économiques de l’Université Paris X Nanterre, Directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Il connaît très bien l’Afrique il a été enseignant au Cameroun et à Madagascar, professeur invité dans de nombreuses universités africaines, consultant pour de nombreux organismes internationaux sur l’Afrique : comme la Banque Mondiale, le Bureau international du travail, la Commission Européenne, directeur scientifique de la Revue Tiers-Monde expert auprès des radios de services publiques on a souvent l’occasion de vous entendre à France Inter ou France Culture.

Pour présenter l’intérêt de cette conférence, on peut citer Alain Mabanckou nouveau directeur de la chaire «Création artistique» au Collège de France qui nous dit que « l’histoire de la France est aussi cousue de fil noir». Le titre de la conférence : « Les relations complexes et complexées entre la France et l’Afrique. » témoigne des relations singulières qu’aucun autre pays du monde entretien avec l’Afrique

Philippe Hugon évoque d’emblée le « jeu de miroir » entre la France et l’Afrique, relations singulières marquées par le poids de l’histoire. Des relations complexes certes tout d’abord par la complexité du processus de décision où interviennent l’Élysée, le trésor français, le secrétariat d’État au développement, l’État-major. Les objectifs de ces relations sont culturels mais aussi, économiques et monétaires auxquels s’ajoutent les alliés de la France dont il faut tenir compte. Toutes ces relations évoluent très rapidement dans un environnement mondialisé.
Complexées : le poids de la colonisation est toujours là et s’exprime à travers un travail de mémoire qui n’a pour l’essentiel pas été réalisé et qui nourrit des représentations anxiogènes.

Quelques points importants :

  • Une nécessaire mise en perspective historique est nécessaire, elle doit nécessairement intégrer le fait que la France a une « dette de guerre » issue de la première et de la deuxième guerre mondiale. Après la 2ème guerre mondiale, des changements importants sont dus à des investissements significatifs dans l’aide publique avec le plan FIDES ( Fond d’investissement de développement économique et social ) mis en place en Afrique en contrepartie du plan Marshall. Ces investissements seront efficaces et le revenu par tête progresse entre 1945 et 1960.
  • L’Indépendance a créé des changements importants, toutefois la France conserve des relations monétaires ( Franc CFA), militaires ( présence de bases militaires), politiques ( qu’on a appelé la Françafrique (terme utilisé pour la première fois par Félix Houphouët-Boigny en 1955, un terme non péjoratif dans un premier temps) .
  • Mais l’Afrique ne connaît pas de transformations de son système productif qui reste largement basé sur un modèle exportateur de produits primaires et marqué par une dégradation des écosystèmes dus en partie à la croissance démographique

Aujourd’hui, les financements français restent importants, l’aide à l’Afrique a été re-légitimée après la chute du communisme pour des questions de sécurité. Plus de la moitié provient de l’Union Européenne mais aujourd’hui le volume d’aide à l’Afrique est devenu inférieur aux IDE, auxquels s’ajoute les fonds souverains et les « remises ». La France reste l’un des premiers donateurs. L’aide française s’élève à près de 10 milliards d’euros par an (9,348 ME en 2011), L’Afrique est le premier bénéficiaire de l’APD ( Aide publique au développement) française (55%), et en particulier l’Afrique subsaharienne (41%).

Toutefois, la part de la France dans les relations commerciales de l’Afrique a diminué passant de 10,1% en 2000 à 4,7% en 2011, la France a reculé dans ses positions historiques au sein de la zone franc notamment en Côte d’Ivoire et au Cameroun et en contrepartie entre 2000 et 2011 l’Afrique du Sud et le Nigéria ont représenté 37% de l’accroissement des exportations françaises vers l’Afrique. Les entreprises françaises pèsent d’avantage au niveau des stocks d’IDE qui a été multiplié par 4 entre 2005 et 2011. Les firmes françaises (surtout des grandes entreprises) restent fortes dans les secteurs pétroliers (Total, Bouygues avec la construction d’oléoducs au Tchad) ou logistique ( Bolloré qui souhaite construire une ligne de chemin de fer en Afrique de l’Ouest, entre Abidjan et Cotonou et baptisée « BlueLine ». Il s’agit d’un projet pharaonique nécessitant un investissement de 2,5 milliards d’euros)

La France est actuellement en train de diversifier ses investissements d’avantage en fonction d’opportunités économiques.

Mais des exceptions subsistent : dans la défense, en effet la présence de la France demeure conséquente plus de 10000 militaires sont actuellement installés en Afrique. L’autre exception est la zone franc fruit d’une histoire coloniale unique ce régime monétaire particulier a une dimension à la fois verticale à cause de son lien avec le trésor français et une dimension horizontale liée aux relations croissantes d’intégration au sein de l’UEMOA (l’Union économique et monétaire Ouest Africaine) et la CEMAC (Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale). La mise en place de l’euro n’a pas supprimé l’accord entre le trésor français et les banques centrales africaines. Cette zone franc comporte des avantages pour les pays dont la garantie contre des attaques spéculatives mais aussi des inconvénients comme la surévaluation freinant ainsi la compétitivité des pays et favorisant les importations alimentaires aux dépens des productions locales.

Les relations de la France et de l’Afrique sont donc devenues très complexes, comme nous le rappelle P Hugon, « la France doit-elle transférer l’essentiel des prérogatives à l’Europe ? (dans le domaine monétaire, militaire et diplomatique) Doit-elle, au contraire, avoir une diplomatie transformationnelle au nom d’un devoir d’ingérence pour secourir les populations victimes , et faire pression pour les droits de l’Homme ? »( P Hugon , Géopolitique de l’Afrique, Sedes 2012) Et c’est cette complexité qui rend son étude passionnante.

Jean-Jacques Blain
UFR Sciences humaines
Université Grenoble Alpes