On ne naît pas féministe, alors comment le devient-on ? Précurseuse de l’histoire des femmes, Michelle Perrot, professeure émérite d’histoire contemporaine à Université Paris Cité, viendra présenter son dernier ouvrage Le temps des féminismes (Grasset, 2023), écrit en collaboration avec Eduardo Castillo, conférencier, journaliste et écrivain.

Dans cet ouvrage, Michelle Perrot, qui fut une des premières historiennes à enseigner l’histoire des femmes en France en 1973, revient sur l’histoire des combats pour l’égalité, l’histoire du patriarcat, l’histoire du mouvement féministe et des grands débats qui l’ont parcouru et structuré, sur le corps, le genre, l’universalisme face au différentialisme, la sororité, le mouvement #MeToo.

Intervenants

Introduction

Françoise Miliewski

Mouvement traversé par des débats sans cesse renouvelés, le féminisme s’écrit au pluriel. Le goût de Michelle Perrot pour l’histoire sociale l’a amenée à s’intéresser à l’histoire des femmes alors qu’elles étaient invisibilisées. S’intéresser à l’histoire des femmes, c’est éclairer l’histoire des femmes, mais aussi l’histoire des hommes, et l’histoire des féminismes. Aux ouvrages de Michelle Perrot sur l’histoire des femmes, s’ajoutent ceux sur l’histoire de femmes en particulier, comme Georges Sand, sur l’histoire sociale et sur l’histoire carcérale.

Edouardo Castillo

J’ai été l’étudiant de Michelle Perrot à Jussieu, et c’est elle qui m’a amené à envisager une carrière de journaliste. Les débats sur le féminisme sont nombreux depuis 20 ans, et parfois empreints d’une grande dureté. Il existe en outre des mouvements féministes très divers. Nous avons souhaité faire dialoguer ces différentes voix. Je dis parfois comme une boutade que ce livre a la prétention de raconter l’histoire des femmes de la préhistoire à “Me too”. Nous avons pris la décision de gommer toutes les questions et de laisser toute la place à la voix de Michelle Perrot, qui s’exprime à la première personne. Nous avons été reçus très largement par des librairies, Mediapart, l’Express, BFM. Nous avons fait le pari d’intéresser des personnes qui ne sont pas des féministes. Nous avons aussi voulu remédier à un manque de connaissance de l’histoire des femmes et du féminisme dans certains mouvements féministes. On découvre dans le livre le combat de femmes avant même que le féminisme n’existe. Michelle Perrot a ce don de parler à tous, mais avec franchise, sans jamais ranger son drapeau dans sa poche. 

Conférence de Michelle Perrot

Comment me suis-je intéressée à l’histoire des femmes?

C’est peut-être par l’enseignement à Sciences Po que j’ai réalisé les difficultés des femmes. J’enseignais en « année préparatoire » auprès notamment d’un groupe d’étrangers qui comptait surtout des hommes, mais aussi quelques femmes. L’une d’elle, particulièrement brillante, était hindoue. Elle m’a annoncé à la fin de sa première année, qu’elle ne pouvait pas continuer car sa famille voulait qu’elle se marie, et m’a demandé de parler à ses parents car elle souhaitait poursuivre ses études. Ces derniers étaient Sikh. Le père travaillait à l’ambassade de l’Inde. Je me suis heurtée à un mur. Aux yeux de sa mère, la fille avait 19 ans et il était déjà très tard pour se marier. 

En 1968, le Directeur Chapsal nous réunit pour déplorer que les étudiants de Sciences Po écrivent de moins en moins bien. Chapsal leur répond : « Cela n’a pas d’importance. Ils auront des secrétaires. » Cette anecdote m’a beaucoup marquée.

Bien sûr, j’avais déjà conscience de ces réalités, mais j’avais été très privilégiée. Mon père était féministe. J’ai étudié à la Sorbonne entre 1947 et 1961, alors que les filles étaient minoritaires. L’ambiance était égalitaire parmi les étudiants de gauche, communistes ou chrétiens progressistes. J’étais alors féministe. J’avais lu Le Deuxième Sexe en 1949. Simone de Beauvoir a joué un rôle très important pour ma génération. Elle était très libre dans sa vie privée. Elle voulait écrire et elle l’a fait. Elle est arrivée seconde à l’agrégation de philosophie, conduisait sa voiture, aimait sa voiture et s’engageait. Sa figure était aussi importante que son livre. 

Je me dirigeais vers l’histoire sociale et ne pensais pas écrire un livre sur l’histoire des femmes. En 1968, j’étais assistante à la Sorbonne. Alors que les femmes étaient très présentes dans le mouvement de mai 1968, nul ne parlait d’elles, comme si le problème n’existait pas. Il y a eu, après 1968, une prise de conscience qui a été le point de départ du mouvement de libération des femmes en France. C’est souvent de cette manière, dans les moments d’instabilité politique, que s’affirme le féminisme. 

Trois dates ont marqué les étapes de la création d’un champ de savoir sur les femmes qui est aujourd’hui très développé.

  • En 1973, le cours intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ?». Pour Simone de Beauvoir répondit : « L’histoire des femmes a été écrite par les hommes », un avis que je ne partage pas.
  • En 1983, le cours : « L’histoire des femmes est-elle possible ?». 
  • En 1991-1992, la publication par Jacques Duby et Michelle Perrot d’une Histoire des femmes en Occident dont les cinq tomes étaient dirigés par Pauline Schmitt-Pantel (Antiquité), Christiane Klapish-Zuber (Moyen Âge), Natalie Zemon Davis, Arlette Farge (XVIe-XVIIIe siècles), Geneviève Fraisse et Michelle Perrot (XIXème siècle), François Thébaud (XXe siècle). 

Comment ce champ a-t-il évolué ? Il a d’abord changé dans ses problématiques.

Au début, nous souhaitions surtout rendre visibles les femmes. A la recherche de questionnements, nous sommes d’abord parties des femmes victimes. Nous ne parlions pas à l’époque de « domination masculine » mais de « patriarcat », deux termes qui sont équivalents.  Et puis il y a un moment où on a commencé à en avoir « marre », des femmes victimes. 

Notre deuxième préoccupation a donc été de faire apparaître l’agency des femmes, c’est-à-dire leur capacité d’action ou « agentivité ». Nous nous intéressions par exemple aux « mauvaises têtes », ces femmes rebelles qui refusaient un mariage imposé au XIXème siècle. Nous souhaitions aussi les voir agir dans la cité. Le pain étant la responsabilité des femmes, elles apparaissaient dans les émeutes de subsistance. Nous nous sommes enfin intéressés au féminisme, une action spécifique des femmes pour la liberté et l’égalité. J’ai ainsi orienté vers l’étude du féminisme de nombreuses étudiantes qui souhaitaient effectuer des recherches sur les femmes. Ce fut le cas notamment de Florence Rochefort et Laurence et Laurence Klejman sur la Troisième République, de Christine Bard, sur l’entre deux guerres et de Sylvie Chaperon sur les années Simone de Beauvoir.

De quelle époque peut-on dater l’apparition des préoccupations féministes?

Le féminisme commence par des femmes isolées, issues de milieux cultivés, qui réalisent qu’elles n’ont pas les mêmes droits que les hommes. On peut remonter à Christine de Pisan, auteure de La Cité des dames, qui montre la différence des sexes en 1405. Christine de Pisan a écrit des pages exceptionnelles sur l’idée d’un prétendu consentement des femmes au viol, qui la révoltait. 

C’est cependant la Révolution française qui joue un très grand rôle pour le changement collectif. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a, certes, une vocation universelle. Pourtant, on s’aperçoit très vite que l’organisation de la cité sépare les hommes et les femmes en droit. Sieyès distingue ainsi les citoyens actifs et les citoyens passifs. Ces derniers ont droit à la protection de leur personne et de leurs biens mais n’ont pas le droit d’agir dans la cité. Ils réunissent entre autres les mineurs, les malades, les fous, les étrangers et les femmes. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen concerne-t-elle les femmes ? Non. C’est ce que comprend Olympe de Gouge, qui colle sur les murs sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1793. Elle est guillotinée par les Montagnards parce qu’elle est girondine, mais pas seulement. Le procureur Chomette déclare en effet qu’elle a « oublié les devoirs de son sexe ». En 1792, Condorcet publie un livre intitulé De l’admission des femmes au droit de cité. Tous deux, plus ou moins poursuivis, habitaient la même rue à Paris, la rue Servan-Denis. On y trouve deux plaques commémoratives en leur hommage. Le féminisme ne cesse de dire que les femmes veulent les mêmes droits que les hommes, au nom de l’universalité de la République. La grande revendication du féminisme est de permettre aux femmes d’être reconnues comme des individus.

Au XIXème siècle, le féminisme est un mouvement intermittent. Les femmes ne disposant pas de droits publics, il ne peut s’appuyer sur des structures pérennes. Il s’exprime souvent dans les brèches du pouvoir. On observe ainsi des poussées féministes pendant les révolutions. C’est le cas dans les années 1830 à travers la presse, comme l’a montré Laure Adler dans sa thèse A l’aube du féminisme : les premières journalistes. Le mouvement est encore plus fort pendant la Révolution de 1848, alors que le mouvement ouvrier revendique le suffrage universel en excluant les femmes. Toutes ne sont pas d’accord pour revendiquer le suffrage. Georges Sand estime qu’il faut d’abord abolir « l’infâme Code Civil » avant de revendiquer des droits politiques.

L’histoire du féminisme est une histoire de la revendication de l’égalité des sexes.

La question de l’égalité des sexes est apparue de manière relativement récente, au XVIIème siècle, dans la lignée de Descartes et du rationalisme. Poullain de La Barre publie ainsi De l’égalité des sexes. Le salon bleu de Madame de Rambouillet est un centre féministe où les précieuses s’emparent du langage. Mademoiselle de Scudéry publie un roman sur l’amour. Pour elle, l’amour, c’est du temps. Les hommes vont trop vite en amour mais les femmes voient l’amour comme une aventure au long court symbolisée par la carte du Tendre. 

Plus récemment, les livres de Françoise Héritier, Masculin – Féminin, la pensée de la différence (tome 1) et Masculin- Féminin. Dissoudre la Hiérarchie (tome 2) nous ont permis de penser la différence entre les sexes. Françoise Héritier décrit la différence des sexes comme une réalité présente à toutes les époques temps et dans tous les territoires, qui s’accompagne d’une hiérarchisation. C’est ce qu’elle appelle « la valence différentielle des sexes ». Elle montre que cette différence est une structure enracinée depuis si longtemps qu’elle est difficile à dissoudre. L’un des éléments qui y a contribué est l’interruption volontaire de grossesse légalisée par la Loi Veil en 1974-1975. 

Le féminisme s’est développé par vagues, et ses luttes se sont structurées autour de différents axes.

  • Le droit à l’instruction. Georges Sand disait que l’absence d’instruction était le grand crime des hommes envers les femmes. On s’aperçoit encore aujourd’hui que l’écart d’instruction demeure, notamment dans les sciences. Cette différence maintient les femmes dans un savoir inférieur qui conditionne le savoir social. Il faut se souvenir que le XIXème siècle qui nous a modelés était non mixte.
  • Le droit au travail conditionne le droit au salaire et la difficulté pour les femmes d’accéder au maniement de l’argent. La place des femmes a été pensée par le biais du don. Il y avait certes des marchandes au Moyen Âge. Cependant, le maniement de l’argent, et notamment les banques, restaient un univers masculin. 
  • Les droits privés et politiques. Cela passe en France par l’abolition du Code Civil de 1804 par lequel Napoléon avait voulu remettre de l’ordre dans la société, et donc dans la famille. Le Code Napoléon est un monument du patriarcat. Les dernières dispositions n’ont été abolies que dans les années 1970. Les Françaises ont voté presque les dernières en Europe, au même moment que l’Italie, mais avant la Belgique et la Suisse. 
  • Les droits du corps dans les années 1970. 
  • Me too soulève la question du droit à l’intimité

Après la première vague de féminisme des années 1900-1950, notamment au Royaume-Uni, la deuxième vague des années 1970, nous vivons peut-être actuellement la troisième vague du féminisme au XXème siècle.

Discussion

Faut-il mettre fin aux identités « femme » et « homme » pour mettre fin à la domination masculine ?

Michelle Perrot

Je réponds avec hésitation à cette question très intéressante. Enfermer les deux sexes dans des identités définies une fois pour toute ne va pas. La formule de Simone de Beauvoir « On ne naît pas femme, on le devient », vaut également pour les hommes, comme elle l’a écrit plus tard. La définition de l’identité et les frontières entre les identités se déplacent. On a cessé depuis un demi-siècle de réfléchir aux différences. Comment concilier la multiplicité des différences et répondre à l’aspiration à l’universel ? Ne faut-il pas parfois dissoudre ces catégories pour accéder à l’universel ?

La question de l’intersectionnalité est plus simple. Les penseuses du féminisme et de la féminité ont toujours été intersectionnelles. Croiser les différentes variables est tout simplement une attitude scientifique. C’est peut-être parce que ce terme a été employé dans un sens polémique aux Etats-Unis qu’il rencontre une résistance en France. Je ne vois pas en quoi il pose un problème. 

N’y-a-t-il pas eu une troisième vague dans les années 1990 autour d’associations féministes, de la loi sur le harcèlement et de nombreux travaux universitaires ?

Michelle Perrot

Il y a une différence entre ce qui est progressivement mis en place, assimilé dans l’ombre, et des poussées comme « Me too ». C’est à vous, aux historiens, de voir à quel moment se déroulent les événements marquants. Ce qui se déroule entre deux événements marquants est peut-être encore plus important, car c’est à ce moment que les choses se consolident. Il s’est passé énormément de choses dans les années 1990, même si l’on avait à ce moment-là l’impression d’une retombée.

Vous avez fait le lien entre ces vagues et les brèches du pouvoir. Les féminismes s’expriment-elles à des moments porteurs, ou à des moments de remise en cause des droits des femmes, comme par exemple le droit à l’avortement aux Etats-Unis.

Michelle Perrot

Cette expression de « brèches du pouvoir » signifie que la déstabilisation du pouvoir est favorable aux mouvements de femmes. Le retour en arrière ou « backlash » correspond à des moments où des opposants aux féministes tentent de reprendre le dessus après une poussée féministe. Il est difficile de juger la situation actuelle. Le mouvement « Me too » est vieux de 5 ans, et on a l’impression aux Etats-Unis d’un retour en arrière dangereux. C’est moins le cas en France, où les jeunes féministes font penser à celles des années 1990. Elles emmagasinent, inscrivent leur mouvement dans l’ordre des jours. Les masculinismes constituent une réaction conservatrice dont on peut s’attendre à ce qu’elle succède aux féminismes. 

 

La prochaine vague de féminisme pourrait-elle être celle du pouvoir ? 

Michelle Perrot

Les droits politiques pour les femmes sont récents. Il a fallu beaucoup de temps pour que les femmes accèdent à la représentation. Il y a eu après la guerre un mouvement de reconnaissance du rôle des femmes dans la résistance qui leur a permis d’accéder au Parlement. Ce mouvement est rapidement retombé. Simone Veil s’excusait ainsi de parler devant une assemblée composée d’hommes. Le féminisme a été partagé entre un féminisme paritaire en faveur de la discrimination positive et les féministes hostiles à la parité. On constate aujourd’hui que celle-ci a fonctionné en augmentant sensiblement la représentation des femmes dans les assemblées. La parité est aussi devenue un principe plus général, qui s’étend par exemple aux Conseils d’administration des entreprises. Il faut toujours distinguer le droit juridique et le droit réel. Aujourd’hui, le fait que nous ayons une Première Ministre politique est reçu de manière plus normale que ce fut le cas pour Edith Cresson. Elisabeth Borne est contestée pour ses mesures, mais pas pour sa qualité de femme. Le cas italien montre par ailleurs que les femmes accèdent au pouvoir sans être des femmes de progrès. 

Françoise Miliewski 

La parité a fait l’objet d’un débat autour de la question de l’efficacité, comme si elle augmentait le risque de nommer des personnes incompétentes. Elle consiste en réalité à substituer à des quotas invisibles des quotas formalisés par des nombres. A l’inverse, l’efficacité peut être mentionnée comme un moyen d’accroître l’efficacité. Dans la sphère économique, on trouve souvent l’argument selon lequel la mixité apporterait plus de valeur ajoutée. Il faut se convaincre du fait que la parité serait souhaitable même si ce n’était pas le cas. En matière de parité, on traverse de multiples débats sur le pourquoi et le comment. 

 

« Me too » est accusé de créer un climat de suspicion entre les femmes et les hommes. Ces critiques s’inscrivent-elles dans une continuité ou s’agit-il d’une spécificité liée aux réseaux sociaux ?

Michelle Perrot

Il faut garder à l’esprit qu’en histoire, rien n’est jamais la même chose. L’histoire est un changement perpétuel. Les réseaux sociaux changent certainement la donne. Les mouvements prennent des formes plus massives. En outre, « Me Too » pose la question des rapports masculin/féminin de manière différente. Il en va de même pour la critique des réunions non mixtes, qui existaient déjà dans les années 1970 et faisaient l’objet des mêmes attaques.

 

Dans une perspective d’histoire du genre, comment exaucer l’aspiration universaliste d’une égalité des hommes et des femmes sans pour autant gommer les attributs qui sont ceux du féminin et du masculin? Comment reconnaître la valeur de ces attributs sans essentialiser les hommes et les femmes?

Michelle Perrot

J’ai débord été universaliste, dans la lignée de Simone de Beauvoir. Les essentialistes étaient les psychanalystes et les littéraires, alors que les historiennes et les sociologues étaient universalistes. Ma vision a évolué. Les essentialistes ont apporté beaucoup car elles ont pris le sujet « femme » à bras le corps. Ce fut le cas des Italiennes, qui pour des raisons qui sont peut-être culturelles, sont beaucoup plus essentialistes que les Françaises. Il faudrait arriver à manier les deux concepts et les croiser. Ceci étant, même si on veut étudier l’objet femme, on ne peut pas l’isoler car le monde est mixte. Le genre a l’avantage de poser la question centrale du rapport entre les hommes et les femmes, et pour les historiens, comment ils ont changé à travers le temps.

 

Question méthodologique : comment une historienne féministe étudie-t-elle les femmes antiféministes ?

Michelle Perrot

Je suis historienne et féministe, mais pas historienne féministe. Cela signifie que l’histoire des femmes n’est pas une histoire sainte. Il y a dans la discipline historique une exigence de vérité, une quête de vérité. Je revendique l’héritage des grands historiens qui m’ont précédée. Cependant, je pense que nous avons fait l’histoire des femmes parce que nous sommes engagées dans l’histoire des femmes. Dès lors que l’on s’intéresse à l’histoire des femmes, on intègre de nouvelles sources, comme les objets, on interroge les sources autrement. L’antiféminisme est également un objet d’histoire qui s’exprime par des textes, des actes. On étudie l’antiféminisme comme on étudierait le féminisme. Fille de pasteur, ancienne résistante, Evelyne Sullerot fonde, avec la gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, l’association Maternité heureuse en mars 1956. Cette dernière, bien que médecin, était hostile à l’IVG. 

 

Quelle est la relation entre la religion, le féminisme, les femmes et les différentes façons d’être féministe ? On associe souvent le féminisme à la sécularité, mais ce n’est pas toujours le cas.

Michelle Perrot

Les grandes religions monothéistes ont été, au moins dans les organisations si ce n’est dans les croyances, des instruments de la domination masculine. Je me réjouis de vivre dans un pays laïc où les croyances sont une question privée. Cependant, poser la question des rapports de sexe dans les religions est passionnant. La laïcité française est une exception. Les femmes iraniennes suivent un chemin de liberté contre la domination masculine.

Eduardo Castillo

J’ai interrogé une Prix Nobel iranienne qui ne comprenait pas le débat français sur le voile car pour elle la question centrale est celle de la liberté. Nous avons parfois tendance en France à coller nos débats sur des réalités différentes.

Michelle Perrot

Je suis attachée à l’interdiction du voile à l’école. Cependant, je suis opposée à toute interdiction hors de l’école, qu’il s’agisse des femmes à l’université ou des mères qui accompagnent les enfants en sortie scolaire. Par ailleurs, il ne faut pas se priver de réfléchir à ce qu’a été le voile dans l’histoire. Le voile est d’abord chrétien: il est mentionné dans l’Épître de Saint Paul. C’est un objet d’histoire particulier qui doit être étudié dans ses différents contextes.

Bibliographie

Michelle PERROT

  • Michelle PERROT, Enquêtes sur la condition ouvrière en France au 19e siècle, Paris, Hachette, 1972.
  • Michelle PERROT, Les ouvriers en grève, 1871-1890, Paris-La Haye, Mouton, 1974.
  • Michelle PERROT, Délinquance et système pénitentiaire en France au xixe siècle, Annales. Économies, sociétés, civilisations, 1975.
  • Michelle PERROT (dir.), L’Impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXe siècle, Paris, Seuil, 1980.
  • Georges DUBY et Michelle PERROT, Histoire des femmes en Occident, Paris, Plon, 1991.
  • Georges DUBY et Michelle PERROT, Images de femmes, Paris, Plon, 1992.
  • Michelle PERROT, Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998.
  • Michelle PERROT, Les ombres de l’histoire : crime et châtiment au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2001.
  • Michelle PERROT, Mon histoire des femmes, Paris, Seuil, 2006.
  • Michelle PERROT, Histoire de chambres, Paris, Seuil, 2009.
  • Michelle PERROT, George Sand à Nohant : Une maison d’artiste, Paris, Seuil, 2018.
  • Michelle PERROT et Eduardo CASTILLO, Le Temps des féminismes, Paris, Grasset, 2023.

Recherche

Source

  • Christine de PISAN, La Cité des dames, 1405.