Cette table ronde tente de répondre à l’interrogation suivante : quels facteurs ont-ils permis à des groupes humains d’en dominer d’autres sur de très vastes espaces et parfois de très longues durées ? Force ou organisation ? Exploitation ou partage des richesses ? Répression ou conviction ? Ségrégation ou intégration des vaincus ? Pour répondre à cette question, plusieurs spécialistes participent au débat: Michel Bertrand, professeur d’histoire moderne et directeur de la Casa de Velázquez depuis janvier 2014; Alexandre Farnoux, directeur de l’École française d’Athènes, Luca Gibbiani, maître de conférences à l’École française d’Extrême-Orient, Emmanuel Laurentin, journaliste et producteur de La Fabrique de l’histoire sur France Culture, Nicolas Michel, directeur des études de l’Institut français d’Archéologie Orientale, Catherine Virlouvet, directrice de l’École française de Rome et Julien Fournier, Directeur des Etudes Epoques antique et byzantine à l’École française d’Athènes.

I/ La citoyenneté, ciment de l’empire romain?


L’empire romain influence durablement les civilisations du pourtour de la Méditerranée, par sa durée qui s’étend sur un demi-millénaire jusqu’au Vème siècle de notre ère. C’est un phénomène remarquable, car avant lui les empires étaient plutôt orientaux. Cette entité impériale ne se revendique pas de l’empire macédonien mais plutôt de l’héritage des cités grecques et de sa conception de la citoyenneté. Cependant, la citoyenneté romaine n’est pas uniquement liée au sang, différence fondamentale avec les grecs, elle s’étend au gré des conquêtes. Les citoyens ont donc deux patries, leur cité et Rome. L’unité de l’ empire est renforcée par un réseau de voies romaines remarquable et la poste publique y est efficace pour la propagation des nouvelles officielles, mais il y a peu de fonctionnaires et de troupes militaires. C’est donc bien ici la citoyenneté qui est le ciment essentiel du maintien de l’empire. Ce sont principalement les élites qui sont intéressées par la citoyenneté. Grâce à elle, elles peuvent jouer un rôle dans la vie publique et politique. C’est ainsi qu’une personne qui remplit les conditions de fortune et possède la citoyenneté romaine peut aspirer à de hautes fonctions dans l’Empire. L’apogée de cette ouverture est l’édit de Caracalla en 212 qui est un coup de tonnerre. Cet édit est un changement politique radical, car avant lui, la citoyenneté était censée être accordée « au mérite »; cette ouverture est donc une révolution. Catherine Virlouvet en propose plusieurs explications : le besoin d’argent, la volonté de simplification ou une volonté plus familiale, celle de la dynastie des Sévères.

II/ L’empire d’Alexandre, un empire immense mais éphémère


L’empire fondé par Alexandre le Grand fut un empire immense mais dont l’unité n’a pas survécu à son fondateur. Aux débuts de l’histoire grecque, les Hellènes ne fondent pas d’empire, ils en rejettent le principe. L’empire grec est né dans les confins du monde des cités. Pour les grecs, l’empire est une forme politique monarchique et donc barbare. La monarchie macédonienne est avant tout militaire. Le roi est un monarque victorieux; c’est une monarchie expansive par essence. Mais les héritiers d’Alexandre ne peuvent devenir des rois victorieux, car son demi-frère est épileptique et son fils posthume est trop jeune. Cet empire est donc le fruit d’un triple héritage: l’héritage macédonien pour le fonctionnement monarchique, l’héritage grec pour le fonctionnement des cités (Alexandrie, Antioche …) et l’héritage perse pour le fonctionnement de l’administration en satrapie.

III/ L’empire ottoman

L’empire ottoman ignore le principe de la citoyenneté. L’empire se construit par conquête sous une dynastie. Ce n’est pas un état patrimonial, le territoire n’appartient pas au sultan qui en est juste le dépositaire. L’empire intègre des populations non turques. Dès l’origine, les ottomans sont aux frontières de l’islam et son expansion se fait au détriment de l’empire byzantin. Les Ottomans gouvernent dans les premiers temps des populations non musulmanes qu’ ils ne cherchent pas à convertir. On ne peut pas vraiment parler d’empire avant le 15ème siècle et jusqu’à cette époque, les hauts fonctionnaires peuvent être chrétiens. Ce n’est qu’au 16ème siècle que cette entité devient un empire et que les fonctionnaires s’islamisent. L’empire crée sa propre élite en enlevant les enfants dans les familles et en les formant au palais. Il n’existe pas de mot turc pour parler d’empire, on parle de sultanat. A partir de Soliman le magnifique, une identité et une culture ottomane commencent à s’épanouir (architecture, poésie, littérature). Culturellement, l’empire regarde plutôt vers l’est, mais ses principaux adversaires sont à l’ouest: Venise et à partir de Charles Quint les Habsbourg.

IV/ L’Empire espagnol


L’empire espagnol est une construction atypique, car il naît de la volonté de contourner les musulmans. L’objectif originel fut d’atteindre l’Asie par l’ouest, pas l’Amérique dont on ignorait l’existence. Après les découvertes de Christophe Colomb à la fin du XVème siècle, suivirent des initiatives personnels et des investissements individuels. Par exemple, Cortès prétendait agir au nom du roi alors qu’il n’en n’était rien. Pour défendre son entreprise, il écrivit au roi des lettres en lui décrivant son périple. Dans les années 1520-1560, les représentants du roi reprirent le dessus en négociant notamment avec les descendants des conquistadors et en leur accordant des privilèges par le système de l’encomienda ( attribution des terres et des pouvoirs sur les populations, des fonctions administratives etc.). Une partie de l’Église dénonça la conquête mais elle avait aussi des intérêts à défendre: il fallait évangéliser les populations et cela coûtait cher… Elle se rallia donc rapidement au projet impérial.
En Amérique, le métissage fut très précoce posant rapidement un problème de statut. Dans cette société d’ancien régime, il n’existait que deux statuts, espagnol ou indien. Les métis cherchèrent à acquérir le statut espagnol.

V/ La dynastie Tsing, la dernière des dynasties impériales chinoises


La dynastie des Tsing, vingt-deuxième et dernière dynastie impériale chinoise, est originaire de Mandchourie. Dynastie fondée en 1644, elle se maintient à la tête de l’Empire chinois jusqu’en 1911, jusqu’à l’avènement de la république. Le pouvoir n’est pas de droit divin. La légitimité du pouvoir repose avant tout sur la capacité de l’empereur à maintenir ou à rétablir l’ordre et l’harmonie dans la société.