La laïcité est une dimension essentielle de la République et repose notamment sur une obligation de neutralité des agents et sur une limitation de l’expression de certains usagers (établissements scolaires et hôpitaux), le tout encadré par des dispositifs spécifiques mis en place dans ces structures.

Ce webinaire, organisé par le département Droit et transformations sociales de l’université de Bordeaux, à destination du grand public et de la communauté universitaire, a pour objectif d’aborder la question de la neutralité des agents et des usagers dans les services publics (établissements scolaires et hôpitaux) ainsi que les dispositifs spécifiques mis en place dans ces structures afin d’assurer une bonne transmission du principe de laïcité et veiller à son respect.

Intervenants

– Cécile Castaing, Professeur de droit public, Institut Léon Duguit, université de Bordeaux
– Félicie Fauconnet, Adjointe à la Chef du Département de la fonction publique, du droit du travail et des baux, Direction des affaires juridiques et des droits des patients de l’AP-HP
– Laurent Lom, IA-IPR Histoire Géographie, Référent académique valeurs de la République
– Boumediene Medini, Coordinateur laïcité et cultes, Département de la fonction publique, du droit du travail et des baux, Direction des affaires juridiques et des droits des patients de l’AP-HP
– Sylvain Niquège, Professeur de droit public, Directeur de l’Institut Léon Duguit, université de Bordeaux

Laïcité et neutralité à l’école et à l’hôpital

Intervention de Cécile Castaing, Professeur de droit public, Institut Léon Duguit, université de Bordeaux.

La laïcité n’est pas un droit de la personne mais un principe d’organisation de la République, qui garantit l’expression de toutes les croyances sans en imposer aucune. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 inscrit le respect des religions dans le cadre des libertés publiques.
Ce principe de laïcité s’impose à tous, selon des modalités différentes et la prise en compte de certains cas particuliers. Par exemple, à l’hôpital,
un malade de longue durée peut faire usage de sa religion et en a même besoin. Le patient n’est pas libre d’aller et venir et sa liberté d’aller est restreinte par la maladie. Par conséquent, il ne peut pratiquer son culte comme le ferait une personne bien portante. Les patients doivent pouvoir exercer le libre exercice de leur religion. Depuis la loi 1905, un service d’aumônerie garantit le pluralisme religieux, sous forme contractuelle ou bénévole. L’hôpital n’est toutefois pas juridiquement tenu de respecter toutes les revendications religieuses des patients. Concernant les rites mortuaires et religieux, l’hôpital doit-il respecter le souhait des patients ? La réponse est oui.

Du côté des agents, en contact avec les patients (et/ou des stagiaires), il leur est strictement interdit d’adopter des signes manifestes de croyances religieuse. Il y a eu un cas de jurisprudence sur une barbe un peu trop longue qui aurait pu manifester une appartenance religieuse trop importante.

Intervention de Sylvain Niquège, Professeur de droit public, Directeur de l’Institut Léon Duguit, université de Bordeaux.

L’éducation nationale, en tant que service public, doit respecter la laïcité dans les établissements scolaires. La neutralité des agents est importante car il y a un contact privilégié avec les mineurs. Il faut également les protéger des partis pris religieux. Ils doivent être libres de croire en ce qu’ils veulent. L’école étant un lieu clos (contrairement à l’hôpital), la neutralité est essentielle.

Les plus grands textes, surtout pour l’école, traitent des agents ou des programmes. La constitution de 1946 (Alinéa 13) le rappelle, l’enseignement est public, gratuit et laïc. Jusque dans les années 1980, les textes prévoient la protection des usagers (élèves) face à des agents qui pourraient les influencer. Puis, on observe un glissement : les élèves doivent aussi être protégés d’autres élèves. Cela aboutit à la loi de 2004 où tous les signes ostensibles manifestant une appartenance religieuse sont interdits. La loi de 2019 pour l’école de la confiance interdit même aux abords des écoles, toute pression ou tentative d’endoctrinement des usagers. Un autre problème se pose avec les vêtements portés par les accompagnateurs de sorties scolaires :  peut-on leur imposer une interdiction de signes religieux ? Le nouveau plan laïcité (novembre 2022) a été publié dans ce contexte.

Les élèves majeurs, quand ils sont scolarisés dans le second degré, restent soumis à la loi de 2004, avec le même devoir de discrétion.

Dans l’enseignement supérieur, il n’y a pas d’interdiction sur le port des signes distinctifs (sauf dans le cadre d’un stage) MAIS aucun lieu de culte n’est réservé aux étudiants et il n’y a pas de pratique religieuse possible (lieu de passage).

Intervention de Félicie Fauconnet, Adjointe à la Chef du Département de la fonction publique, du droit du travail et des baux, Direction des affaires juridiques et des droits des patients de l’AP-HP

On l’a dit, les professionnels ne doivent porter aucun signe religieux alors que les usagers, se voient reconnaitre une liberté de conscience et de pratique religieuse. Toutefois, cette pratique reste encadrée, du fait notamment des règles d’hygiène réclamées par les soins. De même, quelle que soit sa religion, un patient sera toujours pris en charge.

Que se passe-t-il quand un patient refuse un soin pour motif religieux ? La loi de 2002 privilégiant l’autonomie du patient, celui-ci a le droit de refuser le traitement, pourvu qu’il dispose de sa capacité de discernement et que son refus ait été répété à plusieurs reprises. Par exemple, le CHU de Bordeaux a été condamné pour avoir transfusé une patiente sans son consentement. Celle-ci avait exprimé son refus de transfusion sanguine pour motifs religieux lors d’une opération. Or, comme la patiente était endormie sous anesthésie, elle n’a pas pu exprimer son refus « plusieurs fois » et a quand même été transfusée pendant son opération. Au réveil, elle a eu besoin d’une autre transfusion et les médecins l’ont sédatée pour lui donner sa transfusion. La justice a tranché en faveur de la patiente.

Intervention de Boumediene Medini, Coordinateur laïcité et cultes, Département de la fonction publique, du droit du travail et des baux, Direction des affaires juridiques et des droits des patients de l’AP-HP

Les hôpitaux doivent mettre en œuvres des services d’aumônerie pour permettre une pratique religieuse des patients. Ce sont des lieux ouverts sous la responsabilité des aumôniers (salariés ou bénévoles). Les aumôniers sont dans l’obligation d’être accompagnés par le professionnel de santé qui doit rester professionnel.
Concernant l’alimentation, il n’y a pas d’obligation de proposer des repas spécifiques dans les établissements de santé. Lors de la prise en charge d’un patient, on peut demander une alimentation en rapport avec sa religion. Cela n’ira pas jusqu’au repas hallal ou casher mais on peut accéder à certains vœux (ne jamais servir de viande par exemple). Toutefois, c’est au patient de donner son avis ; on ne doit pas anticiper ce que serait son souhait. Par exemple, une patiente avec un prénom de consonance maghrébine n’a jamais été servie en porc à tort, alors qu’elle voulait de la viande. Les agents n’ont eux pas le droit d’avoir des demandes de ce type dans les cantines.

Intervention de Laurent Lom, IA-IPR Histoire Géographie, Référent académique valeurs de la République

L’école de la République est émancipatrice et doit offrir aux élèves des espaces de respiration laïque. On ne peut pas parler de neutralité pour les usagers ou parents d’élèves : on parlera de devoirs de discrétion.

Les limites à la loi de 1905 sont de deux sortes :
1) En 1989, avec les premières affaires sur les signes distinctifs à l’école, apparaît la question de ce que l’on peut attendre des élèves. Depuis, il demeure un malaise ambiant
2) La liberté de conscience (article 1 de la loi).

Le code éducation L 141 stipule :

TITRE IV – LA LAÏCITÉ DE L’ENSEIGNEMENT PUBLIC
Chapitre unique
Art. L 141-1. – Comme Il est dit au treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture; l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ».
Art. L 141-2. – Suivant les principes définis dans la Constitution, l’État assure aux enfants et adolescents dans les établissements publics d’enseignement la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes dans un égal respect de toutes les croyances.
L’État prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’ Instruction religieuse.
Art. L 141-3. – Les écoles élémentaires publiques vaquent un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’Ils le désirent, à leurs enfants l’Instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires.
L’enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées.
Art. L 141-4. – L’enseignement religieux ne peut être donné aux enfants inscrits dans les écoles publiques qu’en dehors des heures de classe.
Art. L 141-5. -Dans les établissements du premier degré publics, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque.
Art. L 141-6. – Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et Indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou Idéologique; Il tend à l’objectivité du savoir; Il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.

Pourtant, à l’école, les élèves ont une idée bien ancrée : celle de l’interdiction de la religion à l’école alors que la laïcité à l’école n’est pas liberticide. Les enseignants doivent bien l’inculquer aux élèves. Concernant les repas, les élèves peuvent manger ce qui ne va pas à l’encontre de leur pratique religieuse. Il n’y a pas de repas casher ou hallal.

Pour les parents, il y a trois cas de figure :

1) Celui qui vient en réunion (personnellement ou en tant que délégué) dans l’établissement n’est pas soumis à l’obligation de neutralité.
2) Celui qui accompagne à l’extérieur n’est pas soumis à l’obligation de neutralité.
3) Celui qui, dans l’établissement, collabore à une activité pédagogique, est soumis à l’obligation de neutralité.

 

Comment mettre en œuvre la laïcité ?

Intervention de Félicie Fauconnet et de Boumediene Medini.

À l’hôpital, il y a un référent laïcité pour expliciter les principes de laïcité et rappeler les droits et devoirs en la matière. On rappeler la neutralité même pour les bénévoles intervenant à l’hôpital. Les aumôniers doivent passer une formation sur la laïcité.

Laurent Lom, IA-IPR Histoire Géographie, Référent académique valeurs de la République

Voir le document PDF pour voir deux schémas de la mise en place de la laïcité à l’école.