Intervenante : Sylvie Lembe

La conférence se focalise sur la problématique de l’inscription de l’Afrique sub-saharienne dans la géostratégie globale américaine. A la fin des années 1980, l’Afrique a été délaissée par les Etats-Unis qui viennent alors de vaincre l’URSS. Néanmoins très vite l’administration Clinton perçoit les opportunités de ce continent et y développe une nouvelle géostratégie. Les indicateurs de ce regain d’intérêt sont multiples :

  1. Sur le plan diplomatique : le président Clinton a effectué plusieurs déplacements au sud du Sahara, comme en Tanzanie et au Nigéria (géopolitique des hydrocarbures). D’autres officiels se déplaceront comme Madeleine Albright sous la deuxième présidence Clinton. L’administration Bush mènera aussi des déplacements sur le terrain, caractérisés par des durées records (plus de 3 jours). Cette dynamique fut poursuivie par Obama, visitant Accra en juillet 2009 et réunissant à Washington plus de 40 chefs d’Etat africains http://www.rfi.fr/ameriques/20140121-obama-invite-dirigeants-47-pays-africains-sommet-washington.
  2. Sur le plan sécuritaire : préoccupation importante des Etats-Unis. Clinton comprend rapidement qu’il ne peut délaisser cet espace, malgré le fiasco somalien qui convainc le pays de ne plus intervenir au sol. C’est en ce sens que sera définit l’Africa Crisis Response Initiative (ACRI). L’objectif est d’amener les africains à assurer eux-mêmes leur défense. Bush, malgré son programme électoral poursuivra dans cette stratégie de défense autonome à la suite du 11 septembre 2001 et des liens établis entre les terroristes et le terrain africain par la Commission d’Enquête. Dans un contexte d’explosion des crises (Tchad, République Centrafricaine, Côte d’Ivoire, Libéria etc.) une mission permanente devient nécessaire : l’AFRICOM est créée en 2008 par George W Bush.
  3. Sur le plan économique : Parallèlement, au cours des années 1990, les grandes entreprises américaines prennent conscience des potentiels économiques énormes de ce territoire : Coca Cola, Chevron etc. y sont largement implantées et exploitent les ressources. La découverte dans la seconde moitié des années 1990 d’immenses réserves d’hydrocarbures dans le golfe de Guinée et la découverte de gisements de minerais rares comme le coltan et l’uranium participeront de cet intérêt accru.
  4. Sur le plan social et humanitaire : Les Etats-Unis ont été sensibles à la misère de nombreux Etats africains, notamment sous la présidence Bush qui porte à la question un grand intérêt personnel http://www.courrierinternational.com/article/2008/02/15/george-w-bush-un-heros-pour-l-afrique. Obama s’inscrira dans cette ligne lors de son second mandat, en se penchant sur l’avenir de la jeunesse africaine : fondation du Young African Leader Initiative et facilitation d’octroi de bourse aux jeunes africains et accueil d’étudiants sur le sol étasunien.

Raisons du regain d’intérêt :

Qu’est-ce qui justifie cette reconsidération ? Mme Lembe la justifie à la lumière de deux points :

  1. Attention géostratégique : l’Afrique n’est plus le seul pré-carré européen à la chute de l’URSS. L’accès aux ressources stratégiques, le contrôle des routes maritimes sont au centre de cette politique.
  1. Enjeu géopolitique : Inquiétude par l’arrivée rapide de la Chine dans la zone (1er partenaire économique). Il est hors de question de laisser l’Afrique à l’avantage de la Chine, notamment dans l’accès des ressources du golfe de Guinée. Se percevant comme la seule hyperpuissance, la politique étasunienne s’apparente à une lutte contre une sorte de « péril jaune », en contenant l’avancée. dans la région. Cette crainte s’étend aussi aux pays émergents et les BRICS dans leur ensemble.

Questions :

Pourquoi limiter le golfe de Guinée à la Côte d’Ivoire et pourquoi ne pas remonter jusqu’au Sénégal ? Tout dépend de la représentation et des intérêts que nous en avons. Mme Lembe a pris ici la représentation étasunienne.

Délimitation du sujet à l’Afrique sub-saharienne : est-ce que le désintérêt étasunien a touché aussi le nord de l’Afrique ? L’Afrique a toujours été découpée en deux parties, et le nord dépend du Middle East. Exposé concentré sur la région du golfe car il s’agit de la partie la plus riche.

Evolution entre la politique de l’administration Obama et les administrations précédentes, du fait de ses origines ? Mme Lembe pense que la question qui se pose tend surtout de l’interprétation des actions d’un Etat, et pas d’un seul homme. Si Obama a des racines africaines, cela ne signifie en rien un intérêt particulier pour la région : les décisions étatiques ne sont pas le reflet de l’histoire d’un homme, tout président qu’il est, mais celui de l’intérêt commun des citoyens.

Conditions imposées par les Etats-Unis à l’aide ou la politique qu’ils veulent imprimer en Afrique ? Mme Lembe ne pense pas que le président Bush est imposé des décisions sociétales comme prélude à toute aide. Mais des conditions économiques et de respect des droits de l’homme oui : ainsi tous les Etats où les élections libres ne sont pas respectées sont retirés des listes des pays bénéficiaires d’aides.

Intérêt étasunien limité aux Etats anglophones ? La préoccupation sur les pays anglophones est plus importante effectivement, par proximité culturelle. Rappelons que les liens Etats-Unis/Afrique sont très récents, et très peu approfondis.

Réel désintérêt des Etats-Unis sur le continent ou engagement sous conditions ? Mme Lembe pense que l’on ne doit pas lire toutes les interventions américaines sous le signe de l’intérêt économique. Peut-être est-ce de la naïveté mais le sentiment philanthropique, inscrit dans le parcours des Pères Fondateurs, est présent dans la politique étasunienne.

Est-ce que l’intérêt de plus en plus croissant des Etats-Unis ne va pas renforcer un « mental d’assisté » chez l’africain ? Mme Lembe refuse de lire le retour des Etats-Unis ou des puissances émergentes en Afrique sous le prisme de l’échec. Au contraire toutes ces puissances qui se ruent sur le continent, dans un contexte de mondialisation, permettent aux africains de se développer.