Le hasard fait bien les choses : dans l’enceinte de l’ESPE de Blois, institution chargée de la formation et de la préparation des futurs enseignants aux concours de l’enseignement, Jean-Baptiste Noé, historien et Clionaute, se propose ce vendredi après-midi de traiter la question de Galilée, au programme actuel du CAPES écrit Sciences, techniques, pouvoirs et sociétés au XVIe – XVIIe siècle.
La salle pleine témoigne de l’attrait du public des Rendez-Vous de Blois pour le personnage. Jean-Baptiste Noé débute d’ailleurs sa présentation en rappelant combien il trouve la question passionnante et ce à plus d’un titre :

1. Celle-ci permet de s’immerger dans un mode totalement différent du nôtre
2. En abordant cette question nous nous inscrivons dans un continuum historique sur la question qui nous relie aux babyloniens.

La communication s’articule en trois points :

1, Le contexte : on ne peut pas comprendre l’évènement sans une re-contextualisation intellectuelle, politique, social et politique.
2, L’inscription de la pensée de Galilée dans une continuité intellectuelle
3, Aborder la question des procès de Galilée en eux-mêmes : pourquoi ces deux procès ? Pour quelles conséquences ?

I, Le contexte :

Jean-Baptiste Noé débute sa communication en prenant soin de replacer la question galiléenne dans le cadre de l’Europe du XVIIème siècle. Nous devons alors noter le contexte multiple dans lequel s’inscrit l’affaire :

1, Tout d’abord la division de l’Europe : au niveau théologique, entre catholiques et protestants, eux-mêmes étant divisés en plusieurs groupes (Galilée était lui-même proche des jésuites). C’est une clé pour comprendre la crise de Galilée car la question scientifique aura des répercussions théologiques.
2, Cette division s’accompagne d’une dispersion politique de la péninsule italienne et notamment la lutte d’influence que se mènent Rome et Florence.
3, Enfin évoquons le cadre scientifique dans lequel s’inscrivent les travaux de Galilée. En effet celui-ci n’est « qu’un nom » parmi de multiples grands scientifiques contemporains comme Tycho Brahe ou Kepler avançant hypothèses et théories contredites

2, Galilée : une continuité scientifique :

Un autre élément dans le contexte : la cosmogonie. Cette question est débattue depuis longtemps déjà : Nicolas Oresme (1320-1382) est l’un des premiers auteurs médiévaux à évoquer la rotation de la Terre autour du Soleil, reprenant ces idées des auteurs grecs, mais il n’arrive pas à démontrer son idée. Ces propos seront repris et complétés par Nicolas de Cue

En 1514 arrive Copernic. Chanoine théologien et mathématicien, il voyage beaucoup et reprend dans ses travaux tous les auteurs précédents, depuis les babyloniens, en publiant un traité d’astronomie expliquant que la Terre tourne autour du Soleil, mais il en parvient pas à démontrer son hypothèse pour des questions techniques. Plus ou moins bien reçu par la communauté scientifique (certains scientifiques réfutent Copernic, tel Francis Bacon ou encore Tycho Brahe jugeant les théories du chanoine comme allant contre « l’ordre naturel »), sa théorie est critiquée principalement sur un point : la distance prise par Copernic avec les Écritures, et notamment avec le Livre de Josué et l’épisode de la course du Soleil arrêtée. Cette distance prise par Copernic illustre les difficultés grandissantes des scientifiques de parvenir à lier travaux scientifiques et observations avec les Écritures. Ainsi peu à peu la question astronomique dérive sur la question théologique.

Cette tension permanente entre sciences et théologie s’illustre d’ailleurs dans la correspondance qu’entretiennent Galilée et le cardinal Bellarmin, ami jésuite de Galilée et s’opposant au scientifique. Celui-ci appelle les hommes de science à avoir l’humilité de reconnaitre ne pas savoir interpréter les Écritures plutôt que les condamner.

Face à ces oppositions des princes usent de leurs richesses pour faire venir ces scientifiques à la cour pour financer leurs recherches et produire des ouvrages. On parlerait de nos jours de soft power.

3, Les procès de Galilée :

Galilée a commencé sa carrière à Pise et est d’abord un mathématicien. Peu à peu ses travaux gagnent l’astronomie. Il bénéficiera alors de l’apparition, à la même époque, des premières longues-vues. Utilisées dans un premier temps pour observer les draps, celles-ci vont gagner progressivement le domaine militaire puis scientifique.

Passant de Pise à Venise, Galilée devient le scientifique attitré des Doges, publiant pour ceux-ci, avant de rejoindre Florence où il fera la découverte d’une étoile qu’il nommera Médicis. Voyageant souvent à Rome, celui-ci se lie d’amitié avec Bellarmin et Maffeo Barberini, futur Urbain VIII.

Plusieurs de ses écrits vont abonder les propos de Oresme ou encore Copernic sur la révolution terrestre. S’il dispose de lunettes astronomiques Galilée ne parvient toujours pas à démontrer sa théorie. Face aux reproches qui lui sont adressés sur sa suffisance Galilée prend la mèche, commence à dénoncer ses camarades, si bien que ses amis romains vont tenter de le protéger en lui faisant un procès (afin de le mettre en garde) en 1616.

Mai 1616 : le cardinal Bellarmin accueille son ami Galilée dans les commissions de l’Inquisition qui a en charge la publication des ouvrages (on parle de l’Index). Il sera demandé à Galilée de ne pas affirmer sa théorie mais de demeurer dans l’hypothèse. Galilée signe alors un document l’obligeant à ne plus affirmer ses idées (procédure de mise en garde). Par cette démarche les amis de Galilée le protégeaient de toutes nouvelles attaques.

Néanmoins 15 ans plus tard Galilée recommencera à affirmer sa théorie, alors même que ses protecteurs sont décédés. Face à ce reproche un second procès se tiendra en 1633. A travers son Dialogue sur les grands systèmes du monde, Galilée, dans une forme très platonicienne, présente les oppositions cosmogoniques tout en prenant parti pour Copernic, toujours sans pouvoir en apporter la preuve et en tournant en ridicule le Pape Urbain VIII parodié sous les traits de Simplicius.

Le contexte est alors essentiel : au même moment Urbain VIII est pris à parti par le camps espagnol de la Curie, mené par le cardinal Borgia, qui lui reproche d’être faible dans la lutte contre le protestantisme en pleine guerre de Trente Ans. Urbain VIII aurait pris pour cause le Dialogo de Galilée pour le faire condamner et réaffirmer de la sorte sa domination.

8 chefs d’accusation sont portés, dont les plus importants sont :

1. Avoir mis l’imprimatur de Rome dans son Dialogo alors que l’ouvrage a été publié à Florence
2. Avoir publié la préface sans la faire lire
3. Avoir affirmer des hypothèses non vérifiables
4. Avoir mépriser les auteurs de l’opinion contraire (avoir ridiculisé le Pape)
5. Avoir voulu démontrer la rotation de la Terre par le mouvement des marées

Notons donc bien que Galilée n’est pas mis en procès pour avoir pensé la rotation de la Terre autour du Soleil. Convoqué par l’Inquisition pour venir à Rome, Galilée rechigne puis s’exécute. Étant protégé par le prince de Toscane, Galilée est alors logé dans le palais Médicis de Rome avant d’être hébergé dans le palais de l’inquisiteur. Acceptant finalement de se rétracter au bout de deux mois Galilée est condamné : l’ouvrage est retiré des ventes, Galilée est condamné à la prison (assignation à résidence) et à la repentance religieuse. S’il est repris de manière solennelle, nous devons recontextualiser, grâce à la philologie, la sentence et comprendre qu’elle fut bien moindre que le texte ne le laisse entendre.
La question s’arrête ici.

Et nous comprenons alors les ambiguïtés de l’affaire Galilée : celui-ci n’est pas condamné pour avoir pensé que la Terre tourne autour du Soleil, mais pour l’avoir affirmé sans preuve et pour avoir outrepassé les sentences de 1616. La condamnation est d’ordre politique bien que plus religieuse et scientifique. Galilée est un exemple fameux du décalage entre les textes contemporains et la mémoire construite sur ces évènements. La fameuse formule prêtée à Galilée : « Et pourtant elle tourne ! ».

Galilée est ainsi un scientifique capital, participant à l’autonomisation de la science vis-à-vis de la théologie. Nous sommes face à un homme qui a eu le génie de la communication, et dont le travail s’inscrit dans la continuité de l’évolution d’une pensée qui se veut de plus en plus rationnelle et autonome.

Retrouvez la captation vidéo de la conférence de Jean-Baptiste Noé ci-dessous, ainsi que le texte complet de la présentation de Jean-Baptiste Noé sur Clio-Prépas.

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