Inaugurer un festival est toujours un exercice particulier. Devant la forte affluence de l’auditorium, enthousiasmée à l’approche de l’ouverture des hostilités, le conférencier se voit confier la délicate tache de donner le « la » des échanges futurs. A ce titre le choix de Frédéric Encel apparait comme une décision de raison, tant sa capacité à emporter l’auditoire est connue. 

Sans faire mentir sa réputation, Frédéric Encel a donc assuré une présentation de 40 minutes très dynamique et agréable sur la géopolitique de Tel Aviv et l’intérêt géopolitique qu’elle présente.

I, Les origines

Les origines de Tel Aviv (littéralement « colline du printemps ») sont extrêmement bien datées : la fondation remonte à 1909 (2ème jour de Pessa’h). Les ambitions sionistes de Hertzl d’un « foyer national » juif président à la fondation de la ville. Bâtie sur les bords de la mer ex nihilo, Tel Aviv est littéralement la 1ère ville sioniste.

Tel Aviv se pense dès le départ comme l’antithèse de Jérusalem. Les sionistes sont très clairement laïcs voire anti-cléricaux, rejetant la pratique religieuse. Hertzl gardera de son voyage en terre palestinienne en 1898 une très mauvaise image : hygiène déplorable, épidémies, pratiques religieuses qui tiennent pour lui de la superstition etc. Tel Aviv est donc pensée comme l’antithèse de Jérusalem et comme lieu central d’un futur Etat-Nation, sur le modèle européen.

Techniquement, les dizaines de familles qui ont participé à l’achat des dunes de Tel Aviv au nord de Jaffa tirent au sort les lots qu’ils habiteront. De même surface, ces lots sont ordonnées de manière géométrique et des espaces réservées aux structures publiques (comme les réserves d’eau) sont préservés. A quelques km seulement, à Jaffa, la population arabe perçoit cette arrivée comme un greffon européen, qui se distingue en tout des traditions locales (occupation des sols, architectures etc.). A ce titre Tel Aviv n’est pas Jaffa et se construit même en opposition à elle. Jaffa est alors une petite ville maritime qui commerce avec les terres arabes voisines. C’est alors un des seuls accès aux terres palestiniennes. Doutant du bon accueil des populations locales, les dirigeants sionistes prévoient de bâtir un second port juif à proximité de Jaffa, Tel Aviv, pour s’assurer un approvisionnement et un moyen efficace d’assurer le rapatriement de tous les juifs du monde. Il faut donc pas ignorer que la cité est pensée aussi pour s’assurer une indépendance vis à vis des arabes.



La centralité de Tel Aviv, effective jusque dans les années 1970, s’explique de plusieurs manières.

  • Tout d’abord Tel Aviv prend une place centrale dans le proto-Etat qui se développe dans les années 1920. En effet, les 4 premières vagues d’immigration (avant 1918) juives sont composées d’individus aspirant à retourner à la terre et à tirer leurs subsistances de k’agriculture, en rupture nette et franche avec les ancêtres européens. C’est la génération des premiers kibboutz, de David ben Gourion et Golda Meir. La 5ème vague migratoire, venant de Pologne puis d’Allemagne et d’Autriche, souhaite être au contraire s’implanter en ville, c’est à fire à Tel Aviv.
  • Cette centralité va encore s’accentuer avec les premières rixes entre sionistes et arabes. Les populations juives sont durement frappées dans les zones reculées de la région (montagne, petits villages) mais aussi à Jérusalem, où la présence israélite est récente et très minoritaire numériquement.
  • Durant la guerre de 1947 Tel Aviv se retrouve éloignée du front. Les généraux, les ministres et la population se replient et se concentrent alors sur le littoral. Il n’est donc pas étonnant que la création de l’Etat d’Israel soit proclamée depuis Tel Aviv en 1948
  • Après la guerre, dans les années 1950-1960, Tel Aviv devient un lieu de villégiature prisé des populations israéliennes, travaillant à Jérusalem l’orthodoxe et gagnant, le week end arrivé, les côtes pour profiter des plages et des lieux de divertissement, très rares alors enIsraël. La population passe le week end sur la place de Tel Aviv pour décompresser de la semaine. Cette primauté sociale perdurera jusque dans les années 1970.

II, Le déclin :

Néanmoins cette centralité demeure faible et va disparaitre. Pour plusieurs raisons :

  • Sur le plan technique, scientifique et industriel Haifa va prendre le pas sur Tel Aviv. Cela peut paraitre étonnant étant donné les ambitions sionistes pour cette ville. Mais le rôle ancien que Haifa tenait sous la domination anglaise ne fut pas rattrapé par la ville nouvelle. La ville demeure toujours aujourd’hui le poumon économique du pays.
  • Sur le plan politique et institutionnel Tel Aviv est largement surpassé par Jérusalem dès le début. Jamais Tel Aviv n’a compté plus que le Ministère de la Défense (pour une raison évidente, c’est la ville la plus éloignée de la ligne verte de 1967). Toutes les institutions se trouvent depuis 1949 à Jérusalem. c’est la volonté originelle de Ben Gourion. Pas pour des raisons religieuses (certains des compagnons de ben Gourion sont athées); mais Jérusalem est LA ville de la religion nationale. Jérusalem offre la légitimité des siècles pour l’Etat encore largement contesté.

Conclusion :

Il y a en Israël une vraie polarisation, qui remonte au moins aux années 1990 : ultra-orthodoxes/laïcs. Elle se retrouve à la Knesset et sur le plan géographique : les uns supportent de moins en moins de vivre avec les autres. Ainsi Jérusalem est devenu un foyer orthodoxe, alors que Tel Aviv est désormais peuplée par des migrants internes fuyant la pression orthodoxe de Jérusalem et non pas les européens faisant leur alya.

Tel Aviv est donc devenu la vitrine géopolitique de l’Etat d’Israël. Quand le pays se fait tancer par les autres Etats pour sa politique, le pouvoir ressort le cas de Tel Aviv, véritable vitrine culturelle.

L’engagement et l’énergie que Frédéric Encel met dans ses interventions a su emporter l’assistance une fois de plus. Si l’on peut regretter néanmoins l’absence de cartes permettant aux spectateurs de localiser les lieux en question et percevoir les enjeux qu’ils portent cette conférence ouvre d’une très bonne manière les échanges qui vont nous occuper les 4 jours durants.