S’il est des colloques qui font date dans l’histoire de la géographie, il est des tables rondes qui ont le même statut. Celle à laquelle nous avons eu la chance d’assister en fait partie. Pour la première fois, à l’initiative d’Olivier Lazzarotti, Jean-Marc Besse, Augustin Berque, Jacques Lévy et Michel Lussault étaient réunis pour échanger leur point de vue sur l’Habiter.

Et quoi de mieux que de partir de photographies quand il s’agit de regards croisés ! C’est ainsi que ces cinq grands noms de la géographie et de la philosophie se sont livrés à l’exercice de choisir une photographie représentant le mieux pour eux leur vision de l’Habiter.

Olivier Lazzarotti a ainsi présenté une photographie prise le 12/06/2014, pendant la Coupe du monde au Brésil, dans un quartier réhabilité de Foshan (Chine). Une manière pour lui de montrer l’incursion de la mondalité par le biais du tourisme. Jacques Lévy a choisi une photo assez proche puisqu’elle représente la rivière Cheonggyecheon à Séoul, aujourd’hui haut lieu du quartier d’affaires après avoir été longtemps un égout à ciel ouvert : l’image même de l’Urbain, dont le promeneur éprouve une familiarité émouvante en le parcourant. Augustin Berque, quant à lui, a choisi une photo d’un chemin (le chemin de la loyauté) au milieu d’une forêt de bambous à Kyoto, vestige de la résidence d’été d’un mandarin. Une occasion pour lui de revenir sur le mythe de l’ermitage paysager, idéalisation de la petite maison individuelle, base de l’urbain diffus, responsable d’une forte empreinte écologique à l’origine du dérèglement climatique. Jean-Marc Besse a commenté une image d’archive représentant Amsterdam au début du XXème siècle, parue dans un ouvrage pédagogique d’architecture. Son objectif : montrer qu’habiter, c’est une affaire qui dépasse les compétences de l’architecte. Ici, tout est une question de seuils, de limites entre l’intérieur et l’extérieur. Etre citoyen, c’est être capable de tenir une conversation dans le désordre. Enfin, Michel Lussault dévoile sa photographie tout en refusant de dire où elle a été prise car là n’est pas la question. Comme Habiter est une épreuve, il a choisi cette photo d’une funambule. Le fil étant l’équilibre entre les choses, la tension entre l’acteur et l’environnement. L’environnement n’est pas seulement ce qui nous entoure mais ce qui est à l’intérieur de nous. « L’Habiter est un art forain, une épreuve d’espace-temps. » Cette photographie illustre aussi l’idée qu’Habiter, c’est composer, un arrangement entre l’humain et le non-humain.

Utiliser l’image nécessite d’être critique et distancié (Lazzarotti). « Ceux qui croient que l’on peut tout voir se trompent. L’image n’est pas seulement un terminus mais une aide à penser » (Lévy). Les images sont des lieux par lesquelles se construisent les connaissances. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de métaphore (image) (Besse). Barbara Stafford ne dit-elle pas : « Il pleut des images dehors mais nous restons enfermés à l’intérieur » ? L’image réfléchit (reflet et réflexion) en tant qu’opération sémiotique qui produit de la signification. (Lussault).

L’introduction de l’Habiter dans les programmes scolaires est une révolution car c’est reconnaître un point de vue, se mettre dans une position par rapport aux autres. Cette posture s’inscrit en opposition avec la « géographie éclatée » issue de la crise de la géographie. L’habiter est une entrée du Dictionnaire de la géographie et des sociétés de Lévy-Lussault en 2003. Toutefois, dans l’édition de 2013, l’article a été repris car il n’était qu’une ébauche même si les auteurs avaient déjà compris que c’était un levier de recomposition permettant de repenser la théorie du social. Ce qui apparaît central dans l’Habiter, c’est que c’est un verbe, qui fait référence à l’action, au mouvement, à un devenir.

Avec une rencontre comme celle-ci, on peut dire que le FIG est bien le lieu où se construit la science !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes