C’est à une rencontre du Troisième type que nous (Jacques Muniga fraîchement débarqué d’un périple ferroviaire entre Marseille et Saint-Dié ayant duré 12 heures et moi même) avons assistée en ce vendredi soir. Dans un lieu improbable : la Cabane du Darou, un café déodatien ou plutôt une grange reconstituée avec paille au sol pour faire encore plus authentique, se tenait, dans la pénombre, Maître Yoda (entendez Augustin Berque) et son disciple Luke Skywalker armé d’un sabre laser (Olivier Milhaud tenant une lampe torche) venus devant une assemblée attentive et souvent perplexe écouter le géographe devenu philosophe.

La question posée par le disciple au maître visait à l’amener à réfléchir sur l’habitabilité ou non de la Terre. Augustin Berque a estimé que tout était une question de point de vue. La planète est inhabitable pour les dizaines de millions d’espèces qui ont disparu de sa surface et elle peut devenir inhabitable pour le devenir de celles qui disparaissent actuellement. Nous ne sommes des humains que dans la mesure où nous dépassons le fait d’être présent au-delà de notre présence sur la planète.

Les parenthèses ont été nombreuses au fil de la réflexion d’Augustin Berque sans conteste autant perturbé par le lieu que par le public qui l’écoutait. « Vous tâtez de la philosophie, de l’ontologie ou de la métaphysique en buvant du Coca-Cola. » Ce Café géo a donné l’occasion à l’intervenant de revenir sur sa carrière. « Je suis un géographe déviant ». Pour lui, il y a deux manières de dévier de la droite ligne qui consiste à faire de la recherche et à rendre compte : dévier vers l’action (aménagement) ou dévier vers la philosophie (c’est cette seconde manière qui a été son sort).

De même, la thématique du Café géo a été l’occasion pour lui de dénoncer la tyrannie des machines qui dictent leur comportement aux hommes. La voiture abandonnée depuis dix ans par notre ami de 72 ans prescrit l’habitat des Français et cette idée lui est insupportable. Il défend toujours les enseignements tirés du programme de recherche à l’origine de l’ouvrage « La ville insoutenable » et pour nous en convaincre expose la « parabole du tôfu » ou « parabole du camembert », si on préfère. Si chacun, habitant dans la périphérie de la ville, commande sur internet son tofu fabriqué dans le centre de la ville, il nous laisse imaginer le nombre de déplacements nécessaires pour que le précieux aliment soit livré à domicile ! « Nous avons idéalisé un habitat ruraléiforme alors que nous sommes des urbains. » Tout part du « mythe de l’âge d’or », à l’origine du dérèglement de l’homéostasie de la planète. Il refuse que « l’espace appartienne aux propriétaires de Land Rover. » et cela lui apparaît encore moins acceptable que rover signifie vagabonder, rêver. Il espère beaucoup du comportement de quelques jeunes Japonais qui, après Fukushima, ont remis en cause les objets en se déconnectant du système et en réduisant leur consommation. Il prédit la présence de friches urbaines suite au vieillissement de la population japonaise.

L’Homme est un être technique, symbolique et physiologique. La technique ne doit pas dicter la conduite de l’Homme, même s’il reconnaît que lui-même, avec son téléphone et son ordinateur, a tendance en être dépendant : « Je suis un bon petit cyborgue. »

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes