Article publié en partenariat avec la Revue en ligne mondes sociaux

Renouveau minier, désastres écologiques, exploitation minière des fonds marins, mais aussi consommation de combustibles fossiles, changement climatique et Anthropocène, etc. En ce début de XXIe siècle, la mine est au centre d’enjeux économiques et environnementaux majeurs. En France, des projets miniers sont prévus mais leurs promoteurs doivent faire face à l’opposition des habitants. Comment alors concilier notre besoin en ressources minérales et notre souhait de préserver la qualité de l’environnement ? Petit retour historique.

Entre les années 1860 et 1940, le charbon est exploité intensivement en Belgique et en France. Des millions de tonnes sont extraites chaque année du sous-sol, auxquelles s’ajoute un tonnage encore plus important de roches et d’eau. Ce déplacement inédit de matières engendre des dégradations environnementales inconnues jusqu’alors. Comme le dit le géologue Francis Meilliez « on ne creuse pas des trous impunément ».

En conséquence, les plaintes sont nombreuses. Elles augmentent au fur et à mesure que les volumes de charbon extraits s’accroissent : les populations des bassins miniers n’acceptent pas les dégradations sans s’y opposer. Pourtant l’extraction se poursuit car le charbon est au cœur de la société industrielle. Selon des commentateurs de l’époque, sans charbon point de progrès.

C’est à partir de cette affirmation que j’ai construit ma recherche. Je voulais comprendre les impacts environnementaux liés à l’extraction du charbon et déterminer les motifs politiques, scientifiques, économiques et culturels, expliquant la poursuite pendant presque trois siècles d’une activité perturbant durablement l’environnement.

L’histoire environnementale est un courant historique né aux États-Unis dans les années 1960 et qui se développe fortement en France et en Belgique depuis le début des années 2000. Elle comporte trois axes de recherche principaux : l’influence de l’environnement sur l’histoire humaine (par exemple les épidémies, les catastrophes naturelles, le climat, etc.) ; les modifications environnementales causées par les activités humaines et les manières dont ces changements affectent les sociétés (par exemple : la pollution, l’urbanisation, l’agriculture, les réseaux techniques, etc.) ; et l’étude des savoirs et des perceptions de la Nature et la façon dont ces connaissances ont une influence sur l’environnement (par exemple : les sciences naturelles, les croyances religieuses et philosophiques, les idéologies politiques).

Extraction et environnement : quelle histoire ?

CC Patrick Mignard pour Mondes Sociaux

Peu de chercheurs se sont intéressés à l’histoire environnementale des mines. Pourtant les sources sont nombreuses et accessibles. Il y avait donc un vide historiographique à combler.

Les archives de l’Administration des Mines, celles des charbonnages ou les archives judiciaires et municipales conservent de nombreux dossiers relatifs aux impacts environnementaux des activités extractives : rapports d’expertises, notes confidentielles, correspondance, cartes et plans, études géologiques, procès, etc. Les sources imprimées sont nombreuses et sont pour la plupart en ligne. Les revues géologiques, négligées par les historiens des mines, sont aussi très riches en informations. L’historien ne manque pas de matière !

Pour utiliser ces sources, il faut enfiler plusieurs casquettes. L’historien doit être aussi un peu géologue, ingénieur des mines, juriste, architecte, paléontologue, hydrologue, sociologue, économiste pour saisir les concepts développés dans ces sources et pouvoir les relier entre eux. Par exemple, pour étudier l’histoire des séismes induits par l’extraction du charbon, il faut comprendre les informations contenues dans des articles géologiques et dans des plans d’exploitation minière pour déterminer si oui ou non un séisme peut être attribué aux travaux miniers.

Confronté à cette masse documentaire, j’ai articulé mon questionnaire de recherche autour de trois thèmes principaux :

  • l’histoire culturelle et politique du charbon ;
  • l’histoire des conséquences environnementales de son extraction et les différentes manières dont les entreprises, les gouvernements et les habitants des bassins miniers les perçoivent et y réagissent ;
  • l’histoire des savoirs scientifiques et techniques sur les dégâts miniers.

L’influence de la géologie et du droit minier

Au terme de ma recherche, je me suis rendu compte qu’en plus des techniques minières, les savoirs géologiques et le cadre légal sont au cœur de l’histoire environnementale des mines. Au XIXe siècle, la géologie est la « science à la mode ». Grâce aux hypothèses de géologues comme Charles Lyell, l’histoire de la Terre et de l’Humanité est profondément modifiée : on passe d’une Terre âgée de quelques milliers d’années à une planète infiniment plus vieille. Un imaginaire de richesse se développe alors autour du sous-sol, illustré notamment dans des œuvres de fiction comme Les Indes noires (1867) de Jules Verne ou The Coming Race (1871) d’Edward Bulwer-Lytton. Si la Terre est bien plus vieille que ce l’on pensait, les ressources souterraines doivent être presque infinies. L’exploitation minière se développe alors sur un socle culturel optimiste associant sous-sol et puissance militaire, politique et économique.

Dans ces conditions, connaître le monde souterrain, le tracé des veines de charbon ainsi que leur qualité devient un enjeu important pour les gouvernements belges et français. La principale conséquence concerne les savoirs géologiques : ils s’accroissent au XIX^e^ siècle afin de permettre aux compagnies minières d’exploiter le sous-sol.

Le cadre légal joue également un rôle important dans l’expansion du système minier en Belgique et en France. La loi sur les mines du 21 avril 1810 est à ce titre fondamentale : elle crée un nouveau type de propriété adapté à l’exploitation minière. Pour y parvenir, la loi fait du propriétaire de la surface le propriétaire du sous-sol sauf si une mine est découverte. Dans ce cas, le gouvernement accorde la propriété de la mine à celui qu’il estime le plus apte à exploiter le gisement.

Ce cadre légal est extrêmement favorable aux compagnies minières : elle leur permet d’exproprier les propriétés de la surface pour cause d’utilité publique. Les propriétaires du sol, eux, ne peuvent que difficilement s’opposer aux compagnies minières. La loi sur les mines de 1810 explique en grande partie le développement des charbonnages à partir du XIXe siècle. En plaçant les mines sous la tutelle de l’État et en les érigeant sous le régime de la propriété, la loi rassure les investisseurs miniers qui peuvent désormais envisager l’exploitation sur le long terme, ce que les législations antérieures ne permettaient pas.

Des impacts profonds, durables et évolutifs

C’est dans ce cadre culturel et légal très favorable que l’extraction du charbon s’accroît. Des centaines de millions de tonnes de charbon, de roches et d’eau sont extraites du sous-sol franco-belge pendant presque deux siècles. Ce déplacement immense de matières souterraines a des conséquences sur la surface. L’impact principal est l’affaissement minier, abaissement de la surface afin de combler les vides souterrains créés par l’extraction. L’affaissement entraîne plusieurs problèmes : dégâts aux bâtiments et aux terrains, inondations, séismes induits. Par ailleurs, les terrils peuvent causer des soulèvements de terrains, des incendies souterrains et des rejets de poussières.

Ces dégâts ne sont pas uniformes. Ils se modifient au fur et à mesure que l’extraction progresse, que l’urbanisation des bassins houilles augmente et que de nouvelles techniques sont appliquées par les charbonnages comme l’usage de marteaux-piqueurs, le foudroyage des galeries, etc.

Face à ces dégradations, les habitants des bassins miniers ne demeurent pas passifs. Dès le début du XIXe siècle, plusieurs mouvements d’opposition aux charbonnages apparaissent, notamment à Liège. Ces mouvements sont menés par des propriétaires soucieux de préserver leurs biens et leur environnement.

Durant l’Entre-deux-guerres, surtout dans le Borinage, les dégradations prennent une ampleur catastrophique. Le gouvernement belge craint même que les affaissements miniers ne transforment la région en un vaste marécage soumis aux inondations !

Plusieurs solutions sont envisagées tels que l’aménagement des cours d’eau, la création de réseau de stations de pompage, le remblayage des galeries ou le relèvement des bâtiments de plusieurs mètres en leur ajoutant un étage.

C’est le cas par exemple à Hensies en 1934. Les travaux miniers ont abaissé la cité ouvrière des Sartis sous le niveau de la rivière locale, la Haine. Pour éviter les inondations, les charbonnages d’Hensies-Pommeroeul relèvent les maisons de deux mètres. Les bâtiments sont soulevés par des vérins hydrauliques et un nouvel étage est créé (voir photos ci-dessous). Les berges de la Haine sont aussi relevées afin de protéger la commune des débordements du cours d’eau.

À aucun moment il n’est question d’arrêter l’extraction du charbon. Malgré les dégradations de plus en plus importantes, l’idée même de stopper l’extraction semble incongrue pour les gouvernements belges et français, tant le charbon est au cœur de la société industrielle. Il alimente les fourneaux et les foyers, actionne les machines, les locomotives et les navires, éclaire et permet de créer plusieurs produits dérivés par carbochimie. La société en est dépendante et c’est cette dépendance qui empêche toute remise en question du système extractif.

En définitive, les choix d’utilisation des ressources minières engagent les sociétés sur le très long terme. Choisir le charbon comme aliment de la société industrielle suppose d’en assurer l’approvisionnement et, de fait, d’augmenter le rythme d’extraction. L’incapacité de notre société à sortir des énergies fossiles afin d’atténuer les risques environnementaux et climatiques témoigne de l’emprise du charbon sur notre vie.

Il en résulte des dégradations environnementales croissantes pouvant compromettre l’existence des populations des régions minières. En choisissant d’exploiter telle ou telle ressource minérale, les sociétés doivent assumer le « sacrifice » d’une partie du territoire au nom de l’intérêt général. Ces choix, aujourd’hui comme hier, ne se font pas sans mal ni réticence.