Aux jeunes qui veulent après le baccalauréat assouvir leur passion de l’histoire s’offrent plusieurs possibilités. La faculté d’histoire à l’Université demeure la voie royale, mais peut freiner ceux qui, indécis, désirent garder un enseignement pluridisciplinaire. La classe préparatoire offre l’avantage d’accéder à une solide formation historique, tous en l’adossant à d’autres sciences sociales, à la littérature, à la philosophie. Trois parcours en CPGE donnent à l’histoire une place privilégiée : l’hypokhâgne (classe de lettres supérieures), la classe préparatoire commerce (ECG) avec la spécialité géopolitique (HGGMC), et la classe préparatoire commerce avec la spécialité économie (ESH).
Ces trois filières ont un but commun : faire percevoir à l’étudiant que l’histoire est, au sens de Pierre Nora, une « reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus ». « Laïcisante », elle mobilise l’esprit critique pour mettre à distance le sacré, aussi bien que l’actualité. L’apprenti historien, vite, découvre qu’il doit s’astreindre à mettre en contexte les informations à sa disposition, et les manières concurrentes de penser le monde.

Les CPGE littéraires

L’histoire en hypokhâgne et en khâgne

Si l’on fait donc toujours de l’histoire en CPGE, c’est assurément en hypokhâgne qu’on découvre comment les historiens fabriquent l’histoire. Dans cette filière, la liberté de l’enseignant est grande : il doit simplement traiter au cours de l’année trois des quatre grandes périodes historiques (Antiquité, Moyen-Âge, époque moderne, époque contemporaine), et initier l’étudiant aux deux épreuves canoniques des concours de l’ENS et de l’agrégation : la dissertation et le commentaire de document historique. Année initiatique, l’hypokhâgne n’a pas vocation à inculquer une connaissance exhaustive de ces périodes. Le professeur choisit généralement un promontoire, d’où il peut faire percevoir à ses étudiants un paysage surgi du passé. En consacrant un trimestre à Jeanne d’Arc, il leur fait étudier les forces et les faiblesses de la monarchie française au Moyen-Âge, l’histoire des relations internationales européennes, l’importance de la foi dans ce monde chrétien, l’art de la guerre et plus largement les structures mentales et les conditions matérielles d’existence des contemporains de la pucelle. Ce voyage initiatique amènera l’étudiant à distinguer parmi les faits ceux qui peuvent accéder au rang d’événements. Mon professeur d’hypokhâgne se plaisait à rappeler que la grande révolution du XIXe siècle avait été l’obligation faite aux communes, en 1836, d’entretenir les chemins vicinaux (loi dite Thiers-Montalivet). Anecdotique au premier chef, cette décision avait accéléré le désenclavement des campagnes, inaccessibles l’hiver, bouleversé l’horizon des contemporains et, aussi, leur vision de l’étranger et des étrangers. Le développement du train fit le reste. Le néophyte est invité en outre à penser la diversité des acteurs historiques, collectifs et individuels : loin de l’héroïsation, il découvre des « grands hommes » pris dans leur complexité, dans leurs incohérences ; nous initiant à l’histoire des mentalités à l’époque moderne, et à ses grandes peurs, le même professeur nous avait plaisamment rappelé que l’immense Jean Bodin, fondateur de la pensée mercantiliste française et penseur de l’État, avait aussi publié un traité de démonomanie expliquant comment traquer la marque du diable sur le corps des femmes, présumées sorcières, et les châtier. Les esprits les plus éclairés n’en demeuraient pas moins le miroir de la misogynie et des superstitions du temps.

Mais la découverte la plus fascinante pour l’hypokhâgneux demeurait celle du métier d’historien. Les historiens marquants appartiennent à un petit club où le ticket d’entrée est élevé : il faut d’abord avoir exploité avec talent un gisement de sources. Certains en découvrent de nouvelles, tels Emmanuel Le Roy Ladurie, utilisant les anneaux des troncs d’arbres pour mesurer les rigueurs des hivers du « petit âge glaciaire ». D’autres questionnent avec un regard neuf des sources déjà exploitées par le passé, comme Michel Pastoureau pour son histoire des couleurs, ou Alain Corbin pour sonder les sensibilités. Ces grands maîtres ont également une plume inimitable. Héritiers de Michelet, ils ne sacrifient jamais la beauté du style à la rigueur de l’exploitation des sources. Comment ne pas être admiratif des descriptions faites par Fernand Braudel des ports de Méditerranée, du récit du carnaval de Romans tissé par Emmanuel Le Roy Ladurie, de la biographie de Guillaume le Maréchal relatée par Georges Duby. Au terme de cette année, l’étudiant aura compris la difficulté de la méthode historique : tenter, sans grand espoir, de s’extraire de son époque et de ses préjugés pour interroger le passé et le restituer le plus fidèlement possible, sans jugement, sans anachronisme, en feignant d’ignorer la suite de l’histoire… Cette initiation doit, pour être fructueuse, être complétée par un patient compagnonnage. La fréquentation des grands auteurs et le patient travail de chronologie nourriront les dissertations et l’analyse critique des sources du futur khâgneux. Pour cette seconde année, celle du concours, la rigueur de la préparation emporte vite les charmes de l’initiation. Le programme de tronc commun est ciselé (les mondialisations des années 1880 au milieu des années 1930 ; la Russie et l’URSS, du milieu du XIXe siècle à 1991 ; la France et l’Afrique 1830-1962), et doit être disséqué, à partir d’une bibliographie dense épluchée par les étudiants et leur professeur, qui mutualiseront ensuite leurs notes. À ce tronc commun s’ajoutent deux questions d’option, sur deux autres séquences historiques, tout aussi précises (sciences et société en France et en Angleterre entre 1680-1789 ; le beau XIIIe siècle, 1180-1270 ; les cités grecques de Solon à Démosthène). Une dissertation sur l’épreuve de tronc commun, un commentaire sur l’une des questions d’option, viendront clore la préparation. En deux années, les étudiants auront acquis une culture historique et des méthodes de travail particulièrement solides.

Les horaires hebdomadaires en CPGE lettres

L’horaire par discipline en hypokhâgne
Français : 5 heures

Philosophie : 4 heures

Histoire : 5 heures

Langue vivante 1 : 4 heures

Langue vivante 2 : 2 heures ou 4 heures

Géographie : 2 heures ou 4 heures

Culture antique : 1 heure

Latin ou grec ancien : 2 ou 4 heures

Option possible selon les établissements (cinéma, musique, histoire des arts, théâtre) : 4 ou 6 heures

L’horaire par discipline en khâgne

Khâgne ULM Khâgne Lyon
Français : 5 heures

Philosophie : 6 heures

Histoire : 4 heures

Géographie : _

Latin ou grec ancien : 4 heures

Langue vivante 1 : 5 heures

Langue vivante 2 (facultatif) : 2 heures

Spécialité (lettres classiques, lettres modernes, histoire et géographie, philosophie, langues vivantes, cinéma, histoire des arts, théâtre ou musique): 4 à 6 heures

Français : 5 heures

Philosophie : 4 heures

Histoire : 2 heures

Géographie : 2 heures

Latin ou grec ancien : _

Langue vivante 1 : 5 heures

Langue vivante 2 : 2 heures

Spécialité (lettres classiques, lettres modernes, histoire et géographie, philosophie, langues vivantes, cinéma, histoire des arts, théâtre ou musique) : 4 à 9 heures

Les CPGE économiques et commerciales

La filière ECG offre avec l’HGGMC une autre approche, centrée sur l’histoire contemporaine, la géographie et la géopolitique. Limité aux XXe et XXIe siècles, le programme n’en exige pas moins une connaissance historique de qualité. La première année s’attèle à comprendre la déseuropéanisation progressive du monde, de 1914 nos jours. À travers l’histoire des conflagrations mondiales, des décolonisations, de l’affrontement Est-Ouest, les étudiants relisent l’histoire des relations internationales et analysent le basculement du centre de gravité mondial de l’Atlantique au Pacifique. En filigrane, la question de l’influence de la France est partout : affaiblie par la Débâcle et la décolonisation, elle tente de ressusciter grâce à la construction européenne et à ses possessions ultramarines. Une invitation à la réflexion sur les notions clefs de la géopolitique (puissance, ordre mondial, conflictualité, crises, influence) et de la géoéconomie (économie monde, globalisation). Pour un historien de formation, cette approche est déroutante. Sans cesse, il part du présent et suit le fil d’Ariane qui le relie au passé, à rebours d’une démarche historique qui, traditionnellement, feint d’ignorer la « fin » de l’histoire. La violence endémique en Amérique du Sud est ainsi réinsérée dans l’ère coloniale et post-coloniale : des sociétés métissées, prises dans une économie de cycle, dominées par de grands propriétaires terriens entretenant avec les élites au pouvoir et parfois les militaires des relations incestueuses. Des États fragiles, aux prises avec l’impérialisme américain ou les révoltes d’inspiration marxistes, qui ont perpétué cette culture de la violence. La politique néo-ottomane de T.-R. Erdogan ramène l’étudiant à la fin de la Grande Guerre : un empire ottoman disloqué entre les puissances mandataires et la jeune Turquie, affirmant son nationalisme intransigeant, à l’égard des Kurdes, des Grecs, et des Arméniens déjà décimés par le régime ottoman. En tissant sa toile en Afrique, en s’émancipant de l’Europe et de l’Occident, Erdogan reconstruit ce rêve impérial en même temps qu’il essaie d’achever la turquification de sa patrie. L’histoire ne se répétant jamais deux fois à l’identique, il utilise, contrairement à M. Kemal, l’Islam pour redonner une fierté à son peuple, au prix de terribles compromissions avec les Frères musulmans. Quant au rêve de Xi Jinping de faire de la Chine un hegemon au plus tard en 2049, il ne peut être compris sans avoir à l’esprit l’humiliation de la Chine par les Européens au moment des guerres de l’opium (1839-1860). Sans considérer, aussi, que l’éclosion de la Chine rappelle celle des États-Unis après 1898, hésitant entre ingérence dans les affaires du monde et repli dans son aire régionale d’influence. Autant d’événements déjà étudiés dans les programmes d’histoire et d’HGGSP au lycée, auxquels il faut donner une cohérence pour comprendre les rapports de force actuel et le désordre mondial de nos « Années 20 ». Poussant sans cesse à changer d’échelle, le programme invite en seconde année à connecter des questions globales (le changement climatique, les inégalités, les accords commerciaux, le terrorisme, la gouvernance mondiale, les matières premières, les frontières) à des déclinaisons régionales (la déforestation de l’Amazonie, le sort changeant des femmes au Proche-Orient, la demande des BRICS de nouvelles règles du jeu dans les institutions internationales, la militarisation des émirats du Proche-Orient). Les étudiants n’ont guère le temps de s’interroger sur l’épistémologie, de se familiariser avec les travaux des chercheurs, mais ils doivent cultiver les mêmes qualités de synthèse que leurs congénères des classes littéraires. Précision, concision, contextualisation, problématisation et exemplification sont les compétences maîtresses à cultiver en HGGMC.

Les étudiants qui, en ECG, choisiront l’ESH (économie, sociologie et histoire), auront d’abord le sentiment que l’histoire apparaît timidement dans leur cursus. D’autant que, depuis la réforme des lycées, l’épreuve d’ESH comporte des attentes en micro-économie et en macro-économie, qui ont relégué l’histoire loin derrière les deux autres disciplines. Enseignant cette discipline depuis de longues années, je constate pourtant l’importance capitale d’un éclairage historique pour comprendre les théories et les mécanismes économiques ; car ils sont, toujours, le fruit d’un contexte et d’un rapport de force social. L’histoire de l’innovation appelle des connaissances sur l’histoire des techniques et de la révolution industrielle (Patrick Verley), des institutions contraires à l’esprit du marché, notamment coloniales (Pierre Singaravélou), des « entrepreneurs culturels » qui ont bouleversé le « menu culturel » de leurs contemporains (J. Mokyr). L’analyse de la croissance économique questionne la « grande divergence » européenne (K. Pomeranz), et les inégalités de développement issues de cette divergence, auxquelles répondent les mouvements d’émancipation, post-coloniaux, dans les jeunes pays cherchant à éviter l’alignement sur les deux grands. La compréhension des mondialisations du XXe siècle ou des crises économiques requiert des connaissances sur l’histoire des transports, de la finance internationale et des banques (Pierre-Cyrille Hautcoeur). La construction des États-Providence doit être remise en perspective sur le temps long : la peur du socialisme qui pousse Bismarck à assurer la prévoyance des ouvriers ; les tentatives associationnistes des mutuelles pour couvrir les risques sociaux après le Second Empire en France, alors que les hommes politiques voyaient l’État « Providence » comme un marchepied vers la révolution prolétarienne. Et bien sûr l’expérience du CNR, qui fonde l’État social dont nous jouissons encore. Quant aux politiques monétaires européennes, elles sont bien difficiles à comprendre pour qui ignore tout de la construction de l’Europe, depuis la fondation de l’Union européenne des Paiements jusqu’à l’euro, en passant par le serpent monétaire et le SME… Une aventure qui n’est pas sans rappeler le Zollverein allemand au XIXe siècle, union douanière vouée à devenir la première union monétaire au cœur de l’Europe autour du thaler, la monnaie prussienne. Il en va de même des grands auteurs de l’économie politique, incompréhensibles si on les sort de leur contexte : l’apport de J.-M. Keynes est incompréhensible si l’on ignore à quel point la grande dépression de 1929 a ébranlé ses certitudes, l’amenant à envisager ce choc comme une crise de sous-consommation provoquant un sous-investissement des entreprises. Le succès des théories de M. Friedman dans les années 1970 s’explique, à l’inverse, par l’échec des politiques dites keynésiennes face à la crise stagflationniste : aux disciples de Keynes qui conseillaient de laisser filer l’inflation pour contrer le chômage (le dilemme inflation chômage), Friedman rétorque que, face à cette nouvelle crise, inflation et chômage s’alimentent (le dilemme est devenu un couple). L’histoire est donc dans cette filière bien plus qu’une simple béquille.

Les horaires hebdomadaires  en CPGE économiques et commerciales

L’horaire par discipline en première année
Culture générale (humanités, lettres et philosophie) 6h
Langue vivante 1 3h
Langue vivante 2 3h
Économie, Sociologie et Histoire du Monde Contemporain (ESH) 8h+ méthodo
OU
Histoire, géographie et géopolitique du monde contemporain (HGG) 7h+ méthodo
Mathématiques approfondies 7h (+4h TD)
OU
Mathématiques appliquées 6h (+4h TD)
Sport 2h
L’horaire par discipline en deuxième année
Culture générale (humanités, lettres et philosophie) 6h
Langue vivante 1 3h
Langue vivante 2 3h
Économie, Sociologie et Histoire du monde contemporain (ESH) 8h
OU
Histoire, Géographie et Géopolitique du monde contemporain (HGG) 7h
Mathématiques approfondies 7h (+4h TD)
OU
Mathématiques appliquées 6h (+4h TD)
Sport 2h

Le classement des prépas

Tous les ans, un classement des prépas est publié par plusieurs journaux et sites d’information.

Merci à Arnaud Pautet, professeur en classes préparatoires commerciales au lycée Sainte-Marie de Lyon. Agrégé et docteur en histoire contemporaine, il a réalisé une thèse sur la criminalité rurale en Provence orientale, à partir de l’histoire des « bandits fantômes » de Pégomas.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : 

  • Histoire de France, d’Alésia à nos jours, préface de S. Berstein, Autrement,2è édition, 2023
  • Précis d’histoire du XXe et du XXIe siècle, Ellipses, 3ème édition, 2021
  • L’Afrique, nouvelle frontière du XXIe siècle, coécrit avec Alain Nonjon
  • Les crises économiques XIXe-XXe. Enjeux, récurrences, voies de sorties (éd. Ellipses, avril 2018)
  • Histoire du monde contemporain depuis le XIXe siècle, préface de M. Vaïsse, Autrement, 2019
  • Les défis du capitalisme – Comprendre l’économie du XXIe siècle (éd. Dunod, mars 2021)
  • Les grands théoriciens de l’économie politique, comprendre les débats politiques contemporains, Eyrolles, 2021.