S’il est possible de considérer que les outils numériques peuvent représenter une plus-value dans nos pratiques enseignantes, leur utilisation à des fins malveillantes constitue bien une véritable menace pour les professeurs dans le cadre de leur classe.
La lecture de cet article du Huffington Post publié le 18 juin, et dans lequel deux représentants syndicaux identifiés en tant que tels s’expriment suscite déjà dans la twittosphère et dans de très nombreux groupes sur Facebook des réactions multiples. Au-delà de quelques phrases bien lapidaires identifiées par un hashtag peu flatteur, https://twitter.com/hashtag/tagueule2vanssay?src=hash il appartient aux Clionautes d’alerter sur les enjeux que peuvent constituer ces pratiques à tout le moins inquiétantes.

Voici un extrait de l’article en question :

« Pour Stéphanie de Vanssay, conseillère technique chargée du numérique à l’UNSA Education, Periscope n’est qu’un « outil moderne à disposition des élèves qui s’ennuient et qui veulent s’amuser, comme on s’envoyait des craies ou des petits mots avant ». « Dans la grande majorité des cas, il n’y a rien de choquant, affirme-t-elle. Les grands collégiens ou lycéens se filment en train de faire les zouaves, ce n’est pas acceptable mais ce n’est que potache, que des défis. »

Cet avis est partagé par Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN, le syndicat des proviseurs d’établissements. « C’est un sujet qui n’en n’est pas un, explique-t-il. Ce phénomène est minoritaire, c’est la forme moderne du comportement des adolescents ». Selon le chef d’établissement du lycée Victor-Duruy à Paris (7e), très peu de cas graves d’utilisation de Periscope ont été recensés à ce jour. « Ce type d’incidents s’est multiplié mais ils sont souvent gérés en interne, rajoute-t-il. L’Académie me dit que seuls les cas les plus graves leurs sont remontés et que les cas mineurs sont simplement traités avec les proviseurs et les parents d’élèves ». »

Periscope, le phénomène caché dans la trousse des élèves

Le professeur d’histoire et de géographie, d’enseignement moral et civique pourra sans doute, dans le cadre d’une étude de cas, rappeler la loi qui est très précise sur l’interdiction de filmer une personne à son insu. Code pénal – article 226-1 : «Est puni le fait, au moyen d’un procédé quelconque de porter atteinte volontairement à l’intimité de la vie privée d’autrui en la fixant, en enregistrant ou en transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé».

Visiblement cela me semble pas être la préoccupation première des deux personnes qui s’expriment en tant que représentants syndicaux.
Apporter ne serait-ce qu’une caution morale à ce type de pratiques en les qualifiant de « potaches » est inacceptable en soi. Exprimer la moindre compréhension, la moindre excuse, suscite de notre part l’indignation et la colère.
Pour les Clionautes, association de spécialistes d’histoire et de géographie, nous mesurons tout particulièrement la dangerosité de cette argumentation. Nous traitons des questions sensibles en classe, que d’aucuns qualifient de socialement vives. Nous évoquons des sujets qui font polémique, nous cherchons à décrypter le monde qui entoure nos élèves, et ces derniers sont évidemment susceptibles d’avoir leurs positions sur différentes questions.
Point n’est besoin de faire preuve d’une grande imagination pour envisager les conséquences de la diffusion de masse d’une phrase, de quelques minutes de cours, pendant lesquelles un professeur présente un point de vue particulier dans le cadre d’une explication ou d’une contextualisation.

Les professeurs d’histoire et de géographie sont particulièrement exposés à cet égard. Et c’est à ce titre que les Clionautes réagissent en tant que tels.

Le Web 2.0 ouvre évidemment des perspectives intéressantes, notamment l’interactivité, dans nos pratiques pédagogiques. Les Clionautes sont à cet égard des pionniers depuis les années 90, bien avant la généralisation des réseaux sociaux. Mais cette complaisance amusée à propos d’élèves qui «font les zouaves», cette tendance à écarter «ce sujet qui n’en est pas un», d’un revers de main, pour «gérer en interne ce type d’incidents», constituent bel et bien une menace.

Une menace contre les professeurs de toutes les disciplines, qui peuvent être mis en difficulté par la diffusion illégale de leur façon d’enseigner.

Une menace contre tous les enseignants, d’histoire et de géographie, mais également de philosophie ou de littérature, ou encore d’économie, qui évoquent des questions sensibles ou des positionnements politiques. Cette captation d’images, diffusées hors contexte, avec des intentions malveillantes, peut avoir des effets particulièrement destructeurs.

La caution que l’on apporte ainsi à des actes illégaux, sous couvert d’utilisation «d’un outil moderne à disposition des élèves qui s’ennuient et qui veulent s’amuser», est révélatrice du profond mépris porté aux enseignants dans leur ensemble. Partir du principe « que l’ennui des élèves » est une excuse, suscite notre profonde réprobation.

Nous avons d’ailleurs quelques raisons de nous inquiéter lorsque nous évoquons cette information publiée par l’AFP le 16 juin.

«Le prestigieux lycée Lakanal de Sceaux n’avait pas à exclure un élève qui, en 2013, avait insulté des professeurs sur Facebook, a tranché la justice administrative dans une décision annulant la sanction consultée jeudi par l’AFP.
L’affaire remonte au 30 janvier 2013: le conseil de discipline de cet établissement réputé, au sud de Paris, avait définitivement exclu deux élèves de seconde pour des insultes et moqueries sur le réseau social, visant trois professeurs .
L’un d’eux avait contesté son exclusion, confirmée en mars 2013 par le recteur, devant la justice administrative, dénonçant une sanction « disproportionnée » et soulignant notamment que les propos, tenus « dans le cercle fermé de pages Facebook » privées, ne pouvaient être qualifiés d’injures « publiques ».»

L’élève avait insulté des profs sur Facebook: la justice annule son exclusion

Il n’y a pas de lien direct entre les deux sujets qui sont évoqués, l’utilisation de l’application périscope en classe à l’insu du professeur, et des insultes publiques proférées sur un réseau social, mais la « compréhension » qui est manifestée par les deux personnes citées dans l’article du Huffington post s’inscrit dans cette « culture de l’excuse » dont les enseignants en activité, ceux qui travaillent au quotidien dans leur classe, mesurent les effets délétères.