Cynthia Ghorra-Gobin a toujours travaillé sur les villes notamment celles des Etats-Unis depuis les années 70, puis dans les années 80-90. La découverte des villes du Midwest (Minnéapolis-St Paul) et les demandes de leurs décideurs (« We want to be on the map ») lui a fait saisir l’intérêt du rapport local-global.
Elle a depuis coordonné les éditions du « Dictionnaire (critique) de la mondialisation » et tout récemment « Entre local et global, les territoires de la mondialisation » avec Magali Reghezza-Zitt.
C’est à un véritable cours argumenté que se livre ici Cynthia Ghorra-Gobin ; profitons-en, c’est l’occasion de revisiter des notions fondamentales pour nos cours de géographie de lycée, et que nous allons nous efforcer de vous restituer au plus près.

Jean-Michel Crosnier et Annie de Nicola, pour les Clionautes.

Constat : quel est le pouvoir des villes dans un monde globalisé ?

Hypothèse : on vit l’époque de la rivalité des pouvoirs entre Etats et villes. Il revient donc dans le cadre de ce festival à la géopolitique de conceptualiser la condition de type « local-global » des villes. C’est ce qu’explique le professeur de sciences politiques Benjamin Barber dans son ouvrage de référence « If Mayors Rule the World », 2013 depuis traduit en français http://livre.fnac.com/a7968428/Benjamin-Barber-Et-si-les-maires-gouvernaient-le-monde : on assiste pour la première fois à la conférence des Nations Unies « Habitat II » qui a eu lieu à Istanbul en 1996 à l’invitation de maires de grandes villes sur les questions globalisées. Cette nouveauté dans les grands rendez-vous mondiaux s’est pérennisée ensuite (la COP 21 à Paris en 2015, Habitat III à Quito en 2016).

1- Mondialisation, globalisation et leurs liens avec les villes :

Le géographe, s’il pense les territoires à travers la notion d’échelles, doit maintenant différencier le « multiscalaire » du « transcalaire ».
La 1ère édition du dictionnaire de la mondialisation (2006) insistait sur le caractère multiscalaire des mondialisations et ses différents cycles historiques. La 2e édition, parue en 2012 compare mondialisation (sans s) et globalisation. Il y a une différence conceptuelle dont le titre rend compte Marie-Noëlle Carré, « Cynthia Ghorra-Gobin (dir.), Dictionnaire critique de la mondialisation », Cahiers des Amériques latines [En ligne], 72-73 | 2013, mis en ligne le 17 décembre 2013, consulté le 18 mars 2017. URL : http://cal.revues.org/2919.
La géohistoire explique l’émergence du territoire-monde au sens braudélien et les auteurs actuels s’accordent sur le fait que la mondialisation soit l’intensification des échanges à l’échelle mondiale ; la globalisation, elle, est plus la métamorphose du capitalisme qui se financiarise et se globalise – tout cela rendu possible par la révolution numérique – et l’émergence des villes comme acteurs globaux.
Les géographes français parlent d’échelle mondiale, de territoire-monde et d’emboitement des échelles locales-nationales-régionales-mondiales. Or les Anglo-Américains différencient « World System » (Wallerstein) et « Global System » : ils ont d’abord été fortement inspirés dans les années 70-80 par Fernand Braudel et son économie-monde, avec une vision centre-périphéries, celles-ci devant intégrer peu à peu le centre, c’est-à-dire le système capitaliste. Puis dans les années 90,
Saskia Sassen dans son ouvrage fondateur « The Global City, New-York, London, Tokyo » (1992) a été la première à parler de l’ancrage de l’économie globale dans les villes. Elle complétait alors de façon originale les travaux (Levitt) qui avaient théorisé l’émergence de la firme globale Résultat concret dans la géographie scolaire : le remplacement du terme de « multinationale » par « firme trans-nationale ». Or cette « déterritorialisation / reterritorialisation de l’industrie dans le pays du centre vers les périphéries s’est accompagnée d’un besoin d’ancrage qui s’est incarné dans les villes.
On est donc plus dans le multiscalaire (l’espace d’emboitement des échelles), mais dans le transcalaire (interaction des échelles de l’espace des échanges matériels et virtuels), ce qu’Olivier Dollfuss appelle l’archipel métropolitain à l’échelle mondiale, soit un réseau de villes interconnectées, car penser le Global permet de mettre en évidence les interactions local-global d’où le mot de « glocalisation »…
En résumé, on parlera de « multiscalaire » quand on évoque l’emboitement des échelles au plan local-national-régional-mondial alors que le « transcalaire » fait référence à l’interaction de ces échelles qui peuvent aller de l’une à l’autre sans respecter l’emboitement. On est alors dans le « transnational ».

2- Villes globales, villes mondiales, deux concepts à différencier :

La ville globale est « le site privilégié de l’ancrage des réseaux globaux » (Sassen). On comprend donc à quel point le pouvoir des villes est en train de se renforcer. Mais parler de villes n’est pas toutes les villes ; nous avons des hiérarchies selon des critères variables (IDE, nombre de sièges sociaux…) et en conséquence des rivalités entre villes et le fait que les acteurs territoriaux mènent une politique d’attractivité territoriale, la ville cherchant à attirer les flux (de capitaux, de classes sociales créatives, etc.). Autrement dit, la ville est sous le contrôle d’un capitalisme financiarisé.
Quelques exemples d’une typologie villes mondiales / globales Plusieurs classements aux critères différents sont consultables ici : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Ville_mondiale :
– Venise est une ville mondiale mais pas une ville globale car connue pour son histoire, son patrimoine, son architecture qui attirent le monde entier. Ces villes mondiales constituent un réseau de villes culturelles.
– Paris cumule les deux aspects de par son rôle historique et culturel mondial. L’expression « ville-monde » qu’elle partage avec New-York et Londres prend ici tout son sens.
– La ville globale a elle un rôle de commandement dans l’éco globalisée depuis les années 90 Pour comprendre l’évolution de la pensée de Cynthia Ghorra-Gobbin après le dictionnaire de la mondialisation de 2006  : https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2007-2-page-32.htm. On notera cependant que pendant que l’économie se dématérialise, on y observe la poussée de la construction de tours dans les financial district et dont les quartiers connaissent une très forte gentrification. Elle attire en premier les classes dites « créatives » (qui vivent de leur créativité selon la définition de Richard Florida) : finance, juridique, art, etc.) et qui contient des inégalités sociales très fortes. L’espace inter-métropolitain dématérialisé est devenu « a-spatial », comme espace de réseaux. On le voit très bien avec les cartes des réseaux, la vision centre-périphérie n’est plus pertinente. Ce qui amène au dernier point, les acteurs globaux qui agissent ensemble indépendamment de la localisation géographique.

3- « L’ici et l’ailleurs » : le 3ème point de l’argumentation de CGG de de penser les villes comme acteurs locaux-globaux, c’est-à-dire acteurs de la globalisation. Nous savons que la métropolisation des villes est la transformation des villes en métropoles, or nous avons en France institutionnalisé la notion de métropole et c’est une avancée considérable même si cela pose problème.
Pour saisir l’articulation « local-global », il faut se rappeler que le « local » pendant très longtemps n’a été qu’un échelon politico-administratif intra-national c’est-à-dire localisé au sein d’un Etat. Or depuis que l’on prend en compte que cet échelon est de plus en plus déterritorialisé, on comprend qu’il est devenu indissociable du global, non sans garder une certaine autonomie. Rappel : les acteurs globaux sont capables d’agir ensemble et indépendant de leur localisation (dictionnaire critique de la mondialisation).
Quant on parle maintenant de « global », ce n’est pas le « mondial » ou l’humanité ; on est dans le transactionnel, dans ce qui relève de l’a-spatialité, car s’intégrant à la révolution numérique ; on est dans le transcalaire, le réticulaire, la connectivité (espace relationnel d’ordre transnational) comme on l’est avec le smartphone, dont les détenteurs vivent « l’ici et l’ailleurs », et comme l’ont vécu depuis longtemps les réfugiés, migrants, expatriés et aussi les gens des affaires, les chercheurs et étudiants internationaux…
C’est ce monde d’acteurs de plus en plus nombreux et divers, qui vivent une proximité a-spatiale mais relationnelle avec leurs réseaux, et qui animent par là même ces interactions locales-globales.

Questions du public :

Q1 : Une argumentation qui met en cause la légitimité des États ?
– L’exemple de la transition énergétique montre qu’il existe des questions essentielles qui sont plus pertinentes à traiter à l’échelle locale (logique transcalaire).

Q2 : « L’ici et l’ailleurs » n’est-il pas le fait d’une minorité et ne déclenche-t-il pas des réactions hostiles de ceux qui s’en sentent exclus (avec ou sans smartphone par ex. ?
Les réactions politiques actuelles aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni montrent que ces transformations profondes sont destabilisantes. En France, nous avons plus avancé…

Q3 : « Penser global, agir local ». La proposition ne s’inverse-t-elle pas ?
Oui, car le local est devenu lui aussi un lieu de la complexité ; ainsi aux EU, on parle d’aire métropolitaine dès 50 000 habitants pour la ville-centre avec les mêmes questions de gouvernance qu’en Europe, et d’aire « micropolitaine » pour les agglomérations dont la ville-centre fait moins de 50 000 habitants avec des problématiques spécifiques.