Sommet Brics de Durban, mars 2013

FDGG14 : Conférence 5 : la Russie, un BRIC en crise économique structurelle ?
Intervenant(s) : Yves Zlotowski – Economiste en chef – COFACE

1- L’analyse de la situation économique en Russie intervient dans un contexte de ralentissement global des Brics :
– Crise de l’offre, de l’investissement industriel où en Russie il se contracte particulièrement, parallèlement à la crise de la zone Euro, ce qui se traduit par la réduction des excédents courants, et une baisse nouvelle du Rouble, car le pays est attaqué sur les marchés financiers.
– Cependant la consommation continue à porter l’économie. Les Russes épargnent très peu, le chômage baisse, les salaires et les retraites sont payés. Les problèmes démographiques spécifiques au pays font paradoxalement exploser les salaires des jeunes diplômés. Pour l’instant la consommation intérieure tient la croissance russe en 2014 si toutefois la situation géopolitique ne se détériore pas.
– Quid de l’Ukraine ? Rien pour l’instant. Mais couper le gaz à l’Europe serait une arme à double tranchant et sa capacité de réorientation vers l’Asie dépend d’infrastructures à construire… Comme la dette publique est très faible, Poutine peut continuer à investir dans les travaux publics.
NB : Quand Ianoukovytch a disparu, la banque centrale russe a dû mettre 13 MM de $ sur la table en 1 journée…
– Par contre l’investissement est en recul. Où en sont les causes ? Récession en zone € ? la crise ukrainienne et les sanctions qui viennent ne produiront leurs effets qu’à moyen terme. Ce sont les causes structurelles qui posent question, par exemple le service de la dette des entreprises depuis 2008. Elles sont très exposées et mettent en danger les banques occidentales qui y ont investi massivement. si les oligarques sont bloqués politiquement, ils risquent de ne pas rembourser leurs dettes et de les dénoncer… Il faut compter avec les 40-50 MM de $ / an de fuites de capitaux qui ne sont pas réinvestis en Russie faute de confiance dans l’avenir. Ce sont les banques suisses, Singapour et la City qui en profitent.

2- Une économie de rente, qui tranche avec les autres Brics ?
– La Russie est le 1er producteur de gaz et de pétrole, avec une production en augmentation, mais les exportations stagnent, du fait de leur dépendance à l’UE en crise.
– Les champs nouveaux en Sibérie orientale sont très coûteux, et nécessitent justement des investissements étrangers sophistiqués fournis par les Occidentaux.
– Même si la Russie peut être qualifiée d’économie « industrielle », 30% de son PiB correspond aux exportations de matières 1ères et ressources énergétiques ; quant au secteur manufacturier, il produit des biens de médiocre qualité, et n’est pas rentable (syndrome « hollandais »), car il doit cohabiter avec un système rentier trop présent.
– Le lancinant problème du climat dans les affaires : le niveau de corruption est le plus élevé des Émergents, les droits de propriété ne sont pas suffisamment protégés, depuis les années 90, ce qui conduit les Russes qui ont investi à « presser l’actif comme un citron et mettre le jus en Suisse ». Le taux d’investissement est de 24% en 2012 soit un peu plus de 10% de la moyenne asiatique, ce qui montre la méfiance des groupes étrangers. Il faut dire que l’absence de contrats juridiques garantis par la justice n’est pas non plus faite pour rassurer les investisseurs. A ce propos, la jurisprudence n’existe pas en droit russe est chaque tribunal peut décider de ce qu’il veut en matière de propriété ou de spoliation de celle-ci.

3- L’héritage soviétique :
La crise des années 90 a été un chaos colossal. L’emploi par contre n’avait chuté que de 15%, alors que le PiB chutait de 50%… Culturellement les chefs d’entreprise étaient réticents à licencier du fait de la culture soviétique, où tout était compris (charge, assistance, logements, etc.) avec la caractéristique des villes-usines qui est très difficile à réformer. Voir à ce propos les liens de l’Ukraine de l’est (Donbass) avec ce système. Le licenciement était considéré comme dernière variable d’ajustement, ainsi que le refus des investissements étrangers (des IDE).
La Russie a fait défaut en 1998, ç’est resté un traumatisme pour les épargnants. Poutine s’est beaucoup investi politiquement en refusant la contrainte FMI et permis une indépendance : paiement autoritaire de l’impôt des entreprises, aide forcée aux entreprises par les banques, paiement des salaires et des retraites. Tout ceci explique en grande partie sa popularité auprès du peuple, lassé des errances et du champ libre laissé aux oligarques par Eltsine.

Bilan : Tout se passe comme si la restauration poutinienne aspirait les transferts d’actifs pour redistribuer au peuple et assurer la richesse des oligarques à son service, et par voie de conséquence, la sienne propre.
Les FTN mondiales vont en Russie tout en sachant qu’elles devront en passer par là. Pour les PME, le risque est grand… Ce qui reste une énigme pour un pays qui a tant besoin d’infrastructures correctes et de technologie.

Une conférence qui permet une compréhension fine des questions financières et économiques russes, mais qui ne prend pas en compte (mais était-ce dans les compétences du conférencier et compte-tenu du temps imparti ?) les aspects culturels et à la périphérie, les aspects géopolitiques.

Q. : Comment la société civile russe peut-elle résister aux chocs économiques internes et aux chocs géopolitiques externes ?
R : La population russe est plutôt vieillissante et profite de l’emploi public, ce qui explique que les classes moyennes ne font pas bouger le gouvernement.
Choc externe ? La Crimée c’est l’acmé. ça n’ira pas plus loin… Par contre les frontières de l’est de l’Ukraine, c’est la question. Poutine va attendre que les Ukrainiens fassent des bêtises pour peser d’une manière ou d’une autre.

Quid du poids culturel de l’orthodoxie dans les pesanteurs du système économique et financier ?
Quid du Soft Power des Russes à l’Ouest (Tourisme, investissements dans le football, etc.) et dans leur zone d’influence (Russes extérieurs, frères slaves et orthodoxes), tous facteurs qui joueraient dans le sens d’une inflexion des inconvénients économiques au profit du sentiment de fierté d’appartenir à une puissance redevenue mondiale ?
Des questions que d’autres conférences pourront plus précisément aborder…

Jean-Michel Crosnier © Clionautes