Salle comble pour accueillir la conférence de Christian Montès, professeur de géographie à l’Université Lumière-Lyon II, spécialiste des États-Unis et notamment des découpages territoriaux. Christian Montès est l’auteur, avec Pascal Nédelec, de l’Atlas des États-Unis aux éditions Autrement.

Pourquoi s’intéresser aux découpages territoriaux ?

Une première réponse pourrait être que les divisions territoriales vont bien au-delà de la question géographique ou administrative. Elles reflètent les évolutions (économiques politiques, sociales démographiques etc.) que connait le pays et la manière dont les habitants se le représentent ou tentent de le structurer. Penser le territoire permet de penser les évolutions et les distinctions sociales qui apparaissent.

Le deuxième élément de réponse possible, c’est la prolifération des cartes de toutes sortes, scientifiques mais aussi citoyennes. Cette prolifération ne permet pas toujours de vérifier les éléments de constitution et les discours qu’elles portent. Il s’agit alors de voir ce qu’elles disent, ce qu’elles ne disent pas ou ce qu’elles cachent.

L’intérêt finalement du découpage territorial, c’est de permettre de dépasser les discours généralistes et les coupures manichéennes. Le pays n’est pas un monobloc et ainsi parler des États-Unis comme une unité est une erreur. C’est un pays vaste, largement divisé comme nous le verrons, et fédéral. Il n’y a donc pas d’américain moyen.

Penser les découpages territoriaux permet d’approcher les organisations et les différenciations que l’on pense cohérentes, qu’elles soient politiques économiques sociales etc. Cette clarification a néanmoins un revers car elle introduit une homogénéisation des espaces caractérisés.

Partir de cartes permet de mettre en lumière que les différentiations spatiales aux États-Unis sont souvent le reflet d’oppositions. Pourtant peut-on aller jusqu’à parler de la tentation de la dissolution de l’Union (Guerre de Sécession) ? Il faudra voir cela à différentes échelles (étatiques, villes (campagnes, suburbs etc.) avec un point d’attention : la carte est une réduction et cela a des conséquences sur sa lecture (grossissement de certains phénomènes, impression fallacieuse de proximité).

1, En quoi les découpages politiques permettent-ils de penser les États-Unis ?

Le pays est organisé dans sa majeure partie sur la base du township. Dès 1785 la colonisation de l’ouest est pensée par les pères fondateurs du pays d’une manière rationnelle, en divisant le territoire régulièrement sur une base carrée. Ceci afin d’assurer aux citoyens (hommes blancs) de voter de manière libre, c’est à dire permettre aux habitants (majoritairement paysans) de vivre de leur terre. Ce découpage se veut démocratique à la base et celui-ci résiste encore dans la majeure partie du pays, tant dans le territoire agricole que dans le territoire urbain (permanence du grid à Phoenix).

La division politique fondamentale supérieure est celle de l’État, pensé comme une entité politique indépendante et non pas comme un espace colonisé. Ces États n’ont pas une organisation économique mais bien politique.

Ce système est loin d’être aussi simple, car l’État fédéral est aussi propriétaire terrien (80% du Nevada est en possession de Washington DC). Ce phénomène a suscité un ressentiment assez fort dans l’Ouest, l’État fédéral pouvant mener des politiques de protection des ressources et des espaces, au détriment des intérêts privés et locaux. Des incidents fréquents ont ainsi lieu (prise d’otage d’un bureau national des forêts en 2017). Ceci renvoie au plus vieux débat du pays : celui des fédéralistes contre les défenseurs de l’indépendance des États.

La division politique en État a aussi un sens culturel, car elle conduit progressivement à l’apparition de représentations et modes de vie différents d’un État à l’autre (si le plat préféré dans le Michigan est la perche, il s’agit de la salade chinoise en Californie) voire l’émergence de stéréotypes étatiques (l’État du fromage pour le Wisconsin, petits vieux pour la Floride, hipsters mouillés pour l’État du Washington etc.) et régionaux (les gens du Nord Est sont impatients, agressifs, contrairement au sud plus poli etc.). Néanmoins les régions culturelles s’affranchissent des limites étatiques et nuancent les identités étatiques. Les limites de ces divisions conduisent à des lectures manichéennes du pays, notamment dans les lectures politiques

Une solution serait de penser le pays depuis une subdivision en comtés (3000 dans le pays). L’échelle municipale est inopérante, les municipalités étasuniennes fonctionnant par des politiques d’adjonction de territoires et s’incluant dans un patchwork administratif. Cette lecture par comté affine grandement les lectures et la compréhension des phénomènes (carte des minorités, carte des résultats électoraux par comtés).

2, Sortir du carcan étatique

  • La lecture par belt, qui permet une régionalisation du pays, allant de l’agriculture à la culture (Bible Belt, Black Belt, Rust Belt, Geriatric Belt etc.). Cette lecture est conforme à la réalité (concordance des productions agricoles et des belt agricoles, idem pour les german americans.
  • Autre échelle : la division métropole/campagnes, qui conduit néanmoins à une lecture faussée des données (carte de l’urbanisation par comté, laissant entendre que des comtés entiers sont urbanisés) et niant la grande réalité du pays : la faible emprise spatiale des villes.
  • Le territoire saisi par des nœuds à travers les aires métropolitaines majeurs qui concentrent hommes (77%) et richesses (25% de la richesse pour les 5 premières métropoles du pays).

3, L’échelle des micro-fractures : exemple de la ségrégation à Chicago

Les communautés aux USA ont une emprise spatiale, qui marque la ségrégation. On constate ainsi une corrélation entre les homicides, la pauvreté, les crimes liés à la drogue, les déserts alimentaires et les territoires noirs. Ces phénomènes se cumulent, d’autant que les amortisseurs sociaux n’existent pas. Ces découpages extrêmement fins nous permettent ainsi une plus grande compréhension des phénomènes de ségrégation socio-spatiale (exemple de Détroit qui s’est effondrée et de son aire métropolitaine qui ne connait pas cette situation). La forme la plus extrême de cette ségrégation se traduit dans les gated communities.

Toutes ces micro-coupures, comment les résoudre ? On en revient au politique en essayant de donner une voix aux personnes qui n’en n’ont pas, notamment en créant des districts politiques favorisant l’élection de minorités : on parle de gerrymandering.

Conclusion :

Inscription du fait politique dans le territoire extrêmement forte (township comme base d’organisation, comté et État comme lieu de construction identitaire et donc de différentiation, voire opposition) mais avec des limites.

Les USA montrent les divisions à de multiples échelles, à l’échelles larges (belt) et bien plus fines, qui traduisent des tensions socio-spatiales.