Est-ce que les migrants vers le Québec sont partis les mains vides ?

De l’argent un peu, un héritage culturel qui est le propos de quatre historiens québécois.

Catherine Ferland Chargée de cours à l’université Laval, éditrice de l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, elle a publié : Bacchus en Canada : boissons, buveurs et ivresses en Nouvelle-France (Septentrion, 2010) aborde l’héritage culinaire et de boisson. Elle pose la question d’une définition de l’identité culinaire de migrants venus des diverses régions de France avec des traditions culinaires différentes. Elle observe des invariants et une chronologie.

L’ère de la fondation, l’arrivée
La table est un élément important pour recréer un environnement familier. Les migrants ont à la fois un bagage français et une curiosité pour une nature sauvage peut-être pourvoyeuse de denrées mais avec une relative crainte des Amérindiens.
Le pain : les colons choisissent de faire pousser du blé alors qu’à l’arrivée ils ont consommé le « blé d’Inde » (Maïs) des Amérindiens.

L’installation : il faut tirer parti des richesses de la nature mais avec ses propres techniques : fromages, légumes et alcool. On peut produire de la bière mais on importe de grandes quantités de vin, c’est là un indicateur du maintien de l’identité française.

La guerre de sept ans et le modèle anglais
On assiste à un changement de régime politique et petit à petit de régime alimentaire. Plus d’importations depuis la France, nécessité de s’accoutumer aux nouvelles denrées par ex le thé remplace le café.

La période industrielle

Avec l’apparition des farines industrielles et des livres de recettes, on voit une alliance entre recettes du terroir et production industrielle avec la greffe de segments britanniques et étasuniens. Depuis les années 70 on observe l’idée d’un retour aux racines, la recherche identitaire d’un patrimoine français et québécois.

En 2016 Catherine Ferland parle de gastronomie cosmopolite et d’identité plurielle.

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Laurent Turcot professeur en histoire à l’université du Québec à Trois-Rivières (Canada). Titulaire de la chaire de recherche du Canada en histoire des loisirs et des divertissements s’interroge sur le transfert dans la colonie de la société française du jeu, de la fête et aussi du catholicisme.

Dans un premier temps la société peu nombreuse a peu de divertissements d’autant que l’Église contrôle les consciences et les corps comme le montre le mandement du seigneur de St Vallier contre les danses du 3 juillet 1683.

Et pourtant les voyageurs français comme anglais qui visitent le Québec rapportent l’image d’un peuple joyeux qui danse, une sociabilité importante.

À partir de ses travaux sa thèse : Le promeneur à Paris au XVIIIe siècle : construction d’une figure sociale sous la direction de Arlette Farge – Paris, EHESS il développe l’exemple de la transformation du divertissement à la française qu’est la promenade : voir et être vu, incarnation de la hiérarchie sociale dans des villes québécoises où les rues sont étroites.

«Le pain de sucre de la chute Montmorency, Québec», vers 1830
«Le pain de sucre de la chute Montmorency, Québec», vers 1830

On va se montrer dans la nature, même l’hiver en voiture découverte aux chutes de Montmorency. Une pratique qui permet la construction d’une culture originale.

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Gilles Laporte Professeur à l’université du Québec à Montréal et au Cégep du Vieux-Montréal , Historien spécialiste du XIXe siècle québécois aborde la question des influences politiques. Il démontre que le républicanisme n’est pas le fait de l’héritage français mais qu’il vient des États-Unis comme le féminisme est d’influence anglaise.
L’héritage français est quant à lui conservateur, royaliste, légitimiste même. La langue est celle d’Île-de-France que parlait le roi, le droit celui de la coutume de Paris, le catholicisme terre de mission jésuite renforcé par l’arrivée après 1793 des prêtres exilés et un enseignement religieux accaparé par des congrégations ultramontaines.

Quelques voyageurs apportent bien des idées nouvelles mais ils sont marginalisés.

Au début du XXe siècle on peut opposer une France républicaine et laïque à un Québec théocratique de « Français améliorés » selon une expression de l’époque, favorables à Vichy et rêvant d’une restauration nationale.

Le rapprochement entre les deux peuples va se faire grâce à la chanson, au cinéma. Le voyage du général De Gaulle et son « Vive le Québec libre » fissure l’image d’une France éternelle quand en parallèle on assiste à une renaissance du mouvement nationaliste, en somme comme une union de Jeanne D’Arc et Jean Moulin.

Aujourd’hui les deux sociétés semblent à nouveau s’éloigner : fermeture française face au multiculturalisme québécois.

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Le modérateur Yannick Déhée Docteur en Histoire, chercheur associé au centre d’histoire culturelle de l’université de Versailles-St Quentin, directeur de la publication du Temps des Médias, directeur de Nouveau Monde éditions. ouvre des pistes de réflexion sur cet héritage qui existe mais qu’est-il devenu aujourd’hui ?

En réponse quelques points sont évoqués : la hiérarchie des groupes sociaux voir Lettres au cher fils : correspondance d’Élisabeth Bégon avec son gendre (1748-1753), Éd. Nicole Deschamps, Montréal, Boréal, 1994 , le rappel d’un melting-pot dès le XVIIIe siècle, « on peut dire que les Québécois sont comme une éponge, ils naturalisent les influences ».

Yannick Déhée se demande, après l’échec des indépendantistes en 1995, si d’avoir obtenu des outils et la possibilité de maintenir la culture francophone (soutien au cinéma, à l’édition) n’a pas fait reculer l’autonomisme.

C’est Denis Vaugeois un des historiens incontournables du Québec et co-modérateur de cette table ronde est aussi ancien ministre des Affaires culturelles qui conclut : l’indépendance sera mais quand ? Lors d’une crise.

L’héritage français est sans doute en partie réel, en partie inventé