14h30 – 16 00 Amphi 1, site chocolaterie de l’IUT,
compte-rendu réalisé par Julie d’Andurain et Pierre Jégo

Béatrice Giblin
Cette conférence fut présentée et introduite par Béatrice Giblin, directrice de la revue Hérodote, fondatrice de l’Institut Français de Géopolitique. D’emblée elle précisa ce qu’elle devait à Yves Lacoste (auteur du fameux « la géographie, ça sert à faire la guerre ») en indiquant que l’Institut Français de Géopolitique est issu de l’école d’Yves Lacoste.
Dans son introduction, elle rappelait que la géopolitique avait été définie par Yves Lacoste dans son Dictionnaire de géopolitique (Flammarion, 1992). Dans cet ouvrage, il posait la question du rapport au territoire. En quoi ce rapport et sa représentation peuvent-ils être mobilisateurs ? En quoi ces représentations peuvent être contradictoires ?
En passant au thème de l’empire, elle rappela brièvement qu’au moment de la guerre des Balkans, il y avait eu une nostalgie de l’empire austro-hongrois avec une représentation idyllique de celui-ci. Béatrice Giblin précisait que l’empire se définit par un pouvoir central qui s’exerce sur des différents peuples en rappelant le contexte du mvt des nationalités du XIXe, l’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme élément des aspirations aux indépendances. Tout en précisant que les empires ne sont pas de même nature (et faisant un lien téléologique entre empire ottoman et empire colonial des occidentaux, elle expliquait qu’il n’y avait pas de lien entre la durée d’un empire et la nostalgie qu’il peut susciter (ex : empire de Charlemagne, empire Byzantin ; idem avec Alexandre ou Tamerlan. Des empires dynastiques comme les Abbassides, les Almohades ou Almoravides).

QUESTION : en quoi la représentation de l’empire peut être mobilisatrice à des fins géopolitiques? Ex : Erdogan en Turquie ; Poutine en Russie ; passage de la nation à l’empire en Israël

Nora Seni (spécialiste du monde turc)
Nora Seni a introduit la séance en parlant de la volonté de puissance du pouvoir politique turc actuel (Erdogan) en le présentant d’emblée comme une mascarade – une scène d’opérette – qui a pour seul but de renvoyer à la puissance. De la même manière, le néo-ottomanisme d’Erdogan serait un outil de la puissance, contemporain des mouvements islamistes. Ils traduiraient une nouvelle façon d’écrire le roman national de l’Empire, autrement dit une mutation du paradigme identitaire de la Turquie. Dans ce roman national, il s’agit de minimiser la destruction de l’empire turc en 1923 et de s’inscrire dans la continuité avec l’empire ottoman (celui de Soliman le Magnifique).
Ce « folklore » aurait des fonctions bien précises sur la scène locale et internationale. Sur la scène locale, il instaure la religion comme un principe de légitimité (vocable récurrent de « conformément à notre culture » ; voile des femmes, multiplication des écoles coraniques ; disparition des choix kémalistes ; modification du vocabulaire qui se nourrit désormais de mots religieux et arabes ; disparition des fêtes qui célèbrent la jeunesse et les enfants). On tenterait ainsi d’effacer de la scène publique les anciens marqueurs de l’identité turque. Sur la scène internationale, de nouvelles images apparaîtraient avec deux notions essentielles : notion de civilisation et notion de ‘zéro problèmes avec les voisins’.

André Skogstöm-Filler (spécialiste du monde slave)
Dans une analyse fondée sur des recherches mais où manquait une dimension pédagogique (rapidité du propos, vocabulaire abscons, avec des mots russes non orthographiés) le chercheur a présenté une analyse sur la renaissance de l’Empire russe en cherchant à montrer comment la notion « post-soviétique » a été centrale dans la reconstruction de l’actuelle Russie.
L’auteur a cherché à montrer que le concept (mais est-il un concept ?, cela n’a pas été dit clairement) de « post-soviétisme » est apparu moins de deux mois après le traité de Minsk (i.e. décembre 1991, qui entérine la dislocation de l’Union soviétique et donne naissance à la Communauté des États indépendants ou CEI), période durant laquelle des forces centrifuges et centripètes se sont exercées simultanément. Un auteur (dont le nom a été donné trop vite) a réussi à imposer ce terme de « post-soviétisme ».
En 2002, un autre auteur (américain) pose comme principe le fait que la chute de l’URSS est désormais dépassée et que le pays a évité la grande destruction. Le pays serait actuellement dans une tentative de reconstruction impériale qui obéit à une volonté des élites avec une orientation russo-centrée. En conclusion, la Russie serait en train de se remodeler en mobilisant la nostalgie post-soviétique.

Frédéric Encel (spécialiste du Moyen-Orient du conflit iasrélo-palestinien et d’Israël)
Avec une rapidité encore plus grande que son prédécesseur, Frédéric Encel – que l’on en présente plus – a cherché à montrer qu’ Israël pense en sioniste, que ce processus résulte d’un basculement de la religion vers la nation. Israël serait le fruit politique du sionisme, l’auteur faisant référence à Ben Gourion quasi exclusivement (exit Herzl, Zangwill, Birnbaum, etc.).
[Jusque là rien de nouveau puisque tout cela est bien connu par ailleurs]
Sur le thème de l’empire, F. Encel estime qu’Israël est en train de construire un empire parce qu’il agrège les Druses (avec D. ) comme un micro peuple au sein d’Israël, parce que les bédouins ont fait allégeance à Ben Gourion en 1948. Avec les annexions de 1967, 2 voies interprétatives de cette conquête de territoire auraient existé (mais elles n’ont pas été définies très correctement)

Au total, la conférence telle qu’elle a été présentée dans sa première partie était rapide, assez peu pédagogique dans sa forme (à moins qu’elle ne s’adresse qu’à des spécialistes….). C’est aussi de la salle et des questions posées que sont venus les éléments intéressants, les réponses ne l’étant pas moins. On passera brièvement sur la question de la tolérance à la turque puisque Nora Seni a répondu par un très lapidaire « la tolérance : c’est je peux t’écraser mais je ne le fais pas » (et sur la place Taksim voici peu ?) qui pouvait aussi se résumer par la coexistence de communautés « adossées » les unes aux autres.
Il a été remarqué qu’Erdogan ou Poutine exerçaient l’un et l’autre un pouvoir très fort, mais André Skogstöm-Filler a justement fait remarquer que ce qui les séparait c’est que Erdogan a construit sa représentation avec la rupture avec le kemalisme, tandis que Poutine est issu de l’U.R.S.S. et souligne le lien soviétique. Sur la question de la religion et de son instrumentalisation, c’est Nora Seni qui a fait la remarque la plus pertinente en montrant qu’elle servait à polariser les populations autour d’un programme politique. La salle ayant posé des question sur les frontières, les réponses ont montré que les frontières n’avaient guère changé. Sur cette question, F. Encel est intervenu pour rappeler combien en 1967, les frontières ont été dessinées sur des bases tactiques et non sur un raisonnement stratégique (et le pb de l’eau sur les hauteurs du Golan ?) car il s’agissait simplement de prendre pied sur des terrains haut pour dominer les plaines. A la question sur l’Iran, Nora Seni a rappelé le poids de l’axe chiite qui permet l’existence d’un pacte de non agression. Enfin, à la question de la fascination pour le kemalisme et l’armée, Nora Seni – toujours elle – a souligné combien l’AKP (Parti de la justice et du développement, i.e. parti d’Erdogan) avait contribué à délégitimer l’armée au cours de grands procès retentissants dans les années 2000-2010 (. Mais elle a montré ensuite comment l’AKP avait reçu l’adhésion des classes populaires et surtout des classes moyennes par des avantages donnés pour le logement, les soins hospitaliers. Selon elle, l’adhésion à l’AKP se verrait aussi par le vêtement (voile des femmes notamment).

Au-delà des recherches des différents auteurs, recherches fondées sur l’étude du très contemporain, le sentiment que laisse cette conférence est que la présentation globale était assez généraliste et assez peu fondée sur l’histoire. Il s’agit davantage d’une synthèse de l’actualité de chacun des pays, chaque intervenant étant sur ce thème plutôt très compétent.
Cependant, le propos a été parfois imposé à toute allure (et donc inintelligible) comme pour Israël, soit marqué par un vocabulaire universitaro-médiatique inutile (« liens paradigmatiques », « paradigme », « épistémologie », etc.).Il manqua aussi une dimension pédagogique et des visuels appuyant les prises de parole.
Ces critiques étant faites, vos rédacteurs n’ont néanmoins pas perdu leur temps, car les intervenants ont aussi enrichi et décliné leurs « représentations géopolitiques » de deux empires (le cas d’Israël étant moins clair et adapté à notre sens au sujet traité) comme celles du public !