Le café littéraire de la Halle aux grains était consacré vendredi soir à la libération des camps de concentration. Annette Wieviorka, directrice de recherche émérite au CNRS et auteure de 1945, La Découverte (Seuil), et Patrice Gélinet, journaliste, membre du conseil supérieur de l’audiovisuel et auteur de La libération des camps. Les témoignages des survivants (Acropole-INA), répondaient aux questions de Philippe Bertrand, journaliste à France inter.

L’ouvrage de Patrice Gélinet et un recueil d’entretiens avec huit témoins déportés dans sept camps différents, parmi lesquels Jorge Semprun, Germaine Tillion, Pierre Daix, et Guy Ducolonné. Dans 1945. La Découverte, Annette Wieviorka nous entraîne à bord d’une Jeep qui suit l’armée américaine, ou parfois la précède un peu, et souvent s’en écarte sur des chemins de traverse, après nous en avoir présenté les passagers. Il s’agit de deux correspondants de guerre, l’écrivain et journaliste américain Levin Meyer et le photographe français Eric Schwab. Tous deux sont juifs, tous deux travaillent pour des agences de presse (l’AFP pour Schwab, deux agences juives pour Meyer). Meyer à 40 ans et Schwab en a 35. Ils ne se connaissaient pas et vont devenir d’inséparables amis. Ils sont parmi les tous premiers à entrer dans les camps de concentration. Tous deux sont animés d’une « quête obsédante » : Meyer est torturé par son identité juive et recherche ce qui reste du monde juif, Schwab recherche sa mère, juive et allemande qui a été déportée et dont il n’a plus de nouvelles depuis 1943. Meyer va faire le constat de l’anéantissement du monde juif européen ; Schwab va retrouver sa mère vivante dans le camp de Terezin. Meyer envoie de nombreux articles publiés dans la presse internationale, Schwab fait d’innombrables photos dont certaines sont « devenues des icônes dont on a oublié l’auteur ».

Annette Wieviorka préfère le terme de « découverte » à celui de « libération » dans la mesure où tous les déportés qui avaient été internés dans les premiers camps dans lesquels entrèrent les Américains, avaient été transférés dans d’autres camps, souvent dans les terribles conditions des marches de la mort. C’est d’ailleurs le terme de « découverte » qui est utilisé par Jean Cayrol dans le commentaire du film Nuit et Brouillard, et par Olga Wormser-Migot qui a publié Quand les Alliés ouvrent les portes. A. Wieviorka montre, en utilisant des termes volontairement anachroniques, que cette découverte, et particulièrement celle du camp d’Ohrdruf, fut l’objet d’une «  opération de communication exceptionnelle« . Mais elle ne put guère développer, ni même véritablement exposer, l’essentiel du contenu passionnant de son ouvrage.

En effet le thème du débat ne fut pas approfondi et ne fut même pas réellement traité. D’une part Philippe Bertrand ne semblait pas véritablement dominer son sujet, d’autre part Patrice Gélinet s’évertuait à parler d’autre chose, en particulier, ce qui semblait l’obséder, mais n’avait rien à voir avec le sujet, de la récente publication, dans une édition critique, de l’ouvrage de Lucien Rebatet, Les Décombres.

Le retour des déportés dans des conditions très difficiles fut brièvement évoqué, ainsi que leurs immenses difficultés à se faire entendre, et le silence dans lequel ils entrèrent après avoir livré de nombreux témoignages écrits dans les deux années de l’immédiat après-guerre. Mais dans l’ensemble, compte tenu du thème qu’il prétendait aborder, à ce café littéraire fut une grosse déception.

On se reportera donc à l’ouvrage d’ Annette Wieviorka ou au compte-rendu qui en a été donné sur la Cliothèque :
Annette Wiewiorka 945 La découverte

Joël Drogland