A l’invitation du CRIF de la région Centre, Katy Hazan, historienne, auteur d’une thèse de doctorat sur les orphelins juifs après la guerre (Les orphelins de la Shoah. Les maisons de l’espoir) et d’autres ouvrages dont Le sauvetage des enfants juifs pendant l’Occupation dans les maisons de l’OSE 1938-1945 et Rire le jour, pleurer la nuit fait une conférence sur les Justes de France et, plus globalement, sur le sauvetage et les organisations juives de sauvetage, dont l’Organisation de secours aux enfants (l’OSE) dont elle l’historienne.

Le titre de « Juste parmi les nations » récompense, après collection de témoignages de Juifs, toute personne non juive qui, au péril de sa vie et sans contrepartie, à sauvé au moins un Juif au cours des années 1940. Il s’agit de la plus haute distinction civile décernée par l’État d’Israël, depuis 1963. Une médaille est remise à cette personne, ou à son ayant droit lorsqu’il s’agit d’une récompense posthume ; elle porte cette phrase du Talmud : « Quiconque sauve une vie sauve l’univers tout entier. » Naguère, le récipiendaire ou son ayant droit était invité à planter un arbre à son nom dans l’Allée des Justes au mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem ; mais la saturation de cette forêt ne permet plus d’accomplir ce geste. Les noms sont désormais gravés sur le mur des Justes à Jérusalem, et, pour les Français, sur le mur qui a été inauguré en 2006 au Mémorial de la Shoah, à Paris.

La France compte actuellement près de 3500 Justes, soit 14 % du total mondial des Justes. Des milliers de Justes potentiels ne seront jamais reconnus, d’une part parce que les témoins vont bientôt définitivement s’éteindre, d’autre part parce que beaucoup de ces actes de sauvetage sont restés anonymes.

L’ouvrage fondamental sur le sujet est celui de Patrick Cabanel, dont la Cliothèque a rendu compte et dont sont extraites les citations qui suivent.
[->http://www.clio-cr.clionautes.org/histoire-des-justes-en-france.html#.VD0KDGd_vTo
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À partir des années 1980, alors que la mémoire de la Shoah se substitue à celle de la Résistance, la mémoire des Justes s’impose en France et les médailles se multiplient. Un événement à joué un rôle décisif dans cette évolution : la remise d’une médaille collective des Justes, en 1988, à la population de l’ensemble du plateau du Chambon-sur-Lignon, qui devient véritablement « une icône du sauvetage collectif, de réputation mondiale, spécialement en Israël et aux États-Unis ». Le second tournant est largement lié aux présidences de Jacques Chirac qui s’ouvrent sur la Shoah (le 16 juillet 1995, le nouveau président de la République assume pour la première fois la responsabilité de la France dans la Shoah) et se ferme sur la reconnaissance des Justes. Le 8 juillet 2004, Jacques Chirac se déplace en compagnie de Simone Veil, présidente de la fondation de la mémoire de la Shoah, au Chambon-sur-Lignon, où il prononce un discours depuis l’école publique, choisie de préférence au temple protestant, pourtant lieu de mémoire majeur de cette histoire. Ce déplacement s’explique par la récente montée d’agressions racistes et antisémites en France, « mais des raisons plus profondes ont probablement joué à destination de l’opinion publique française (il s’agissait de « rectifier » la tonalité culpabilisatrice, ou du moins reçue pour telle, du discours de juillet 1995) ». Dans son discours, il célèbre les anonymes et souligne la diversité des conditions et des convictions des sauveteurs. Les Justes deviennent pratiquement « la » France, une fois mise de côté la minorité antisémite, vichyssoise et collaborationniste. En 2006, il inaugure le mur des Justes, comprenant la liste complète de leurs noms, sur la façade latérale du Mémorial de la Shoah. En 2007, ultime honneur, les Justes entrent au Panthéon, collectivement, « anonymement en quelque sorte, puisqu’ils sont la France autant que l’était le soldat inconnu (…) L’installation artistique Agnès Varda confirme cette approche : elle mêle des photos de Justes et de Français anonymes photographiés dans les rues, pour figurer les Justes inconnus ; c’est bien le peuple français qui entre au Panthéon en ce mois de janvier 2007. »

Le pourcentage de membres du clergé catholique et protestant parmi les Justes est considérable, eu égard à l’étroitesse de la population ecclésiastique. La proportion des protestants français, presque exclusivement calvinistes, est la plus grande : 11 % des Justes pour 1,5 % de la population française.

Géographiquement, près de 60 % des Justes viennent de la zone non occupée qui ne regroupe que 33 % de la population. Plusieurs facteurs expliquent cette prédominance : ampleur des mouvements de la population juive vers le sud puis le sud-est du pays, de 1939 à 1943, présence de nombreux camps d’internement, présence de frontières avec la Suisse et l’Espagne, dont la neutralité promettait aux fugitifs un refuge, présence de zones rurales à fort protestantisme, présence des seuls évêques qui aient publiquement dénoncé la persécution et encouragé le sauvetage.
Si 75 % des Juifs de France ont survécu, en ce qui concerne les enfants la proportion s’élève à 86 %. Divers facteurs permettent d’expliquer cette situation. Dans un premier temps, la livraison des enfants (en dessous de 16 ans) n’a pas été exigée par les Allemands. D’autre part, « les Juifs s’étaient dotés, parfois depuis de longues années, d’organismes spécialisés dans l’accueil et la formation des enfants, dans une optique de sauvegarde du judaïsme ou d’édification d’un foyer juif en Palestine : ainsi l’OSE, l’Oeuvre de secours aux enfants, bien antérieure aux années 1940 en dépit de ce que son nom peut évoquer, mais qui a évidemment réorienté son action pour répondre à l’urgence du sauvetage, d’abord légal, puis clandestin. » Il faut aussi prendre en considération le fait que « du côté des non juifs, il est plus difficile de ne pas se laisser émouvoir par le chagrin, la peur, la confiance d’un enfant, figure absolue de l’innocence et de la fragilité. »

Le sauvetage des enfants juifs parisiens ou de quelques grandes villes s’appuie tout d’abord sur la tradition de placement des enfants de l’Assistance publique dans les départements ruraux afin qu’ils y bénéficient de l’air pur et d’une alimentation saine. Des milliers de familles françaises étaient spécialisées dans l’accueil rémunéré des enfants et les populations s’étaient accoutumées à voir séjourner ce qu’on appelait toujours « les petits parisiens ». Ces familles étaient rémunérées et elles le resteront dans le cadre du sauvetage, la modestie de leur condition sociale rendant la plupart du temps cette rémunération nécessaire. Situation qui appelle cette réflexion de Patrick cabanel : « L’histoire des Justes n’est pas celle de héros purs de toute contingence, surgie comme par enchantement dans un monde où le mal absolu trouverait en face de lui le bien absolu. »

La grande rafle de juillet 1942 entraîne l’arrivée d’enfants, orphelins de fait, dans les foyers dirigés par l’UGIF, où ils ne sont pas en sécurité. L’OSE prend la décision de les cacher dans une vaste couronne de départements ruraux pas trop éloignés de Paris. Trois types de réseaux entrent en action. Les uns sont juifs (OSE) ; les autres sont mixtes avec des dirigeants et militants juifs et non juifs (Entraide temporaire) ; d’autres sont catholiques (Notre-Dame de Sion) ou protestants (La Clairière où la Maison Verte). Les personnages pivots sont les convoyeuses. Leur mission consiste à prendre en charge les enfants sur le quai de la gare, après que d’autres les ont acheminés à travers Paris depuis leur famille ou les foyers de l’UGIF. A l’arrivée du train dans l’un des départements ruraux de l’ouest ou du sud de la capitale, la convoyeuse confie les enfants aux familles contactées et qui ont donné leur accord, paye les pensions, visite les enfants déjà placés afin de s’assurer que leur santé et leur moral sont bons et qu’ils sont bien traités, mais aussi explore la proche région à la recherche de familles volontaires pour héberger d’autres enfants juifs. Elle rentre le jour même ou le lendemain à Paris. Plusieurs d’entre elles (elles sont inégalement connues) ont ainsi placé, avec une « audace tranquille » plusieurs centaines d’enfants. Les familles d’accueil sont payées, soit directement par les convoyeuses, soit par mandat postal. L’argent provient presque exclusivement de L’American Jewish Joint Distribution Committee, qui finance légalement, puis clandestinement, « par des procédés dignes d’un roman d’espionnage », les organismes juifs de secours en France.

À Toulouse et Montauban, à Albi, à Nice, à Clermont-Ferrand et à Lyon, les lettres des évêques ont eu une importance essentielle. Les prélats ont fait ouvrir les portes des couvents pour accueillir les Juifs. Mgr Rémond à Nice et Mgr Saliège à Toulouse sont devenus les pièces centrales de réseaux de sauvetage d’enfants. Ils sont cachés dans des couvents, dans des maisons d’accueil, ou chez des particuliers. La congrégation de Notre-Dame de Sion a assuré le plus important sauvetage collectif dans le monde catholique français.

Les directeurs, directrices et professeurs des écoles primaires supérieures (EPS) ont pu jouer un rôle plus important encore dans la mesure où leurs établissements disposaient d’internats qui ont fait d’eux de possibles maisons d’accueil. Dans le Limousin, décatholicisé, laïc, de gauche, les écoles primaires et les EPS ont été à l’avant-garde de l’accueil des enfants juifs.