Amphi 3 INSA, Université , Blois le vendredi 9 octobre 2014,

Avec F. Georgi Maître de Conférence à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Ingrid Hayes, professeur dans le secondaire et chercheuse associée au centre d’Histoire Sociale du XXème siècle, G-H Horn professeur à l’IEP de Paris, F. Jarrige , Maître de Conférence à l’Université de Bourgogne.

Après la présentation des différents intervenants, la Carte blanche débute par des rappels historiographiques faits par F. Giorgi comme la naissance de la « Revue du mouvement social » en 1960, les publications du Maitron (44 volumes) ce « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français» y ont contribué, comme les travaux de nombreux historiens.

L’histoire ouvrière a longtemps été suspecte. Elle a perdu sa centralité depuis les années 80 . Les bouleversements actuels renvoient-ils à un passé révolu ?
La question sociale reste une question centrale, cruciale. Aujourd’hui des formes de résistance fortes existent. Et pas seulement ici, en Chine aussi. L’histoire du travail et celui des « rebellions ouvrières » sont des travaux nouveaux. En 2013, on a vu se créer, par exemple, un « réseau d’Histoire du Monde du travail » qui peut être mis en parallèle avec la nouvelle recherche d’une « Histoire globale du monde du travail » et d’un numéro spécial « Travail et Mondialisation » de 2012.

Premier intervenant F. Jarrige s’interroge sur le concept de «rébellion ». Mais on peut parler de « rebellions ouvrières ». Elles sont des »mondes sociaux » en elles-mêmes. Ces soulèvements collectifs contre l’arrivée des machines, on les trouve dès 1780 en Angleterre, en 1789 à Rouen. Autre exemple très connu, le « Luddisme » et les destructions des machines en 1811 et 1812en Angleterre. Des révoltes aussi dans le midi, au moment de la Restauration. La désindustrialisation débute pour l’auteur dès le début du XIXème siècle dans le Languedoc ; et se poursuit en 1848 avec des révoltes contre les machines.
Pour F. Jarrige il y a 4 façons de revisiter ces « rebellions ouvrières » :
– Quelles significations donner à ces rébellions ouvrières ? S’appuyant sur les travaux d’E. Hobsbawm, ces rébellions sont construites autour de l’articulation injustice-violences qui n’apparaissent que lorsque toutes les autres formes d’ action ont échoué. Ils agissent au nom du droit et de la justice.
– Place des femmes dans ces rebellions ? Il y avait beaucoup de femmes dans ces révoltes (ex : Vienne en 1819) qui se répartissaient d’ailleurs les tâches.
– Déplacer le regard du cadre national à un cadre transnational (l’échelon de l’Etat-nation pas pertinent). Les comparaisons entre groupes sociaux sont intéressantes, circulation des mots d’ordre (y compris dans les élites) se retrouvent dans différentes rebellions. Pour les pouvoirs en place, on réprime celles-ci mais en pensant aussi à l’éducation pour enseigner aux ouvriers les rudiments de l’économie afin de diminuer le nombre et l’importance de ces rebellions.
– Les révoltes participent à un objet plus large de négociations et de l’industrialisation.

JL Robert pour sa part intervient sur l’histoire des conflits ouvriers pendant la 1ère Guerre Mondiale et après celle-ci. Non sans rappeler que la 1ère GM fut une guerre internationale et non transnationale. L’auteur évoque un colloque du CHS qui aura lieu les 27 et 28 novembre prochains sur les rebellions ouvrières durant la Grande Guerre et jusqu’à la fin de la 2ème industrialisation. Pour JL Robert la Grande Guerre a été un marqueur et a accéléré la 2ème industrialisation. La production d’armes de masse a fait de l’industrie de guerre en France l’une des 1ères au monde. 4 points peuvent être soulignés selon lui :
1) Perte de l’autonomie ouvrière ; les ouvriers deviennent des « soldats du travail ». L’intervention massive de l’Etat (mobilisations ouvrières, contrôles de la main d’œuvre, financements de la guerre…) au point que tout le XXème siècle sera marqué par celle-ci. Paradoxalement, la grève n’est pas interdite pendant la guerre, sauf celles qui remettent en cause l’effort de guerre et la défense nationale.
2) Une nouvelle main d’œuvre, de nouveaux ouvriers : les femmes, les immigrés. Ce sont de nouveaux rebelles aux aspirations différentes. En outre la grande usine prend une extension très importante (Renault, Billancourt usine de plus de 20.000 salariés, comme Citroën à Javel). Les lieux de travail s’éloignent du centre-ville, et la Bourse du travail n’est plus à côté de Billancourt ! la guerre industrielle induit aussi une histoire culturelle et sociale de la 1ère GM ; la question ouvrière est centrale (création du BIT à cette époque) et la notion de « Front » concerne aussi l’arrière avec la mobilisation, et les violences extrêmes.
3) La possible raréfaction des rebelles (broyés par le travail, les mots d’ordre de la Guerre) : effacement de l’anarcho-syndicalisme (ce qui se passe en Russie). On a des rebellions de misères (vie chère, prix x3), des grèves de femmes (50% des grèves de la 1GM !)
4) Le rebelle « révolutionnaire » (« communiste ») qui emprunte dans tous les modèles précédents ! le « métallo parisien est le modèle d’une nouvelle radicalité (autonomie sens de la discipline, chante l’Internationale mais prêt à se fondre dans les institutions durant toute la Grande Guerre…

Dernier intervenant, G-R Horn sur les « rebellions ouvrières » des années 60/70. Pour lui c’est le contexte du « Capitalisme tardif ». Avec ce titre provocateur « l’ouvrier a cessé d’exister »… Une classe, des mouvements du passé ?
Un grand cycle de mobilisation ouvrière a été initié dans les années 60/70. Grandes grèves en 1968_ en Belgique, en GB et en Italie. Des luttes transnationales avec des mots d’ordre qui ont été exportés/importés lors de ces grèves (ex : grèves chez Michelin en Belgique, en France et dans les Asturies). Les ouvriers plus combattifs furent les ouvriers italiens et espagnols. Il convient de différencier dans cette année 1968, l’Europe méditerranéenne (Italie/Espagne/France et…Belgique-sic !-) plus « rebelle »que l’Europe du Nord .
Autre thème important, le mythe de la relation « ouvriers/étudiants » qui a commencé en Espagne en 1965/66. Idem en Grande-Bretagne, en Belgique après 1970 et en Italie (cycle « vertueux » entre mouvements ouvriers et étudiants). L’auteur souligne aussi le « rôle clé du catholicisme de gauche » dans ce rapprochement étudiants/ouvriers. Même chose en Italie, le mouvement catholique œuvra à ce rapprochement.
G-R Horn souligne le rôle mobilisateur de l’Utopie dans la perspective de changer la société. Il faut copier cela dans les entreprises pour les faire évoluer… Le rôle « libérateur » de ces rebellions chez les ouvriers, les « prises de paroles » ont été très importants, selon M de Certeau.
Mais changeons d’échelle avec la « micro-histoire ». Les rebellions sidérurgistes consécutives aux restructurations dramatiques des années 1977/81 ont marqué les rebellions ouvrières en Lorraine et en France. Ce furent des rebellions contre la mort de régions industrielles, contre le pouvoir et les journalistes aussi. Une « radio cœur d’acier » née à Longwy (au temps des radios libres) en fut à la fois l’actrice et la voix. Cette expérience militante pose question :
-pourquoi la rébellion prit cette ampleur à ce moment-là ? L’action de la radio libre dura 15 mois, en vain. L’appareil sidérurgique fut démantelé (crise pas nouvelle, qui avait commencé 15 ans plus tôt) avec des licenciements secs. 3 éléments se combinèrent :
– un plan de licenciements secs.
– le contexte de crise économique
– Caractère massif de la réaction syndicale, avec démonstration de force de la CGT contre le PS avec la possible alternance de 1981.

Qu’en conclure ? Des formes classiques de mobilisations, mais des formes aussi innovantes dans ces rébellions ouvrières. Des manifestations massives à Longwy pour la défense de l’appareil de production, des radicalisations, avec des déchargements de minerais en provenance de l’étranger, attaques et saccages de bâtiments publics ; une « radio cœur d’acier » qui intervient d’une manière décalée, une tentative de généralisation de la grève qui échoue. Les rébellions sont « poussées hors de l’usine », les femmes s’impliquent, mais des rebellions qui pour Horn « sortent de leur classe ».
Pour l’auteur, la périodisation de « vagues de grèves » va de 1968 à 1979. Le « compromis fordiste » se clôt avec les sidérurgistes licenciés en masse de 1977 à 1979, ce qui constitue un phénomène majeur. Les modes d’action furent nouveaux, souvent spectaculaires parce que les autres n’avaient pas marché. G-R Horn ajoute que Longwy ne s’était pas révoltée en 1968… et termine son exposé sur la dualité de ces « rebellions ouvrières » des années 60 à 80 à la fois utopiques et conservatrices.

Pierre Jégo pour les Clionautes