Nathalie Belhoste, enseignant-chercheur à GEM ; ses recherches portent sur l’intégration de la géopolitique dans les stratégies de développement des entreprises. Ses nouvelles recherches portent sur le rôle des entreprises dans les zones de conflits et sur le poids des FTN dans la géopolitique mondiale. 

NB de part son parcours professionnel présente son rôle comme tisseuse de liens entre les étudiants de l’école et l’entreprise. À la question « qu’est-ce que la géopolitique ?”, les réponses de la salle sont diverses. Or la géopolitique s’invite partout cf. Le maillot Adidas présenté pour l’équipe nationale espagnol incluant les couleurs de la 2nde république espagnole, ayant suscité un buz certainement pas prévu par le chef de projet qui ne pensait pas « faire de la politique ». L’entreprise exportatrice quelle que soit sa taille doit donc s’équiper pour penser les contextes géopolitiques et tenir compte des échelles territoriales… Selon le géographe Yves Lacoste, la géopolitique est « l’étude des rivalités de pouvoir et des représentations présentes sur un territoire ». 

D’abord le poids des Etats… 

Si la géopolitique n’est pas qu’une affaire d’Etats-Nations, ceux-ci gardent la main ou l’ont reprise y compris dans le cadre d’une gouvernance mondiale qui était censée limiter leur influence. On peut citer entre-autres : 

  • La perte de marchés à cause de sanctions économiques décidées par un Etat :  le Japon est privé du marché des terres rares chinoises après l’arraisonnement d’un chalutier chinois dans la zone maritime des Senkaku (photo), ou les taxations très médiatisées de l’acier et de l’aluminium exportés par les partenaires européens et canadien par le président Trump. 
  • La question épineuse du « risque politique » avec une carte différenciant les pays du monde selon un indice de « risque » (carte) ne tenant pas compte des spécificités produits / pays mais se basant sur le niveau du droit des affaires, et avantageant nettement les pays occidentaux. 

Mais l’entreprise ne fait pas que subir, elle est également acteure de la géopolitique ! 

On évoquera les FTN dont le poids économique et l’influence politique dépassent celui de pays importants : 

  • Ainsi Walmart, 1ère chaine d’hypermarchés mondiale pèse autant en terme de chiffre d’affaire que le PIB du Nigeria, 1ère économie africaine ; celui d’Apple pèse autant que ceux du Benelux… 
  • Les GAFAM sont l’objet de reconnaissances politiques inédites dans la foulée du traitement de leurs PDG reçus comme des chefs d’Etat : ainsi le Danemark a nommé un « Digital Ambassador » dans la Silicon Valley ; l’Estonie, 1er pays à s’être doté d’un gouvernement « numérique » cherche à sécuriser ses données gouvernementales dans Amazon Cloud ou Microsoft Azure, vu l’activisme en la matière du grand voisin russe… 
  • Entreprises et États ont pu avoir une connivence forte cf. United Fruit et les USA avec l’établissement de la dictature militaire au Guatemala en 1954 ou récemment la destitution du président paraguayen en 2013 sous l’influence de Monsanto soutenant les grands propriétaires terriens favorables aux cultures OGM. 

=> double mouvement d’interactions États / FTN 

Nos entreprises françaises sont-elles préparées au risque géopolitique ? 

  • Où s’implanter ? L’exemple de Notre-Dame-Des-Landes montre comment un projet conçu sans tenir compte des différents niveaux de décision peut aujourd’hui échouer. 
  • Un savoir faire qui s’apprend nécessitant de maîtriser une pensée complexe (schéma) avec une analyse multidisciplinaire incluant géographie, démographie, institutions politiques, histoire, représentations culturelles, et multiscalaire, selon les territoires concernés. Si l’on prend la cas de la future centrale atomique EPR de Jaitapur en Inde, on a au niveau « micro », les questions environnementales ; « meso » les besoins énergétiques de l’Inde avec sa croissance démographique ; « macro » le niveau de relations internationales avec le veto du Japon tant que l’Inde n’a pas signé le traité de non prolifération nucléaire… 

 

Débat avec la salle : comment apprécier le risque géopolitique pour une entreprise ? 

  • D’après la carte présentée, les pays africains sont parmi les plus mal classés en matière d’implantation d’entreprise. Or les affaires en Afrique se font avec des règles juridiques différentes dans les pays considérés comme stables sur le plan politique. 
  • Les déboires de Lafarge en Syrie peuvent servir de cas d’école : sous-estimation du risque terroriste et surestimation des possibilités de négociation avec Daech. D’autres s’en sortent mieux comme Total au Yemen qui a réussi à préserver du conflit entre Houtis et Sunnites sa raffinerie de gaz liquéfié. 
  • Le risque géopolitique compte-il plus que le risque financier ? Il faut apprécier la question selon l’approche systémique proposée plus haut. Le risque financier n’est que la résultante de multiples facteurs liés à la mondialisation des échanges. 
  • La géopolitique a-t-elle toujours existé dans les accords et échanges entre Etats et entreprises de commerce ? Oui, mais la dimension prise actuellement est sans commune mesure avec le passé du fait de la mondialisation et de la révolution numérique.