Un beau reportage sur les découvertes récentes et plus anciennes des « tombes princières celtes » de la civilisation de Hallstatt à la fin du Premier âge du fer (VIIe av. J.-C. / Ve av. J.-C.)

Pour évoquer ces peuples sans écriture, vivant entre les VIIe et Ve av. J.-C. au nord des Alpes, à cheval sur l’Europe centrale et occidentale, bien peu de sources historiques. Hérodote essentiellement, qui parle des « Keltoi » et situe une de leur cité (ville) apparemment importante, au niveau des sources du Danube.
C’est donc l’archéologie, qui identifie après plus de 150 années de fouilles, un ensemble de sites avec suffisamment de traits matériels communs pour évoquer une civilisation, celle de Hallstatt (du nom du site archéologique situé en Autriche) s’étalant chronologiquement sur environ deux siècles.
Partant de la découverte la plus récente sur le site de Lavau, près de Troyes, Alexis de Favitski le réalisateur, nous entraîne sur les principaux sites funéraires ou d’habitat européens (Vix en France, Heuneburg et Hochdorf en Allemagne) pour s’intéresser à, et s’interroger sur, ce que les archéologues ont dénommé « le phénomène princier ».

Les tombes princières, de Lavau à Vix : manifestation d’une culture funéraire des élites ?

Le documentaire présente d’abord soigneusement les découvertes faites sur le site de Lavau. En 2014 a été émise à jour une immense tombe de près d’un hectare d’emprise. A l’intérieur reposait le corps d’un homme couvert de bijoux, dont un torque en or massif, reposant sur un char à deux roues et entouré d’une riche vaisselle de banquet. Les archéologues ont daté la sépulture du Ve siècle av. J.-C., contemporaine donc de l’époque d’Hérodote ! L’aspect monumental de la tombe, formée d’un tumulus de 40 mètres de diamètre et la richesse des objets déposés permettent de classer cette sépulture dans la catégorie des tombes princières de la période de Hallstatt. Le plus intéressant dans le mobilier funéraire mis à jour est l’existence d’un immense chaudron en bronze aux anses décorées du dieu grec Acheloos et d’une cruche à vin grecque à figure rouge.
Le reportage nous révèle que ce même type de tombe a été découvert un peu partout en Europe et notamment pour les plus spectaculaires par leur dimension et leur richesse, à Vix en Bourgogne, à la Heuneburg et à Hochdorf dans le Bade-Wurtemberg. Corps d’homme et souvent de femme (« la dame de Vix ») appartenant manifestement à une élite sociale, couverts de bijoux en or, reposant le plus souvent sur un char de dimension réelle, et entourés de vaisselle, propre à célébrer un banquet dans l’au-delà. Toutes ces tombes étant recouvertes par des tertres (tumulus) de plusieurs dizaines de mètres de hauteur.
Ces sépultures interrogent bien évidemment sur l’organisation politique et sociale de ces groupes humains.
Passant des espaces funéraires à ceux de l’habitat, le documentaire note là encore de nombreuses similitudes entre les sites. A la Heuneburg comme à Vix, les zones d’habitat sont perchées sur des collines naturelles, dominant les espaces funéraires en contrebas. Les fouilles ont permis de montrer que ces lieux étaient fortement fortifiés, formant, notamment à la Heuneburg, de véritables agglomérations (peut-on parler de « villes » ?). Et la démonstration gagne en intérêt lorsque le reportage montre que la plupart de ces sites sont situés à proximité d’un cours d’eau important (Seine, Danube…) à des points de rupture de charge. Les fouilles en cours à Vix notamment ont permis de dégager les structures de ce qui pourrait être un port fluvial.

Des élites enrichies par le commerce dans un monde celte connecté ?

Comment expliquer la munificence de ces élites celtes, dans un monde sans économie monétaire ? Le reportage propose une explication, souvent admise mais parfois discutée chez les archéologues et les historiens. Ces agglomérations seraient des lieux de transit de marchandises à l’interface entre les territoires du nord fournisseurs d’ambre, d’étain et le monde méditerranéen, gréco-étrusque. Ces agglomérations celtes seraient ainsi au centre de vastes courants d’échanges depuis la Baltique jusqu’à la Méditerranée. Ceci expliquerait la présence dans ces riches tombes, d’objets issus de Grande Grèce, d’Attique ou de la Méditerranée elle-même avec la présence d’ornements de corail.
Le reportage qui illustre son propos de nombreuses cartes du monde celte, et des courants d’échange qui le parcourent, donne au spectateur l’idée d’un monde celte connecté.
Mais le plus intéressant dans ce documentaire est qu’il nous donne à saisir,à travers ces objets venus d’ailleurs et leurs représentations (figure de Dionysos sur l’œnochoé de Lavau, hoplites en bronze sculptés sur le merveilleux vase de Vix), la fascination qu’exerçait le monde grec sur les mentalités des hommes et femmes de ces sociétés sans écriture. A l’inverse on peut imaginer l’étonnement de ces marchands grecs ou de leurs intermédiaires issus des mondes méditerranéens, devant la place éminente réservée aux princesses celtes.
Les connexions en histoire ne portent pas uniquement sur les échanges matériels, mais bien aussi sur les perceptions que les peuples peuvent avoir les uns des autres.

Au final « L’énigme de la tombe celte » est un documentaire passionnant d’une grande rigueur narrative et scientifique, même si bien sûr la loi du genre oblige à des raccourcis ou quelques imprécisions, même si bien sûr l’archéologie (et c’est sa grandeur) pose plus de questions qu’elle n’offre de réponses certaines. Il procure également de par ses qualités esthétiques (qualité de la photographie, pertinence dans le choix des plans sur les objets archéologiques présentés, reconstitutions en 3D), un véritable plaisir visuel.

Richard Andrieux, Narbonne.