Axelle Guillausseau, professeur de chaire supérieure Centre R. Mounier, Sorbonne université
Mokhtar Ben Barka, Professeur des universités, Université de Valenciennes.

La conférence à deux voix a permis de comprendre la place particulière que la religion occupe aux États-Unis, et selon Moktar Ben Barka, depuis les origines. De son côté, en s’appuyant sur ses travaux sur les canonisations, Axelle Guillausseau a su montrer comment les personnalités des Saints choisis pendant les pontificats de Jean-Paul II, Benoit XVI et François ont pu s’inscrire dans la perceptions que les différentes communautés dans le pays ont pu avoir du culte catholique mais aussi de leur histoire.
Le fait religieux s’inscrit dans l’histoire des États-Unis depuis les origines, en 1620 avec l’arrivée des pères pèlerins. Cette terre promise qui comble les croyants de ses bienfaits est une réponse de Dieu. Et donc, il existe bien une référence biblique que nous qualifierons de consubstantielle au projet américain.
Pour autant, les États-Unis sont bien le pays des paradoxes, avec cette opposition entre la tolérance, notamment en matière religieuse, et le racisme. On y retrouve aussi cet autre paradoxe, celui qui oppose la religiosité la plus affirmée et la laïcité garantie par la Constitution.
Cela permet d’aborder différentes approches, celle d’une forme de religion civile, le fameux patriotisme américain, et en même temps, cette dimension messianique que l’on retrouve depuis les origines, de la destinée manifeste jusqu’à l’interventionnisme visant à réguler la marche du monde.

Axelle Guilleausseau est intervenue pour parler des « nouveaux saints américains » en rappelant que justement le messianisme est au cœur de l’identité du pays. La terre promise, celle où se construit une société égalitaire en référence aux presbytériens qu’étaient les pèlerins du Mayflower. C’est à partir de ce messianisme des origines qu’a été mise en avant, par John O’Sullivan en 1845 cette idée de la destinée exceptionnelle, manifest destiny. « It is our manifest destiny to overspread the continent alloted by Providence for the free development of our yearly multiplying millions. »

Les nouveaux Saints s’inscrivent assez bien dans cette logique.
Sœur Marie Drexel https://nominis.cef.fr/contenus/saint/5971/Sainte-Catherine-Marie-Drexel.html
Sœur Marie-Jésus de Philadelphie (1898 – 1955) a été canonisée par Jean-Paul II en 2000. Sainte Catherine Drexel fonde la Congrégation des Sœurs du Saint-Sacrement et dépense les biens qu’elle avait reçus en héritage pour éduquer et aider les Indiens et les Noirs d’Amérique. On comprend aisément la démarche et le choix de Jean-Paul II dans ce contexte très particulier.

Benoît XVI élève comme Sainte, Kateri Tekakwitha née en 1656 dans l’État de New-York. Son père est un Agnier et sa mère est une Algonquine chrétienne. Elle est baptisée à l’âge de 20 ans, le jour de Pâques 1676 et reçoit le prénom de Kateri. https://nominis.cef.fr/contenus/saint/9934/Sainte-Kateri-Tekakwitha.html

SI les deux premières canonisations ne posent pas de problème particulier et pourraient être considérées comme « politically corect », celle de Juniper Serra https://nominis.cef.fr/contenus/saint/8019/Saint-Juniper.html
est évidemment sujette à polémique. Apôtre de la Californie, il a été élevé comme Saint le 23 septembre 2015, par le Pape François.
Missionnaire franciscain, il a été sans doute évangélisateur des amérindiens, mais il aussi développé des exploitations agricoles avec l’encomienda, https://www.herodote.net/encomiendas-mot-46.php
Cela a suscité de nombreuses oppositions de la part des mouvements de natives américans. Ces derniers le considèrent comme un acteur de la colonisation et de l’ethnocide.
Les figures de Saints contemporains sont en réalité révélatrices de la fracture existante dans le pays. Le pays est à minorité Catholique mais cela n’empêche pas les canonisations de contribuer à une sorte de fierté nationale. On retrouve la même chose en Australie avec Sainte Marie Mac Killop https://nominis.cef.fr/contenus/saint/10266/Sainte-Mary-MacKillop.html, ou encore Mère Térésa, albanaise, donc dans un pays à majorité musulmane. Cette dernière est considérée aujourd’hui à Tirana comme une icône nationale http://avia-pro.fr/blog/aeroport-tirana-mat-tereza qui a donné son nom à l’aéroport international, ce qui est somme toute logique si on veut s’élever vers le ciel…
Aux États-Unis, les dernières canonisations ont fait ressortir les lignes de fractures dans un des rares pays où le catholicisme, avec la communauté latino, progresse.

Moktar Ben Barka a pris le relais pour développer sur les pratiques religieuses dans le pays.
La pratique religieuse et la fréquentation des lieux de culte restent très élevées si on la compare à celle des français  (40 % vs 9 %)! Croire en Dieu fait partie de l’identité nationale même si les sans religion, consultés par différents sondages, se déclarent plus nombreux. Près de 20 % de la population. https://share.america.gov/fr/religion-aux-usa-un-paysage-diversifie/

Moins de 5 % des américains se déclaraient sans religion en 1960, 22 % aujourd’hui. L’effondrement du communisme mais aussi la montée de l’individualisme seraient des facteurs explicatifs.
Toutefois, cela va de pair avec une baisse du protestantisme, ce qui amène la droite américaine à parler de « brunissement » de la société.
Le pluralisme religieux correspond à une forme demande de spiritualité ; mais en même temps, les conversions et donc les passerelles entre religions sont fréquentes.
Il conviendra de rappeler que la religion est un business, ce qui se traduit par ces mega churches, des centres spirituels conçus comme des centres commerciaux avec tous les services possibles. Cela donne des regroupements de 2000 fidèles et plus par culte.
Contre les tenants de la théorie du brunissement qui voient le protestantisme reculer, Moktar Ben Barka a rappelé que près de 60000 latino-américains se convertissent au protestantisme, ce qui traduit sans doute une volonté d’intégration.
Au niveau de la religion civique, il conviendra de rappeler que celle-ci fait référence à un Dieu universel, celui qui est indiqué sur la devise des billets de banque, In God we trust, mais ce Dieu n’est pas confessionnel. Il est présent pour tous sous des formes différents, ce qui se traduit par le Thanks giving, la fête familiale qui est pratiquée par tous, y compris les musulmans semble-t-il, à l’exception des plus rigoristes sans doute.

Lors de mon intervention, j’ai amené les intervenants à préciser la différenciation qui s’opérait, le racisme selon Ben Barka, qui s’exerçait dans les lieux de culte. Les églises sont noires ou blanches, rarement métisses. Chez les catholiques, les irlandais ne se mélangent pas avec les latinos auprès de l’Autel.
Au niveau des chiffres des pratiques religieuses, 27 % de catholiques, 2 % de juifs et de musulmans, les autres se répartissent en différentes minorités protestantes très divisées… évangéliques ou non, baptistes ou non, sans parler des différentes composantes luthériennes, presbytériennes, donc calvinistes et ce que l’on appellerait les sectes, c’est à dire les deux religions nées sur le sol américain, les Mormons et les Témoins de Jéhovah.