Emmanuelle Vagnon-Chureau et Eric Vallet nous ont présenté au cours d’une table ronde un ouvrage collectif qu’ils ont codirigé sur la représentation cartographique de l’Antiquité au XVIe siècle de l’océan Indien. Un très bel ouvrage volumineux, au format à l’italienne, évoquant les horizons lointains, richement illustré, qui nous invite à voyager à travers plus de vingt siècles de cartographie. Les auteurs nous font donc découvrir comment l’océan Indien a été imaginé et représenté, en Orient et en Occident, depuis les premières cartes mésopotamiennes jusqu’aux mappemondes de la fin XVIe siècle. Ils rappellent les origines du terme de « la fabrique » qui serait attribué à Gerard Mercator paru dans son atlas paru à partir de 1585. Ils montrent que le passage entre un océan Indien fermé mais connu au temps de l’Antiquité gréco-romaine à un océan Indien ouvert c’est progressivement imposé à partir du XIe siècle, au cours du Moyen Age, avec les premières cartes arabes (XIe et XIIIe siècles) et surtout à partir du milieu du XVe siècle, avec le transfert de toutes les connaissances du monde arabe par l’intermédiaire des marchands avec et depuis Marco Polo. C’est avec les Grandes Découvertes que la connaissance et la représentation de l’océan Indien s’affinent autant pour le monde occidental que pour le monde arabe.


La conférence débute avec la présentation de l’ouvrage « La fabrique de L’océan Indien » sous la direction de Emmanuelle Vagnon-Chureau, chercheuse au CNRS et de Eric Vallet, maître de conférence à Paris-Sorbonne, associés avec quatorze contributeurs différents, le résultat d’un ensemble de programmes de recherche et de projets dont celui sur « océan Indien et sociétés méditerranéennes » piloté par Didier Marcotte, qui s’est élargi aux cartes orientales avec l’exposition de 2012 de la Bnf.
La Fabrique de l’océan Indien, cartes d’Orient et d’Occident (Antiquité-XVIesiècle), sous la direction d’Emmanuelle Vagnon et Eric Vallet, publication de la Sorbonne, Paris, 2017, p.372
Un planisphère scolaire de 1884 en ouverture du livre et en introduction
La fabrique de l’Océan Indien, p.14
La conférence commence par la projection d’un planisphère scolaire de 1884, celui d’Alexandre Vuillemin, centré sur Europe au cœur d’un réseau transatlantique avec l’indication des découvertes et des routes coloniales et aussi des notifications concernant les routes arabes antérieures. L’intention est de raconter pédagogiquement le long flux des routes empruntées ou sinon découvertes, du moins prolongées par les Européens. L’océan Indien est là mais marginal, périphérique, dominé voire dompté par l’Europe. Mais qu’appelle-t-on aujourd’hui l’océan Indien ? Les conférenciers rappellent selon les conventions internationales les limites de l’Océan Indien, une étendue d’au salée de plus de 75 millions de km², situé dans la partie occidentale entre l’Afrique et l’Inde prolongé au nord par la mer Rouge et le golfe persique et dans la partie orientale, bordé par la péninsule et les archipels de l’Asie du Sud-Est et se finissant au sud jusqu’à l’océan Antarctique.

Ils justifient ensuite l’objet de leur étude, le choix les cartes au lieu des textes, car elles relient et elles saisissent les espaces dans leur globalité et elles permettent donc de retracer l’invention de l’océan Indien comme une entité globale à l’époque pré-moderne. Puis ils posent la question de l’unité historique de cet espace maritime, celle de restituer la notion d’océan Indien selon le modèle de la Méditerranée de Braudel (une performance à l’époque !). L’océan Indien peut-il être un objet d’histoire? Il a été jusqu’à une date récente demeuré à un espace marginal pour l’historiographie mondiale. En Europe, son histoire fut associée au récit des Grandes Découvertes et à l’épopée coloniale des empires ibériques. Ce fut avec Auguste Toussaint (1911-1987), natif de l’île Maurice et disciple de Fernand Braudel, un précurseur de l’histoire maritime et non plus une histoire navale et militaire, mais une histoire prenant en compte l’histoire des peuples et des échanges, sur une longue durée. Depuis d’autres historiens comme Kirti Narayan Chaudhuri, historien britannique d’origine indienne qui a imposé l’idée d’une « Méditerranée indienne », trait d’union entre l’Afrique et l’Asie, et plus récemment dans « Les mondes de l’Océan Indien », Philippe Beaujard définissant ces différents mondes de l’océan Indien comme des espaces de relations d’échange entre les personnes le bordant. L’espace étant aussi une représentation, nous avons voulu à partir des cartes l’inclure.

I – Donner forme à l’Océan Indien

1 – Un océan fermé ? Eric Vallet rappelle que la carte n’est pas le territoire, elle est toujours une reconstitution d’un territoire. Ainsi il était pertinent de comparer les cartes issues de différentes cultures (perse, indienne, arabe, chinoise, etc.) et d’étudier les transferts culturels, tant au niveau des concepts que des formes, des noms de lieux, et des images. L’analyse porte sur une longue durée, un parcours chronologique de la plus antiquité jusqu’à la cartographie de l’époque moderne, avec l’émergence des compagnies commerciales néerlandaises et l’avènement des atlas. Le terme de la «Fabrique» est emprunté à Gérard Mercator (1512-1594) dans le tire de l’ouvrage inachevé les Méditations cosmographiques de la fabrique du monde et figure d’iceluy, paru par morceaux en 1585.
La fabrique de l’Océan Indien, p.28, Mappa mundi de Babylone, VVVIe siècle av. J.-C., découverte à Sippar, actuelle Abu Habba, sud de l’Iraq, fin XIXe siècle
La plus ancienne représentation de l’océan Indien conservée jusqu’à nos jours se trouve sur une tablette d’argile mésopotamienne du VIIIe av.J.-C. Au centre de la mappemonde, Babylone est indiquée dans un rectangle, autour une série de petits cercles représentant des villes et autres entités politiques comme l’Assyrie. Le monde est représenté alors sous la forme d’un disque, divisé en deux parties par deux traits parallèles, pouvant représenter le cours d’un fleuve, l’Euphrate; et l’ensemble, l’espace habitable, est entouré par deux cercles concentriques à l’intérieur desquels est écrit marratu pour désigner une eau «amère» ou «salée», l’océan.
Les Grecs partageaient avec les Mésopotamiens cette même idée d’un océan primordial entourant un disque terrestre. Cependant les cartes grecques furent perdues, seules celles de l’astronome et mathématicien grec Ptolémée qu’il composa à Alexandrie au IIe siècle apr. J.-C., furent recopiées et retrouvées dans un manuscrit byzantin du XIIIe siècle. C’est un savant de Constantinople, Manuel Chrysoloras, qui apporta ce manuscrit en Italie où il fut traduit en latin. Le livre devint rapidement un ouvrage de référence et il fut copié en de nombreux exemplaires, puis imprimé à la fin du XVe siècle.
La fabrique de l’Océan Indien, p.39, une carte itinéraire peinte sur une longue bande de parchemin, acquise par l’humaniste allemand Conrad Celtis qui la légua à son ami Conrad Peutinger (1465-1547. Peut-être une copie médiévale d’une carte de l’empire romain datant du IVe siècle. L’île de Trapobane mentionnée (en bas et à droite de la carte) l’océan Indien est identifié mais pas nommé marque la limite du monde connu.
La grande postérité de Ptolémée a été de passer de la sphère au plan. Les cartes de Ptolémée connues par quelques marins cultivés jusqu’au XVe siècle en Occident avant sa vulgarisation grâce à l’imprimerie, furent abondamment traduites et utilisées dans les géographes persans et arabes. Or Ptolémée avait mis en symétrie la Méditerranée et l’océan Indien, représentant cet espace maritime fermé par une terre inconnue. Ptolémée lui même laissa ouverte l’hypothèse d’un océan semi ouvert vers l’Est. Quelle est donc cette représentation de l’océan Indien par le géographe grec? L’océan Indien est dessiné comme une mer close, fermée au sud par l’Antarctique et prolongée à l’Est, depuis l’Afrique orientale et australe, par l’Asie du Sud-Est jusqu’à l’île de Malacca. Il y donna le nom de «mer indienne», une appellation pas nouvelle en soi au IIe siècle apr.J.-C., mais c’est la nouveauté de l’espace maritime concerné, étendu à l’ensemble des mers et des golfes situés à l’Est de l’Egypte. Le nom de «mer «indienne» se substitua à celui de «mer Erythrée» qui désignait auparavant la mer méridionale (l’océan Indien actuel) par opposition à la Méditerranée.

Dans la tradition arabe, le nom et l’œuvre de Ptolémée était connu mais il n’y avait pas de carte originelle, seules des copies, des traduction de l’inventaire des toponymes en arabe, en syriaque ou bien des descriptions de carte ancienne. Néanmoins la cartographie arabe, au début du Moyen Âge, ouvre l’océan Indien vers l’est sous la forme d’un long couloir élargi depuis la côte africaine qui se prolonge au sud est de l’Inde. On parle de modèle “bec d’oiseau” chez les géographes Persans. A la différence avec la représentation de Ptolémée, la Chine dans les cartes arabes ne ferme plus l’océan Indien.

2 – Vers un océan ouvert.La rupture se produit, à partir du XIe s, avec Al Biruni le persan qui s’interroge sur la forme des continents et des mers. La Fabrique de l’océan Indien, p.120.Il remplace la “côte africaine,” exagérément prolongée à l’est, par des îles et il réduit la pointe de l’Afrique en envisageant le passage au sud (on aurait retrouvé des bateaux cousus dans le détroit de Gibraltar). La représentation de l’océan Indien dans les mappemondes latines, entre le VIIIe et le XIVe siècle, bénéficia de nouvelles sources d’information, issues des observations des voyageurs et des traductions d’ouvrages rédigés en arabe et en grec mais pour la plupart dans l’Occident latin, durant cette période, l’océan Indien demeure un espace maritime abstrait et lointain.

La Fabrique de l’océan Indien, p.43. Carte du XIIe siècle copiée au XIIIe siècle dans un scriptorium de Cambrai. Cette carte combine les deux formes de mappemonde zonale et œcuménique. Jusqu’au XIIIe siècle, la représentation est à la fois christianisée et antique sous la forme d’un T en O, une représentation de l’œcoumène tripartite inscrite dans un cercle, donc une terre encerclée par les eaux, le Nil formant la frontière entre l’Afrique et l’Asie, occultant un espace maritime entre ces deux espaces terrestres. L’océan Indien apparaît donc comme la limite ultime de la chrétienté. La carte de Saint-Omer du XIIe siècle en est une illustration et présentée par Emmanuelle Vagnon. C’est une copie du XIIIe siècle (1260) conservée à la BNF de Paris à partir d’une carte extraite d’un recueil encyclopédique, une compilation diverse de connaissances nouvelles recueillies par un chanoine de l’église collégiale de Saint-Omer, vers 1120. L’océan Indien n’est pas mentionné, par contre une sorte d’extension de la mer Rouge, entre l’Afrique et l’Asie, la mer antique Erythrée (coloriée en rouge) se substitue encore.
La Fabrique de l’océan Indien, p.76. Mappemonde, 1450, conservée à Venise. Mappemonde circulaire, orientée vers le sud. La grande île appelée Diab à l’extrémité de l’Afrique pourrait peut-être représenter Madagascar
Fra Mauro, un moine de Murano, frère des Camaldules en contact avec des voyageurs du monde entier venant à Venise, une carrefour des échanges commerciaux, réalisa une mappemonde pour la cité maritime vers 1450. Il s’inspira de toutes les connaissances du monde arabe pour identifier des îles nouvelles et les cartographier dans une grande mappemonde circulaire, orientée vers le sud. Pour comprendre la carte de Mauro, réalisée à partir des sources antiques, de Marco Polo, de Nicolo de Coti et de sources arabes, il faut la restituer dans le contexte de l’empire mongol aux dimensions inédites dans l’histoire qui a permis les circulations et les transferts de savoirs entre l’Asie et l’Occident. La carte “Kangnido” de 1402 copiée en 1470, extraite d’un manuscrit peint sur de la soie, originaire de Corée, est une des plus anciennes cartes asiatiques. La qualité du dessin permet de reconnaître la Chine, la Corée, le Japon, l’Asie occidentale, l’Europe et l’Afrique réunit autour d’un océan Indien ouvert. Elle fut réalisée à partir de sources chinoises. Elle précède les Grandes découvertes européennes et avant les voyages du grand amiral chinois Zheng He. La représentation chinoise est encore traditionnelle, massive et entourée de mer (l’empire du Milieu) mais l’ajout du monde occidental y compris des villes comme Paris, Marseille renforce son originalité. L’expansion mongole aura permis une synergie inédite entre l’Occident et l’Orient.

3 – L’océan découvert.
Emmanuelle Vagnon rappelle qu’avant la période des Grandes découvertes, les savants humanistes avaient fournis un important travail de synthèse. Elle prend l’exemple de trois mappemondes témoignant de l’intérêt des princes pour cette géographie savante dans les années 1450-1460, particulièrement en Italie. Il s’agit de la mappemonde dite «catalane», un style proche de l’Atlas catalan de Charles Y, aurait appartenu au duc d’Este, la mappemonde de Fra Mauro déjà citée et la carte dite «génoise» en forme d’amande qui aurait aussi fait partie des collections des cabinets de curiosité de ces princes humanistes.
L’expansion des découvertes et d’empires commerciaux avant les empires coloniaux ont ensuite parachévé la connaissance de l’océan Indien. L’exploration européenne moderne de l’océan Indien a débuté en 1498 avec les voyages de Vasco de Gama (1469?-1524), depuis Lisbonne contournant l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance pour atteindre Calicut, sur la côte ouest de l’Inde. Puis sur les traces de son célèbre prédécesseur, Pedro Alvares Cabral (1487-1520) traça la route maritime définitivement depuis le Portugal; les marins portugais suivants poursuivirent leurs explorations jusqu’en Chine méridionale (Canton, Goa, etc).
La Fabrique de l’océan Indien, p.166-167
Le planisphère dit de Cantino de Modène de 1502 illustre ces nouvelles connaissances géographiques. Il est conservé auprès du Roi du Portugal et amélioré. Difficile pour Cantino de l’avoir volée comme on l’a cru longtemps; la carte a été vraisemblablement copiée avec autorisation. L’intérêt du planisphère de Cantino, dessiné à Lisbonne, a été de montrer la première image moderne de la cartographie asiatique, par la suite perfectionnée par plusieurs générations de cartographes portugais, et le contournement distinct de l’Inde. Néanmoins encore des localisations restent incertaines comme l’emplacement du delta de l’Indus et la place des Îles, exemple Madagascar (nom donné par Marco Polo) devenu St Laurent du nom de sa découverte par les Portugais ), Ceylan ou Sumatra ((identifiés tour à tour avec l’antique Taprobane).
La Fabrique de l’océan Indien, p.81. Gênes, vers 1505. Proche d’une copie du padron real portugais, connue sous le nom de la carte de Cantino (1502).
La carte de Nicolo de Caverio, planisphère nautique vers 1505, fait apparaître l’Inde et ses archipels en tenant compte des explorations portugaises mais en conservant des noms issus de Ptolémée et certaines formes anciennes (le golfe Persique rectangulaire, la pointe de l’Asie du Sud-Est).

II – Nommer les rivages et les mers

1 – De la mer Erythrée à la mer Rouge. Comment est-on passé de mer Erythrée à la mer rouge (colorée jusqu’au XVIe siècle) à l’océan Indien ? Pourquoi désigner l’Océan d’après l’une de ses régions bordières, l’Inde, alors que l’Arabie, la Perse, l’Afrique ou la Chine sont autant riveraines de cet espace maritime. Pour Eric Vallet « l’Océan n’est pas né indien, il l’est devenu progressivement ». Avant d’être désigné par une région, l’Océan a été nommé d’après une couleur. L’appellation de « mer Erythrée » remontait depuis l’Antiquité, Hérodote fut un des premiers (mais pas l’inventeur) à l’employer pour désigner la mer méridionale, bordant les rivages de la Perse, de l’Arabie et de l’Inde, un nom courant qu’il reprit chez les Perses Achéménides.

C’est entre la fin du IIe siècle av..J.-C. et durant l’Antiquité tardive que le nom d’Océan Indien s’affirme pour remplacer la mer Erythrée, reculant un peu plus à l’est la frontière du monde connu. C’est avec le développement des échanges et des premiers réseaux commerciaux établis entre l’Arabie et les marges occidentales de l’Inde au début de l’ère chrétienne que cette mer méridionale (l’océan Indien) change d’identité. La première cartographie arabe au IXe siècle abandonne le nom de mer Erythrée pour désigner la mer rouge mais substitue en revanche des noms de l’ancienne appellation de géographie de Ptolémée, comme la mer verte pour désigner, la mer longeant la côte est-africaine au sud de la Corne, par une toponymie arabe. Mais dès le IXe siècle, les mers les plus proches de l’Arabie, reçoivent des noms nouveaux, comme la mer de Bassora pour désigner le golfe Persique.
Alors que les auteurs de cartes arabes ou persanes médiévales cherchaient à représenter un espace maritime de plus en plus parcouru, les cartographes de l’occident latin considéraient encore cet océan lointain comme une région de confins, une limite du monde connu. Jusqu’au XIIIe siècle, les Latins représentaient davantage sur le modèle des cartes antiques ces « mers méridionales » par un jeu de couleurs que par le choix de dénominations, le vert pour l’océan au delà des mers bordières méridionales connues, celles-ci étant coloriées de rouge. Au XIVe siècle, la zone recouverte de vermillon est refluée vers l’espace maritime enserré par le détroit de Bab al-Mandab, la « mer Rouge » actuelle. Avec les voyages des navigateurs portugais dans les mers du Sud, « l’océan Indien » supplanta définitivement le nom de « mer Erythrée/Rouge » et la mer Rouge devient alors une mer secondaire, colorée de rouge encore jusqu’au au milieu du XVIe siècle.

2 – La « mer perse ».
La fabrique de l’océan Indien, p.132, carte d’Ibn Hawqal, « Livre de la configuration de la terre », Iraq, fin du Xe siècle, copie de 1445La Fabrique de l’océan Indien, p.134L’océan Indien est aussi désigné mer de « Perse » par les cartographes arabes au XIIe siècle pour désigner le débouché des deux golfes, le golfe Persique et la mer Rouge se rejoignant vers cet espace maritime ouvert. Ils ne concevaient pas la mer d’al-Qulzum (mer Rouge) comme une mer fermée mais plutôt la continuité de la mer de « Perse » avec laquelle elle se confondait. Ainsi les cartographes arabes représentaient la mer Rouge sous la forme de « bec d’oiseau » s’élargissant vers la mer de Perse. La carte extraite du « Livre de la configuration de la terre » d’Ibn Hawqal, de la fin du Xe siècle, en est une bonne illustration. Cette carte, orientée sud-est, montre la réunion des deux mers, la mer Rouge actuelle , se jetant dans la mer de « Perse », l’océan Indien actuel. Mais ce n’est qu’au XVe siècle avec la redécouverte de la cartographie de Ptolémée que le terme se diffuse dans les traditions arabes, persane et occidentale.

3 – L’océan couvert de noms
La Fabrique de l’océan Indien, p.113
L’océan couvert de noms avec l’exemple de l’Atlas Miller. Il doit son nom du collectionneur Emmanuel Miller qui le possédait au XIXe siècle, composé de six cartes marines enluminées, daté de 1519, est centré sur l’Inde et sur l’espace maritime, l’océan Indien. Cet atlas montre un océan Indien devenu un espace privilégié, au cœur d’un empire maritime portugais, au cœur d’un véritable espace de pouvoir impérial. L’océan Indien devient un espace maritime « habité ». Bien que couverte de toponymes issus de Ptolémée, d’autres noms proviennent des Portugais (calicut), une des cartes de l’Atlas représente la zone d’influence de l’Empire portugais en 1519, depuis le Brésil jusqu’à l’Indonésie et mettant en évidence deux espaces maritimes convoités, l’océan Atlantique et l’Océan Indien élargie désormais jusqu’en Chine, aux îles nombreuses de Insulinde. Une deuxième carte complète les possessions portugaises, avec la présence de Madagascar et les régions bordières africaines au sud-ouest de l’océan indien.
Au fur et à mesure des explorations maritimes, au cours du XVe et XVIe siècles, les cartographes d’Occident et d’Orient intègrent les nouvelles connaissances géographiques, en particulier les cartes nautiques et les portulans, compilent et inscrivent autant d’informations recueillies, autant pour les toponymes côtiers que pour les noms à l’intérieur des terres. Ces cartes incluent, aux côtés des noms de lieux arabes, de simples mouillages, des points d’eau ou des criques, des noms changés en portugais. Les cartes occidentales, persanes ou arabes de la fin du XVIe siècle, sont devenues d’une extrême précision, surtout celles concernant les descriptions depuis la côte africaine jusqu’à l’Asie du Sud-Est, et qui a fait la fortune de la cartographie imprimée hollandaise à l’époque moderne.

III – Dessiner et illustrer l’Océan : l’océan des merveilles

1. Les héritages antiques La représentation des espaces dans les cartes anciennes ne se limite pas à fixer la forme des terres et des mers et à nommer les lieux mais aussi à donner des informations en autres sur les peuples, les richesses, la faune ou la flore. Se mêlent dans ces représentations cartographiques anciennes une part de conventions et de l’ornementation mais aussi une part d’imaginaire, de liberté en tant qu’artiste et de codes culturels propres à chacun des cartographes. Les eaux et les rivages de l’océan Indien n’échappent pas dans ces illustrations aux représentations mentales de l’époque. Cependant les conférenciers font remarquer que ces cartes parées de créatures merveilleuses le furent surtout au XVIe siècle. Sur les cartes médiévales, les créatures fabuleuses ou maléfiques sont de l’ordre de la croyance, du possible, par contre les créatures merveilleuses de la Renaissance s’inscrivent davantage dans une fonction purement décorative, avec des références à la culture antique, ajoutant « un peu de rêve, de mystère et d’humour à des cartes complexes et savantes ». Les îles de l’Océan indien par leurs multitudes, leur éloignement, leur méconnaissance ont suscité depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque médiévale (XII-XIIIe siècles) la curiosité, l’émerveillement entretenant un imaginaire collectif.

Les auteurs depuis l’Antiquité grecque jusqu’aux Arabes s’appuyaient toujours sur la géographie de Ptolémée. Aux îles du golfe Arabique Persique identifiées avec soin venait s’ajouter un ensemble d’îles situées au large de l’Inde parmi lesquels Taprobane (Sri Lanka) qui occupe une place prédominante. Ptolémée avait aussi identifié l’existence d’une péninsule très allongée dans la direction nord-sud qu’il avait appelée la Chersonèse d’or, séparant le golfe du Gange au Grand golfe bordant la Chine, l’Insulinde (Malaisie, l’île de Java, Malacca, les Moluques), explorée au cours du XVe siècle par les Portugais?
Le jeu sur les couleurs constitue l’une des modalités les plus utilisées dans l’ornementation des cartes depuis l’Antiquité. Cet usage a été introduit en Orient dans le sillage d’Al Idrissi et en Europe au XIVe siècle par l’Atlas catalan.
La Fabrique de l’océan Indien, p.201, Istanbul? auteur anonyme, vers 1575
Exemple cet atlas maritime turc Deniz Atlasi, il en constitue un bon exemple. Les grandes villes sont entourées de vert ou de bleu et les plus petites sont peintes de couleurs vives, ceci dans une intention plus décorative que topographique. Cette carte s’inscrit plutôt dans une codification cartographie maritime ottomane qui semble avoir été initiée par l’amiral Ottoman Piri Reis. Dès le milieu du IXe siècle, apparaissent entre autres dans les récits de marins et des voyageurs arabes des noms d’îles inédites et lointaines. L’origine de ces noms issus souvent de mots sanskrit ou chinois traduit bien l’insertion précoce de marins et de marchands issus du monde islamique dans les réseaux asiatiques déjà implantés dans cette région de l’Insulinde. En effet le détroit de Malacca était connu des marchands et des marins arabes dès le Xe siècle avec les nombreuses îles environnantes. Le nom de ces « îles merveilleuses » dans cette partie du monde a été souvent identifié à une matière précieuse, un autre héritage antique, comme l’or, l’argent, les pierres précieuses ou bien le nom d’ un animal ou d’un insecte, exemple l’île du scorpion ou encore pour souligner un trait anthropologique particulier l’île des femmes, l’île des troglodytes. Tout cela crée un imaginaire riche et fantasmé.

Les conférenciers relèvent cependant un décalage entre l’abondance des mentions des îles dans les textes arabes et leur faible présence dans les représentations cartographiques. La grande île de Taprobane/Sarandib (Sri Lanka), en arabe, fortement présente jusqu’au XIIe siècle dans la cartographie classique, une place centrale dans l’océan Indien, perd sa place prépondérante dans la cartographie arabo-musulmane. Au XVIe et surtout au XVIIe siècles, Sri Lanka est même rattachée au continent indien. A partir du XIe siècle dans la cartographie arabe, la représentation des îles se rapproche de la réalité géographique. Les îles étaient encore perçues au cours du Moyen-Âge comme des traits d’union d’un continent à un autre, des sortes d’étapes permettant la traversée de l’immensité de l’océan Indien, une image encore récurrente au XIXe siècle, des points d’appui pour la navigation marchande au temps des seconds empires coloniaux. C’est à partir de la carte d’al-idrissi au XIIe siècle que débute le souci d’une meilleure représentation des îles de l’Océan Indien à partir de Ptolémée et des récits des marins arabes.
Mappemonde de Alonso de Santa Cruz. Article en ligne consultée le 1/11/2017 [http://data.nbf.fr/12060518/alonso_de_santa_cruz/
Quelle était la place de la représentation des îles dans la cartographie portugaise de la Renaissance ? Dans quelle mesure la marine portugaise a-t-elle eu une connaissance de la cartographie du monde islamique car les élites savantes portugaises au XVIe siècle n’ont presque jamais mentionné les sciences islamiques? Trois hypothèses selon Eric Vallet, soit il y a eu une absence de relations entre les traditions cartographiques islamiques et portugaises ou bien une dépendance totale des Portugais vis-à-vis de la documentation islamique avant le 15e siècle. Un autre possibilité pour expliquer cette absence de mention du côté des cartographes portugais se serait lié à la rareté des sources du côté islamique après les années 1400. L’intérêt pour les îles culmine avec la floraison de « livre des îles » ou isolarii au XVe et XVIe siècles, celui d’ Alonso de Santa Cruz étant le plus abouti et un des plus beaux. La Fabrique de l’océan Indien=, p.111L’Atlas Miller réalisé en 1519 recense plus de 1378 îles dans l’océan Indien à l’ouest de Sumatra. Un chiffre proche de celui de Martin Waldseemuller en 1507 qui montre l’intérêt pour ces espaces insulaires. La recherche ou la représentation des îles est peut-être à mettre en liaison avec les idées humanistes assimilant l’île à la cité idéale de l’utopie. Les cartographes Portugais ont donc rarement mentionné les cartes islamiques. Seule la carte islamique dite Javanaise mentionnée en 1512, par les cartographes portugais, semble avoir inclus l’Atlantique, cette dernière référence impliquerait des connaissances par les cartographes arabes des cartes portugaises . C’est toutefois avec l’essor de la cartographie marine à l’époque moderne que se développe les nombreuses représentations des îles, une spécialité portugaise et hollandaise du XVIe au XVIIe siècles. Jusqu’au début de la Renaissance, la représentation de espaces insulaires a davantage marqué par la floraison des noms des îles, les innombrables appellations et descriptions, l’imaginaire occidental et oriental que les images. Mais la représentation des merveilles de l’océan Indien dans la cartographie médiévale et moderne, avec les griffons, les dragons, les monstres marins, des hommes à tête de chien ou dotés d’immenses oreilles, ont marqué aussi un imaginaire des mondes lointains dans le monde occidental et oriental.

Quelles sont ces créatures et ces peuples étranges de l’océan indien qui ont peuplé les cartes médiévales et modernes de l’océan Indien ? La presque totalité de ces motifs trouvent leur origine dans les textes de l’Antiquité. On attribue à ces données, à ce type de représentations, le terme générique de mirabilia ou paradoxa. Durant toute l’antiquité gréco-romaine, les mirabilia, des créatures étranges, ont fait partie d’une codification classique pour décrire leur perception du monde. Deux catégories de mirabilia, des représentations issues de récits rapportés, exemple une description rapportée par un médecin grec vivant à la cour des rois perses (au Ve et IVe siècles) sur un animal de l’Inde, de couleur rouge, avec une tête proche de celle d’un homme, armé de trois rangées de dents, d’une queue munie de dards semblables à ceux des scorpions. La fabrique de l’océan indien, p.258Autre exemple celui des Sciapodes, des hommes, dont le pied énorme servait de parasol les protégeant du soleil. L’autre catégorie de mirabiliaconcerne des représentations liées à l’expression de l’étonnement des hommes de l’Antiquité devant la variété du monde. Exemple les descriptions plus réalistes mais objet de surprise de peuples rencontrés au cours des expéditions des armées d’Alexandre le Grand en Inde par ceux qui les accompagnaient, par exemple les tribus du Baloutchistan au régime alimentaire à base de poisson (les Ichtyophages). La Fabrique de l’océan Indien, p.260Parmi ces nombreuses paradoxa plus que d’autres ont retenu l’attention et ont perduré dans l’imaginaire antique, les cétacés gigantesques de l’océan Indien décrits par Néarque l’officier d’Alexandre. Ainsi les Pygmées, les Sciapodes, les Cynocéphales (hommes à tête de chien) ont ainsi traversé toute la littérature antique pendant que d’autres merveilles ont disparu. La Table de Peutinger (une copie du XIIIe siècle d’une ancienne carte romaine) rapporte encore certaines descriptions de ces mirabiliace qui montre le poids de la transmission de ces merveilles et la continuité d’une tradition iconographique et textuelle expliquant la présence de ces figures étranges orant les cartes médiévales et surtout à la Renaissance.

Qu’en est-il de ces représentations merveilleuses de l’océan Indien au Moyen Age? Cet espace maritime est celui qui fascine le plus les gens du Moyen Age, en Occident comme en Orient. Les merveilles présentés dans cet espace proviennent encore des sources antiques mais d’autres sortes de merveilles apparaissent, elles relèvent désormais plus des merveilles de la nature, les animaux et les plantes fascinent essentiellement, exemple les oiseaux d’Indonésie décrit dans l’atlas de Fra Mauro.
Depuis l’Antiquité, l’Inde est perçue comme un monde d’abondance, de fertilité et de couleurs. Avec le développement des échanges commerciaux dans cette partie du monde avec les royaumes chrétiens, les épices, les perles, les pierres précieuses abondent dans les marchés d’abord dans les villes relais et dans tous les comptoirs autour du bassin méditerranéen entre l’Europe et le Moyen Orient (pays arabe, la Perse). L’Atlas de Miller, ouvrage de cour destiné à un public cultivé, regorge de détails exotiques et mythologiques comme des perroquets, des éléphants, des griffons et la présence d’un dragon. Le rôle joué par les voyages et les descriptions de ces expéditions par Marco Polo ont beaucoup joué pour cet engouement de connaissances venues de l’extrême orient mais le développement des réseaux marchands avec celui de la cartographie marine ont concouru à représenter et à dessiner toutes ces richesse venues du monde indien sur les cartes. Ainsi sur la mappemonde de Fra Mauro on compte pas moins de trente produits précieux ou épices (bois, aloès, ambre, indigo, rubis, camphre, gingembre, or, lapis-lazuli, turquoises, poivre, soie…) avec le tracé des routes empruntées par les épices dans la pure tradition de l’Atlas catalan. Ce type d’information se retrouve aussi sur le globe attribué à Martin Bahaim (1482) fabriqué à Nuremberg. Le grand nombre d’îles de l’océan Indien est également un élément important qui nourrit l’imaginaire médiéval chrétien.

Qu’en est-il des merveilles de l’océan Indien dans la géographie arabe? C’est à partir du IXe siècle que les détails relevés aux abords des rivages de la mer dite alors « Persique » , les merveilles, les ajâ’ibsont mentionnées c’est à partir du Xe siècle que les connaissances rapportées par des récits de navigateurs arabes commencent à être retranscrites.
La Fabrique de l’océan Indien,p.268Dans une version des Merveilles de l’Inde, un recueil de récits de marins évoque une part importante de merveilles dévolue à l’Inde. Les merveilles évoquées par les marins et marchands arabes de l’océan Indien concernent les baleines (en fait des cachalots produisant de l’ambre gris), des serpents, le tinnîn, des poissons volants, des poisson-scies, des tortues, des écrevisses géantes qui seraient capables dit-on d’attraper un bateau avec leurs pinces ( rappel dans un épisode de Sindbad le Marin) ou comble de l’étrangeté la description d’une femme poisson perçue dans une des îles lointaines.
[‘La Fabrique de l’océan Indienp.270 [/footnote]Un « Livre des séances », c’est à dire des « récits », provenant d’Irak au XIe siècle et recopié vers 1237, raconte au travers d’une belle miniature, un naufrage sur une île de l’océan Indien ou poussent des arbres dits merveilleux, gardés par des singes et des perroquets. On reconnaît au premier plan une femme oiseau telle qu’elle est décrite dans la mythologie grecque. D’autres récits des merveilles eurent une grande popularité dans la société islamique comme ceux relatifs aux mers du Sud, produits à la fin du XIIIe siècle, en Iraq, comme le traité d’al-Qazwîni et surtout le Kharîdat al’-ajâ ib (« Perle des merveilles » d’Ibn al-Wardî, 1457, qui connut un grand succès entre le XVIe et le XVIIe siècle, illustrantt des animaux étranges, des plantes luxuriantes. Les illustrations dans ces recueils arabes s’inspiraient à la fois de la tradition antique gréco-romaine pour la figuration naturaliste et pour les scènes extraites des grandes épopées persiques. Progressivement au cours du Moyen Age, à partir du XIIIe siècle, les cartes arabes sont progressivement dépouillées de toute onomastique (absence de nom), devenues purement décoratives; les dessins répondent à un simple souci d’ornementation. L’empire ottoman reprend la tradition des cartes catalanes au XVIe siècle avec une influence des cartes médiévales islamiques en introduisant des motifs figuratifs mais les « merveilles de la nature » ont changé de configuration; ce sont des dessins de navires, d’hommes ou d’animaux étrangers désormais représentés pour exprimer la puissance de la Sublime Porte sur les puissance européennes. Les deux cartes du monde élaborées par Piri Reis (il servit comme amiral de la flotte ottomane en mer Rouge) en 1513 et en 1528 en illustrent l’exemple mais la partie orientale concernant l’océan Indien a disparu, cependant les cartes conservées illustrent ce retour au figuratif cette fois-ci destiné à servir le pouvoir ottoman.

2. L’invention d’un paysage côtier La représentation des villes et des ports dans la cartographie médiévale offre des traits stéréotypés, le plus souvent signalés par un point, un cercle, par des rosaces ou des cercles colorés, avec la présence ou pas de fortifications standardisées. C’est avec l’ouvrage au XIIIe siècle, d’un auteur persan écrivant en langue arabe, Ibn al-Mujaâwir , qu’apparaissent des premières représentations suggestives de treize sites côtiers situés en Arabie depuis la mer Rouge au golfe persique, en autres le site d’Aden représentée avec une vue panoramique et détaillée. La Fabrique de l’océan Indien, p.233Ce sont les routiers nautiques portugais (les roteiros) qui ont inauguré ce genre de représentation. Pionniers européens de la navigation hauturière et des voyages transocéaniques au XVe siècle, les Portugais y ont associé des cartes, des tables astronomiques, des croquis géographiques sur la navigation atlantique, de l’océan Indien ou de la mer Rouge. Les pilotes ne furent pas les seuls à composer des routiers, des navigateurs portugais de la Renaissance comme Don juan de Castro (1500-1548), navigateur, savant et noble portugais, constituait une des figures les plus emblématiques. Il corrigea les données de Ptolémée puis il rédigea trois routiers vers Goa, et la mer rouge au milieu du XVIe siècle. A l’exception des routiers de Don Joào de Castro, les routiers portugais du XVIe siècle, ont circulé dans un cercle restreint de marins, de pilotes, de contre-maîtres, seule une minorité des élites comme la famille royale avait accès à ces cartes. Par contre les vues portugaises des ports de l’océan Indien étaient destinées à un plus large public, de marchands négociants, à la bourgeoisie d’affaires et commerçante. La pratique de dessiner les ports s’est développée dès les premières années du XVIe siècle, dans les milieux portugais d’Orient. Elle a été inspirée probablement sous l’influence des isolarii ou « livres d’îles ». italiens de l’époque qui intégraient des vues de ports. Une des plus célèbres descriptions des ports de l’Inde sur la côte occidentale est le manuscrit des [Lendas dà India de Gaspar Correia (1496-1563) qui a vécu longtemps à Goa. C’est une chronique sur les activités des Portugais en Orient dans laquelle il dessine des vues nombreuses de ports asiatiques, la plupart des comptoirs portugais, et des vues très précises d’Aden et de Jedda, des villes portuaires arabes. Les vues de ports indiens donnent une image assez complète des principaux ports fréquentés ou contrôlés par les Portugais en Orient. En Europe depuis le milieu du XVIe siècle il y avait des livres imprimés qui circulaient présentant des vues de ports mais il faut attendre la publication en 1572 à Cologne des volumes sur des Civitates Orbis Terrarum coordonnés par Georg Braun, pour trouver des images de ports orientaux.

Conclusion
Cette magistrale conférence se termine sur un océan Indien devenu à la fin du XVIe siècle et au XVIIe siècle un objet cartographique global. Il a fallu près de deux millénaires pour que l’océan Indien soit appréhendé et connecté au reste du monde. Au Moyen Âge l’océan Indien était perçu comme une succession de golfes et une mer fermée dans sa partie orientale jusqu’à ce que les premiers réseaux marchands, arabes, perses puis européens se constituent avec l’Inde découverte. L’océan Indien devint alors un vaste horizon marchand. De mer Erythrée, elle devient mer de Perse par les cartographes arabes au Moyen Âge, alors que pour les Chinois c’est la « mer occidentale ». Des noms en syriaque, en persan, en arabe, en latin pour ensuite désigner les noms de lieux découverts (îles et côtes orientales) viennent ensuite combler les premières cartes marines. Ce fut Matteo Ricci qui dessina en 1602 une carte montrant pour la première fois un océan Indien ouvert vers le Pacifique. Les côtes, les îles sont ensuite dessinées avec plus de précision à partir des expéditions portugaises et ensuite retranscrites sur des cartes ou des mappemondes portugaises, hollandaises ou allemandes du XVIe siècle. Au cours du XVIIe siècle, l’océan Indien devient un tout, un espace géographique plus cohérent, ouvert sur le monde atlantique et pacifique à la suite les voyages de Magellan, des îles progressivement découvertes, Madagascar, la Réunion, les Seychelles de la fin du XVIe au début XVIIe siècles. La partie méridionale de l’océan Indien reste encore une énigme, avec le mythe d’un continent austral le délimitant au sud, résolue au XVIIIe siècle. Les cartographes Mercator puis Ortelius représentèrent pour la première fois sur des mappemondes l’océan Indien faisant partie d’un tout, d’un l’espace global terrestre. La « fabrique » de l’océan Indien a été une histoire à la fois longue, riche et complexe. Les conférenciers, Emmanuelle Vagnon et Eric Vallet furent très longuement et chaleureusement applaudis par l’auditoire impressionné par la somme de connaissances et par la démonstration vivante servie par de nombreuses cartes projetées et commentées avec brio. Nous vous invitons vivement à venir feuilleter l’ouvrage présenté lors de cette conférence.

(Ce compte-rendu de conférence a été complété par des notes collectées à partir de l’ouvrage dirigé par les auteurs de la conférence, La fabrique de l’océan Indien, cartes d’Orient et d’Occident (Antiquité -XVIe siècle) sous la direction d’Emmanuelle Vagnon et Eric Vallet, publication de la Sorbonne, 2017, p.372