Intervenants : Jean-Baptiste Noé De plus amples informations sont disponibles sur son site internet :http://www.jbnoe.fr/index.php

La dynamique des christianismes en Afrique, sujet méconnu mais sur lequel, en spécialiste Monsieur Noé a publié récemment aux PUF l’ouvrage Géopolitique du Vatican, l’historien Jean-Baptiste Noé nous a passionné durant une heure en comblant par là-même notre large inculture.

En introduction Monsieur Noé nous rappelle combien l’on a pensé, et l’on continue de le faire, l’Afrique au regard du reste du monde, comme pour la définir en creux, et sans véritablement réfléchir à ce qui en fait sa spécificité. Analyser les christianismes en Afrique c’est aussi et avant tout analyser ce qui fait la spécificité de celle-ci. Le parti pris du conférencier est d’aborder en premier lieu la « grande période » des christianismes africains : l’Antiquité, et par la suite les questions de l’altérité et de l’identité.

I, L’Antiquité

Rappelons que l’air géographique africaine connue à la période antique est le Maghreb. Or s’y trouvent les deux principaux pôles contemporains d’expansion et de construction du christianisme :

1. Le pôle alexandrin, avec de grands théologiens comme Saint Athanase et Origène.
2. Le pôle algérien autour d’Hippone et de Carthage et ses grandes figures que sont Saint Augustin et Tertullien.

La vitalité intellectuelle de la région est d’ailleurs illustrée par la présence et le développement d’hérésies, notamment l’arianisme (Egypte) et le donatisme (Carthage). Le poids de l’Afrique dans l’Eglise naissante est telle qu’au concile régional de Carthage de l’an 200 l’on compte plus de 70 évêques africains, pour seulement 3 évêques italiens; et que cette région fournira dans les premiers siècles trois papes : Victor Ier, Miltiade et Gélase Ier.

Bien que souvent ignoré, l’Afrique compte un troisième grand pôle chrétien qu’est l’Ethiopie. Très peu connue, l’Ethiopie est l’un des premiers espaces convertis au christianisme et ayant résisté, de par sa géographie, aux avancées islamiques. L’Eglise éthiopienne est ainsi restée jusqu’à nos jours tout à fait originale, en se rattachant à la fois au rite orthodoxe, tout en préservant sa théologie propre et sa langue liturgique et depuis 60 ans une indépendance totale en rompant avec l’Eglise copte (1951).

II, Altérité

Les christianismes africains se sont peu à peu construits dans un rapport d’altérité avec le reste des communautés religieuses du continent. Cette altérité passe tout d’abord par la rencontre et le dialogue avec l’islam. La première rencontre a lieu à Alexandrie lors de la conquête arabe en 641, et se poursuit les années suivantes le long du Maghreb, gagnant Carthage et balayant très rapidement les traces du christianisme dans cette région. Cette expansion s’arrêtera à la bande sahélienne; lieu d’intenses frictions de nos jours.

Le christianisme progressera de nouveau sur le continent au profit de la colonisation et du lancement des premières missions d’évangélisation. Soucieuse de ne pas trop partie liée avec la politique coloniale, l’Eglise catholique voulu former un clergé autochtone sous le pontificat de Léon XIII 1878-1903

L’altérité prend de nos jours la forme de l’évangélisme, en forte poussée dans les pays d’Afrique de l’Ouest essentiellement, anciens membres de l’Empire Britannique. Ce développement fut soutenu par les gouvernements américains et ce pour deux raisons :

1. Développer le protestantisme contre le catholicisme dans cette région du monde
2. Eviter la collusion catholicisme/marxisme comme en Amérique du Sud (théologie de la Libération)

La question de l’altérité se pose enfin à travers la structure catholique et l’action de Caritas, venant en aide aux populations dans plusieurs domaines : santé (lutte contre les épidémies locales), éducation, développement du crédit bancaire etc. Le mouvement est centralisé à Rome, et est géré localement via des structures nationales (le Secours Catholique Français par exemple). Ce sont ainsi 31 pays africains qui sont couverts par la Caritas, pour 450 000 personnes bénévoles et 73 millions d’Africains bénéficiaires (source : Caritas). Ce mouvement est important pour contribuer au développement de l’Afrique à l’échelle locale et lutter contre toutes logiques de développement top-down. En acteur complémentaire, citons les efforts de la communauté San Egidio, célèbre en Italie, et œuvrant sur les questions sociales et politiques (son intervention dans la résolution de la crise ivoirienne fut notable).

III, Le rapport à l’identité

En troisième point, Jean-Baptiste Noé se penche sur les questions identitaires contemporaines, capitales pour comprendre la place que tient le christianisme africain dans le monde et celle qu’il entend tenir par le futur. Comme point de départ à sa réflexion, Jean-Baptiste Noé évoque le Synode de la famille en 2015 où pour la 1ère fois, des évêques africains ont voulu jouer une influence dans les décisions finales. Si la prospérité intellectuelle du christianisme en Afrique passait durant l’Antiquité par la présence et le développement d’hérésies, celle-ci passe désormais par la défense stricte du dogme par des figures charismatiques comme le cardinal Sarah qui occupe de hautes fonctions ecclésiastiques (Préfet de la Congrégation pour le culte divin) ou le cardinal Napier (archevêque de Durban). L’évènement avait été préparé soigneusement lors de la tenue du SCEAM Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar et l’annonce de la publication d’un ouvrage L’Afrique, nouvelle patrie du Christ http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Synode-sur-la-famille-les-eveques-africains-veulent-peser-sur-les-debats-2015-09-28-1362012. La volonté claire est de peser dans les médias et dans les débats théologiques.

Le deuxième grand défi posé à l’identité se trouve dans le rapport des christianismes à la mondialisation, et notamment de la permanence de ce christianisme dans le contexte des idées nouvelles et modernes. La mondialisation, loin de niveler et d’uniformiser les cultures, les renforcent et les réaffirment. Dans ce contexte le christianisme ne risque-t-il d’apparaitre comme un apport étranger, externe, et de ce fait d’être rejeté ? Jean-Baptiste Noé avance comme hypothèse que les succès contemporains de l’évangélisme sont un biais d’affirmation face au christianisme romain européen. Face à cela, l’Eglise se retrouve sur un chemin de crête très étroit, pouvant facilement basculer dans la contradiction, en appelant à l’affirmation culturelle des populations, tout en luttant contre une certaine ethnisation des pratiques culturelles et politiques (discours du pape François lors de son voyage récent au Kenya 25-27 novembre 2015).

L’identité locale devient ainsi un moyen d’affirmer l’originalité africaine dans le christianisme, pour quitter un rôle de subalterne longtemps tenu, et s’affirmer complètement.

Nous avons pu assister à une conférence sur un sujet finalement peu connu, mais qui s’est révélée captivante et riche d’enseignements par l’action d’un conférencier que l’on a plaisir à écouter et dont nous espérons retrouver les travaux à l’avenir.