Grand entretien avec Éric Alary, président de l’APHG Centre-Val de Loire, professeur de chaire supérieure en CPGE littéraire à Tours, à propos de la parution du livre de Christine Ockrent, La guerre des récits aux éditions de l’Observatoire.

Eric Alary :

Que s’est-il passé avec cette pandémie qui a « écrasé » le temps ? Comment les plus importants gouvernements de la planète ont-ils dû gérer cette crise ?

Christine Okrent : 

J’aborderai d’abord les cas de la Chine et les États-Unis, engagés dans la compétition pour la prééminence mondiale et pesant sur la marche du monde face à la pandémie. Ensuite, les puissances régionales, puis l’Union européenne dont la marge de manœuvre est de fait plus réduite.  

La puissance américaine, sonnée par la pandémie

Les Etats-Unis, 1ère puissance militaire, économique, technologique et scientifique, se sont fracassés contre la pandémie. Car le pays le plus avancé sur le plan scientifique avec le plus grand nombre de prix Nobel a, en comparaison un système de soins, indigne. Le système fédéral, si efficace pour aider et financer les technologies et le numérique, s’est montré incapable face à une pandémie que le gouvernement a niée, puis ensuite qualifiée de « virus chinois ». 

Trump est-il perdant à cause du Covid ? Actuellement à 16 pts de Biden, il est clair qu’il traine sa mauvaise gestion comme un boulet. Mais le système fédéral peut l’avantager, avec l’aide de manipulations plus ou moins légales restreignant le vote des minorités. 

Car Trump a compris les pulsions du pays profond, et c’est son grand avantage. D’autant que cette pulsion isolationniste est ancienne et qu’elle rencontre la lassitude de l’opinion publique face aux conflits extérieurs. Trump ne comprend les rapports bilatéraux que comme personnels, ce qui plaît à un électorat qui confond géopolitique et émission de télé-réalité. D’où l’échec de la relation Trump / Macron. 

Quant aux élites du pays, elles savent que le conflit avec la Chine va continuer. Le futur président du pays sera confronté à la vision insupportable de son déclin face à la puissance montante chinoise. 

Le rêve de Xi, la prééminence chinoise

La Chine communiste a pour elle l’absence d’opinion publique. Les réseaux sociaux chinois lui permettent de connaître le pouls de la société civile et surtout de la contrôler avec une organisation administrative toute puissante.

Pourtant l’appareil communiste ultra-hiérarchisé et soumis à un impitoyable contrôle vertical, a commencé par nier la réalité. Et ce, à Wuhan, mégapole centrale de 8 millions d’habitants, dans une province en comptant 56 millions. Pendant plusieurs semaines, ce sont les lanceurs d’alerte locaux qui sont sanctionnés. La mort du jeune médecin qui avait tenté en vain d’alerter les autorités centrales sert d’électrochoc. Le pouvoir reprend enfin la main en décrétant « la guerre du peuple contre le démon ». Tout s’arrête alors en Chine, la dictature se montrant cette fois d’une redoutable efficacité. Pendant ce temps, l’OMS et son président élu avec les voix de la Chine, n’auront pas accès avant mai à Wuhan…

Puis la stratégie de séduction reprend en vantant la réussite chinoise qui a pu canaliser la pandémie et la limiter à… 3500 décès en Chine continentale. Chiffre qui rend perplexe au vu de l’énorme poids démographique du pays. De même la stratégie qui met en avant la capacité à produire des masques, du gel (et demain un vaccin) en temps record, a surtout permis aux Occidentaux d’ouvrir les yeux sur leur dépendance au marché chinois. Et de tenter d’y remédier.

Si le duopole Chine-Etats-Unis ne résume pas à lui seul la situation du monde face à la pandémie, elle en définit les grands traits : désorganisation, repli sur sa sphère d’influence, déni. Le multilatéralisme apparaît en mort clinique.

Le déni des régimes autoritaires

Russie et Turquie ont tout fait pour minimiser aux yeux de leur opinion publique et du monde les chiffres de décès. Poutine plus préoccupé de restaurer la puissance russe que de réactiver le pacte social qui l’avait rendu si populaire, est sur la défensive sur le plan intérieur. Erdogan en difficulté sur le plan électoral, cherche à attiser le sentiment d’appartenance nationale à l’empire Ottoman chez son peuple comme chez ses voisins orientaux. 

Les démocraties entre déni et impuissance

Inde et Brésil sont touchés de plein fouet, au vu de leurs conditions sanitaires et de leurs très fortes inégalités sociales. Le déni du gouvernement brésilien n’a fait que retarder la prise en charge d’une pandémie qui est la plus meurtrière du monde en chiffres absolus.

L’Union européenne, déclin ou renaissance ?

La conférencière renvoie à l’article que Clément Beaune, nouveau secrétaire aux affaires européennes du gouvernement français. Celui-ci  a publié le 7 septembre :  « l’Europe, par-delà le Codid-19 » dans la revue de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

L’UE est à la croisée des chemins. Avec les Eurobonds et le feu vert allemand, elle prend conscience de sa nécessaire cohésion face à une crise économique sans précédent en temps de paix. De plus, l’évolution très rapide des rapports de force géopolitiques mondiaux pourraient faire d’une Europe désunie et de ses États livrés à eux-mêmes, une proie facile. D’ailleurs, le sommet UE-Chine s’est terminé par un « communiqué franc », expression qui dans le langage policé de la diplomatie vaut bien son pesant de divergences.

Vous pouvez consulter les autres comptes-rendus de conférences de Blois 2020.