M. Rodrigues de Oliveira est professeur en CPGE au Lycée Malherbe de Caen et féru d’histoire ancienne. Il écrit actuellement une thèse sur Sparte et la Ligue du Péloponnèse. En bon pédagogue, M. Rodrigues de Oliveira a su présenter une conférence nourrie et remarquablement illustrée.

G. Bachelard disait que lorsque l’on ne sait pas ce que l’on cherche, on ne sait pas ce que l’on trouve. Moins nous creusons les notions, moins nous comprenons ce que nous étudions. On ne peut évoquer l’empire athénien sans définir la notion d’empire telle qu’elle était perçue par les Grecs du Ve siècle avant JC ? Ce n’est qu’ensuite qu’on pourra déterminer, si empire athénien il y a eu, quelles en furent les forces et les faiblesses.

Comment les Athéniens, couverts de gloire à l’issue des guerres médiques (490-479), alors qu’ils prennent la tête d’une nouvelle alliance hellénique de protection de l’Egée face au possible retour des Perses, glissent de l’hégémonie à l’impérialisme, au point de liguer contre eux l’essentiel de leurs alliés, autour de Sparte et de la ligue du Péloponnèse, jusqu’à la chute finale d’Athènes en 404/403 ?

I. La notion d’empire appliquée à l’empire athénien

Nous utilisons aujourd’hui deux mots courants : l’impérialisme et l’empire. L’impérialisme renvoie à un processus volontaire d’établissement d’un empire. L’empire est le résultat du processus. Selon Frederick Cooper et Jane Burbank, dans Empires inWorld History : Power and the Politics of Difference, l’empire est un Etat de large étendue, rassemblant des peuples divers gouvernés de manière différenciée et hiérarchisée, mais ce jusqu’à un certain point, la cohérence de l’empire devant être préservée. La diversité ethnique apparaît centrale.
Aucun empire de l’Antiquité ne s’est défini comme empire. Il y a le terme archè, qui se définit comme la volonté qui fonde l’empire. Péjoratif, le mot est associé à l’hybris. Les Grecs utilisaient un autre terme : hégèmonia. Des peuples se placent sous la protection de celui qui a l’hégèmon, c’est-à-dire du peuple le plus renommé, tout en gardant capacité d’initiative et de décision.
La différence entre l’un et l’autre terme peut être mince, notamment dans les Ligues (Péloponnèse, Délos, etc.). Il existe deux formes de ligues: l’epimmachia (alliance défensive) et la symmachia (alliance offensive et défensive). La ligue de Délos est une symmachia contre la Perse. Aucun Grec ne parle de ligue de Délos ; on évoque « Les Athéniens et leurs alliés ». Les Athéniens ont-ils voulu passer de l’hégèmonia à l’archè ?


Hoplite grec combattant un fantassin perse.
Détail d’un kylix à figures rouges, Ve siècle avant JC, Musée national et archéologique d’Athènes

II. Vulgate sur Athènes du Ve siècle

Les victoires des guerres médiques ont permis à Athènes d’asseoir sa réputation et de rivaliser avec Sparte, repliée sur le Péloponnèse. En effet, les Athéniens ont soit soutenu seuls l’effort contre les Perses (Marathon), soit fourni l’essentiel du contingent (Salamine). La nouvelle alliance se met en place entre 478-477; c’est une symmachia. Il s’agit de lutter contre les Perses, qui viennent régulièrement depuis 11 ans, et de faire du butin facilement. Un conseil commun (koinon synodoi) des alliés se réunit à Délos. Chaque cité a une voix: Athènes ne bride pas la parole de ses alliés. Chaque cité est autonome et libre. Des contributions sont prévues pour constituer une flotte. Pour rappel, une trière exige 170 rameurs, 12 marins et 16 combattants. Il faut 5 talents (6000 drachmes) pour la construire, et deux talents par an pour l’entretenir. On n’a aucun manuel de construction. La contribution librement consentie, en argent ou en nature, varie selon la capacité de chacun. Le phoros (contribution totale attendue) est établi par Athènes (Aristide): 460 talents par an au départ, puis 1000 talents. Athènes est bienveillante.
Le danger perse ne revenant pas, les cités grecques sont de moins en moins attachées à la ligue et préfèrent remplacer la contribution en hommes, en contribution en argent. Ainsi, quand les alliés passent aux dons financiers, les Athéniens continuent de construire et de vouloir s’étendre. Selon Gabriel Martinez-Gros dans la Brève Histoire des empires. Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent (La Couleur des idées, 2014), c’est parce que les Athéniens avaient acquis une sorte de monopole du combat qu’ils ont dépossédé les autres cités de leurs prérogatives. Naxos (468) puis Thasos(463) paient très cher leur désir d’émancipation.
En 454, le trésor de Délos est déplacé à Athènes. Le montant du phoros est réévalué tous les quatre ans par la Boulè et sa perception annuelle très soigneusement effectuée (sauf en 448). Puis, le phoros est remplacé par un tribut : on n’est plus dans une association librement consentie. Le décret de Cléarque (449) impose les poids et mesures d’Athènes dans toute la Ligue. En 447, le décret de Clinias réorganise le tribut sous la responsabilité des hellénotames, de nouveaux magistrats athéniens. Ce raidissement exaspère les cités grecques. Eubée (446) et Samos (440) se révoltent. Athènes réprime et exige par exemple que Samos détruise ses fortifications, qu’elle perde sa flotte et que les prisonniers soient tués devant leurs familles. Cependant, la guerre du Péloponnèse (431-404) renverse tout ; c’en est fini de l’impérialisme athénien.

III. Etat de la recherche sur la ligne de Délos

Pour le phoros, l’historiographie a longtemps suivi Plutarque pour qui, dans la Vie de Périclès (chap XII), l’argent a servi à construire les bâtiments de l’Acropole d’Athènes. Les Athéniens ont-ils pratiqué le détournement de fonds ? Plutarque a écrit 600ans après les faits. Selon A. Giovannini (revue Historia), il y avait l’aparchè, une part prélevée sur le phoros (1/12e) par les Athéniens, qui était parfaitement légale. De même, quand Athéna est devenue déesse fédérale, il y avait deux coffres dans son temple: un avec 10.000 talents pour le trésor personnel d’Athènes et un autre pour la Ligue de Délos. On estime le coût de construction des bâtiments de l’Acropole entre 454 et 404 à 2000 talents. Comme les alliés ont versé entre 100 et 200 talents, c’est trop peu pour accréditer le détournement de fonds.
Pour les Grandes Panathénées, créées en 566 par Pisistrate et fêtées tous les 4 ans, il est important de ne pas les confondre avec les petites Panathénées. Les Grandes Panathénées organisent des concours d’une ampleur très supérieure: course de trières, pancrace, course de chars, course d’hoplites, etc.
Pour les origines de l’impérialisme athénien, on peut remonter à avant 480. Hérodote évoque Thémistocle qui rançonne les îles.
L’empire athénien a-t-il voulu dépasser son cadre des 200 cités? L’opération de Sicile en 415 montre que les Athéniens voulaient basculer sur l’Occident, avec un intérêt pour le sud de l’Italie, les côtes albanaises, etc. Alcibiade, selon Thucydide, espérait réduire la puissance du Péloponnèse et étendre l’archè (Thucydide, Livre VI, chapitre 86). L’empire athénien a en fait atteint sa taille critique.
La démocratie a-t-elle un rôle dans l’empire d’Athènes? La démocratie a donné du travail à beaucoup de monde (misthos) et l’empire a offert des perspectives à bien des Athéniens. Les Athéniens ont voté les opérations militaires dans le sens de leurs intérêts. Mais cela leur a joué des tours car engager des combats dans des zones inconnues ne s’improvisent pas. Des décisions inconsidérées ont été prises. La guerre a duré dans des proportions invraisemblables et a donné à l’armée une certaine aura. Ainsi l’armée a pu se constituer en ecclésia pour combattre la révolution oligarchique qui venait de se dérouler à Athènes
Enfin, l’historiographie se penche sur la manière dont été perçue Athènes par ses alliés. Gregory Bonnin, dans De Naxos à Amorgos. L’impérialisme athénien vu des Cyclades à l’époque classique (Scripta antiqua, Bordeaux, 2015), montre qu’en mettant fin à la piraterie, Athènes s’est attirée une certaine bienveillance des cités de la région.

Questions

  • Y a-t-il eu diffusion du culte d’Athéna par la Ligue de Délos? Non, pas de culte panhellénique autour d’Athéna.
  • comment se passaient les votes de la Ligue? On procédait par tractations jusqu’en 454 mais ensuite, la Ligue ne fait qu’enregistrer les décisions prises par Athènes.