Conférence du Vendredi 11 octobre 2013 à Blois

Vendredi 11 octobre, dans l’Amphi 1 de l’antenne universitaire François-Rabelais à Blois, dans le cadre du salon du livre d’histoire, les éditions Belin proposaient une table ronde avec le public autour de Joël Cornette (professeur à l’université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis), accompagné de Nicolas Beaupré (maître de conférences à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand), Michel Biard (professeur à l’université de Rouen) et Nicolas Leroux (professeur à l’université de Rouen) sur le thème suivant : La place de la guerre dans la construction de la « Nation France »

Au travers des 13 volumes de la collection « Histoire de France (de 485 à 2005), sous la direction de Joël Cornette avec Jean-Louis Biget et Henry Rousso, les 3 auteurs présents des volumes concernés s’interrogent sur la place de la guerre dans la construction de la « Nation France ». La table ronde a donné lieu à un panorama historique transversal fort riche et dense.

Après une rapide présentation de leur ouvrage respectif, « Les guerres de religion (1559-1629) » (volume 6) pour Nicolas Le Roux, « Révolution, Consulat, Empire (1789-1815) » (volume 9) pour Michel Biard, « Les grandes guerres (1914-1945)» (volume 12) pour Nicolas Beaupré, Joël Cornette structure le débat autour de deux questions qui, au cours de la table ronde, feront surgir 2 autres interrogations toutes aussi importantes :

  • Dans quelle mesure la guerre « fabrique » l’Etat et la souveraineté pour chacune des 3 périodes historiques traitées ?
  • Comment la guerre « fabrique » du patriotisme chez les Français ?
  • Dans quelle mesure la société civile (française) refuse de payer la guerre pour chacune des 3 périodes historiques abordées ?

Enfin, au cours du débat, Joël Cornette posera l’épineuse problématique des sources de l’historien sur le thème de la guerre pour chacune des 3 périodes historiques abordées.

De manière pédagogique et afin de respecter la chronologie, Nicolas Le Roux est le premier à répondre aux questions de Joël Cornette puis, tour à tour, Michel Biard et Nicolas Beaupré prendront la parole.

Pour Michel Le Roux, auteur de la période 1559-1629, les Renaissances (volume 5) sont bornées par la Guerre de 100 ans et les Guerres de religion. Cependant, pendant les Renaissances, les rois de France exportent la guerre vers l’extérieur (en l’occurrence, vers l’Italie avec les campagnes militaires de Charles VIII, Louis XII et François Ier). Incontestablement, la guerre fabrique l’Etat royal dans la mesure où elle exige le financement de l’armée royale et, par conséquent, une fiscalité de plus en plus efficace. Paradoxalement, c’est au cours d’un tournoi fêtant la paix royale retrouvée que le roi de France Henri II meurt projetant le royaume de France dans les guerres de religion qui va brutaliser l’ensemble de la société française pour plus d’un demi-siècle.
Concernant la question du patriotisme, pendant les campagnes d’Italie, l’armée du roi de France est composée essentiellement de mercenaires et de 25% de soldats français, seulement. Néanmoins, au moment de charger, une majorité de soldats crient « France » !
Le refus de payer la guerre par la société se manifeste par les révoltes populaires antifiscales contre les impôts directs (la taille) et indirects (la gabelle : l’impôt sur le sel. Cette denrée permet de conserver la viande). Ces soulèvements ont lieu en particulier sous Henri IV (vers 1590) et le cardinal de Richelieu (vers 1630).
Enfin, pour les sources, il suffit de se replonger dans Agrippa d’Aubigné (général protestant écœuré par les violences commises au nom des guerres des religions), Montaigne et Ronsard sans oublier les pamphlets (qui pulluleront à l’époque), la littérature politique de combat (le prince de Condé) et les images gravées sur bois.

Pour Michel Biard, la construction de la nation France est indubitablement marquée par la levée en masse de 300.000 hommes exigée par la Convention révolutionnaire durant l’été 1793. Quant au développement du patriotisme chez les Français, il se forge par la création de l’armée révolutionnaire de la Ière République par la Convention. Cette dernière fusionne à la fois les volontaires, les « requis » (non volontaires) et les « lignards » (issus de l’armée royale de Louis XVI). Cette guerre révolutionnaire, d’abord défensive, va se transformer à la fois en une guerre intérieure (civile avec les guerres de Vendée et la Chouannerie) mais aussi en une guerre extérieure et d’occupation (avec les violences commises par les armées révolutionnaires en Europe). La guerre renforce d’abord la centralité législative sous la Convention de l’An II de 1793 (par le Comité de Salut public) puis enfin l’exécutif sous le Consulat et l’Empire. La guerre révolutionnaire ruine des secteurs économiques mais en développe d’autres liés à l’industrie de la guerre. Grâce à la centralité administrative jacobine, les sources sont pléthoriques. Néanmoins, des champs historiques restent encore à défricher comme les « Gueules cassées » et les « fous de guerre » de l’Armée napoléonienne.

Quant à Nicolas Beaupré, il insiste sur la massivité de la « Grande guerre » (appelée ainsi par l’ensemble des belligérants, à l’exception notable des Allemands qui utilise l’expression « Die Grosse Zeit »). En effet, le gouvernement français est capable d’envoyer sur le front, dès les premières semaines de la guerre, plusieurs centaines de milliers de combattants : phénomène singulier dans l’histoire militaire européenne. L’Etat se construit grâce à la guerre mais aussi se déconstruit par le conflit avec la ruine pendant l’Entre-deux-guerres des petits épargnants qui avaient investi en masse dans les emprunts de guerre par patriotisme. En effet, le gouvernement français a financé les 4 années de guerre grâce aux emprunts d’Etat. Néanmoins, les dévaluations nombreuses et successives vont faire perdre toute valeur aux emprunts de guerre. Bref, la « Grande guerre » de 1914-1918 est une gigantesque victoire endeuillée pour la France qui, finalement, sera le prélude de la Seconde guerre mondiale. Quant aux sources, Nicolas Beaupré rappelle fort à propos que 90% des acteurs de la guerre sont alphabétisés. Par conséquent, la correspondance est un formidable gisement documentaire pour l’historien. De plus, avec le conflit de masse se développe une culture de masse par les objets de guerre manufacturés et fabriqués (artisanat de guerre des soldats avec les obus ouvragés, etc..).

Grâce au thème de « La guerre », les éditions Belin ont pu mettre en avant 3 de leurs auteurs : Michel Le Roux, Michel Biard et Nicolas Beaupré (sans oublier Joël Cornette animant la table ronde et directeur de cette « Histoire de France en 13 volumes). Ce débat a eu l’immense mérite de démontrer auprès de l’imposant auditoire de l’amphi 1 que la guerre était un thème transversal touchant toutes les époques historiques. De plus, la guerre n’est plus une simple succession de dates et de batailles (1515, Marignan) mais une formidable moyen d’introspection de la société française brutalisée en profondeur par les invasions successives sans oublier les différentes guerres civiles et extérieures menées au nom de la France et de la République (guerres coloniales).

Les Clionautes – Jean-François Bérel