Guerres civiles et rébellions.

Cette table ronde, a réuni différents spécialistes des guerres civiles: Nicolas Barreyre, maitre de conférences à l’EHESS, Jean-François Berdah, maitre de conférences à l’université de Toulouse – Le Mirail, Raphaëlle Branche, maitre de conférences à l’université de Paris I et Jacques Portes, professeur émérite de l’université de Paris 8 – St Denis. Lors de guerres civiles, le gouvernement au pouvoir tend à catégoriser les rebelles. Qu’en est-il au sein des quatre espaces étudiés (Etats-Unis, Canada, Espagne, Algérie/France) ?

La guerre de Sécession (Nicolas Barreyre)
La figure du rebelle, pour le Nord, est « Johnny Rebel », le soldat sudiste qui défend bravement le Sud alors que « Billy Yank » représente le Nord. Mais, ce n’est qu’une reconstitution. Au départ, Johnny Rebel est une insulte des soldats nordistes pour railler les soldats sudistes qui manquent de matériels. Pour les Nordistes, ce n’est pas une guerre d’indépendance mais une rébellion devenue une sécession et c’est pourquoi le Nord essaie de ne pas rendre légitime cette rébellion, surtout de la part de la Grande-Bretagne. Cependant, cette sécession est voulue par une instance élue qui a voté cette sortie des USA, créant ainsi un problème politique. Ce personnage, Johnny Rebel, est une invention d’après-guerre, faisant suite à une guerre des mots. Pour les Sudistes, il y a une réinvention du Sud après-guerre, où la volonté de lutter pour l’esclavage disparait et la bravoure est mise en exergue. La réalité n’est pas montrée, notamment celle de la diversité des Suds.
En 1913, le président Wilson célèbre les cinquante ans de Gettysburg mais en fait une réécriture car il montre la bravoure et le courage des soldats blancs nordistes et sudistes mais laisse totalement de côté les soldats noirs. Cette réconciliation masque l’instauration de la ségrégation à l’échelle fédérale.

Les métis de la Rivière Rouge au Canada en 1885 (Jacques Portes)
Suite à la guerre de Sécession américaine, les Canadiens forment une Confédération en 1868 afin de ne pas être annexés par les Américains. Un « mode de vie » canadien se construit dans un comté composé de métis (union d’Indiens et de Blancs francophones). Avec la construction du chemin de fer ralliant l’Est à l’Ouest canadien, dans les années 1870, des rébellions éclatent contre la Confédération. Les meneurs sont condamnés pour haute trahison et les conséquences sont démographiques (la population métisse diminue fortement) et médiatiques car au Québec, Louis Riel est repris comme un exemple de lutte contre l’oppression britannique, sans pour autant avoir une identité francophone importante.

La guerre d’Espagne (Jean-François Berdah)
Le soulèvement débute le 17 juillet 1936 au Maroc puis se transforme en coup d’Etat les 18 et 19 juillet. Ce soulèvement interne se fait contre un gouvernement républicain légitime qui caractérise les « Africanistes », les chefs de l’armée en Afrique du Nord de rebelles. Franco, après son succès, revisite l’histoire en montrant que le gouvernement en place était une imposture majeure de l’histoire espagnole et qu’il a lutté contre un gouvernement « bolchévique » pour des raisons morales et politiques.

La guerre d’Algérie (Raphaëlle Branche)
Le vocabulaire utilisé par l’Etat français est le même en 1954 qu’au XIXe siècle : les autorités françaises utilisent les termes de contestations, de révoltes, de rebelles. Mais, fait important : l’Etat français ne reconnaît pas une guerre mais des hors-la-loi, des criminels qui peuvent être internés dans des camps en rapport avec le droit commun. L’armée, en Algérie, prend le relais de la justice civile (cf. études de Syvlie Thénaut sur la justice en 1957). Ainsi, les Algériens ne sont pas des prisonniers de guerre, ce qui montre qu’il y a un malaise dans le vocabulaire pour les caractériser, tout comme pour les Français qui ne sont pas des prisonniers du FLN mais des disparus. Ce n’est qu’avec les accords d’Evian que le terme de « guerre » est enfin utilisé. Le FLN, par contre, emploie un vocabulaire qui contribue à l’élaboration d’une identité algérienne. De plus, il construit une justice, s’occupe des mariages, des héritages comme un proto-Etat. La guerre d’Algérie, qui n’était qu’une rébellion au début, s’est peu à peu transformée en une véritable guerre d’indépendance.

Les historiens, lors de cette table ronde, ont pu exposer les similitudes et les différences rencontrées sur ces territoires exposés à des guerres civiles aux XIXe et XXe siècles. Les dernières questions posées lors du débat avec le public ont porté sur les prisonniers, les mots utilisés ou encore les révoltes d’esclaves.

Aurélie Musitelli, professeur au collège Gambetta à Arras.