« L’ombre de Dieu sur terre », réfléchit sur la place du Califat dans l’Islam. Cette conférence inaugurale de l’édition a eu lieu à distance, depuis New-York, Manhattan. Une première pour les RVH de Blois… Souleymane Bachir Diagne est un philosophe sénégalais, professeur à la Columbia University de New-York, ancien élève à l’Ecole Normale Supérieure de J. Derrida et L. Althusser. En 2004, un dossier du Nouvel Observateur le retient dans sa sélection des « 25 grands penseurs du monde entier ». En 2007 il figure également parmi « les 100 personnalités qui font l’Afrique » , selon Jeune Afrique.

Mieux comprendre le califat

New-York a été à l’épicentre de la pandémie aux Etats-Unis. Néanmoins, le gouverneur Cuomo a su parler au peuple et lui inspirer confiance. SBD nous propose une réflexion sur le califat en Islam, dans le contexte du procès des attentats de 2015 à Paris.

La fin du califat ottoman…

Parmi les traités qui sanctionnent les vaincus de la Première guerre mondiale, celui de Sèvres en 1920 prévoit le dépeçage de l’empire ottoman. Or ce traité n’est pas signé par la jeune république turque, qui en conteste les tracés en faveur des minorités grecque et arménienne. Le traité de Lausanne de 1923 consacre la création d’une république turque ethniquement homogène et le califat ottoman est aboli par l’Assemblée nationale turque en 1924. Comme le califat est alors une institution religieuse consubstancielle à l’islam, le message envoyé aux musulmans était que le califat n’était plus la meilleure solution politique pour rénover la Turquie. 

… qui inquiète la forte minorité musulmane des Indes britanniques

La création d’un « Mouvement califat » dans les Indes répondait à l’inquiétude des musulmans indiens face aux élites hindoues qui dominaient le parti du Congrès. Gandhi avait soutenu le mouvement, y voyant une occasion de construire un nationalisme indien contre le colonialisme britannique. Mais les musulmans indiens s’inquiétaient surtout de la dislocation de l’empire Ottoman, seule grande puissance musulmane. De fait, la position de plus en plus fragile du Calife après l’établissement de la jeune république turque se termine par l’abolition de son statut et son expulsion. 

C’est dans les années trente que l’idée d’un État séparé pour les musulmans commença à faire son chemin. Le politicien Muhammad Ali Jinnah, le futur fondateur du Pakistan, et le poète et philosophe Muhammad Iqbâl proposent le regroupement en un seul État des provinces du bassin de l’Indus. Un futur État « des purs », le Pakistan, portant à nouveau haut la bannière du « Panislamisme ». 

Mais il est temps d’opérer une bifurcation philosophique, en revenant à une idée chère aux musulmans : la nostalgie romantique d’un califat lié à un âge d’or (9e-13e s.)

Aux origines du califat

Les différents sultanats de l’histoire prêtaient allégeance au califat. Mais sans aucune unité véritable depuis le 3e calife.

Mais que dit vraiment le Coran de ce concept de califat ?

(SBD se réfère à la traduction française de Jacques Bercque.)

Adam, avant sa conception est qualifié par Dieu de « calife de Dieu sur terre », ce qui se traduit littéralement par « lieutenant de Dieu sur terre ». Il faut bien comprendre la différence qu’introduit le Coran avec le récit biblique. Là, la sagesse divine est questionnée par les anges qui ne la comprennent pas. Si le nouveau venu est lieutenant, c’est que Dieu lui a confié la liberté et la capacité de gouverner. Ne va-t-il pas créer par là désordre et violence ? Mais Dieu leur rappelle qu’il sait ce qu’il fait.

Ce mot de calife (lieutenant) s’applique également à David en tant que prophète. On trouve également une troisième occurrence dans le Coran : le mot s’applique à ceux qui ont bien agi.

Or, du califat comme système de gouvernement, il n’est nulle part question dans le Coran.

Les califes, successeurs du Prophète

Quand Abou Bakr est nommé en 632 successeur du prophète, les musulmans acceptent de lui prêter allégeance car il avait dirigé la prière du vivant du prophète. C’est ce geste qui infléchit la question de la légitimité de la succession centrale.

Durant son califat de 632 à 634, Abou Bakr mène des guerres contre les tribus  de Médine, ville où le prophète avait commencé sa reconquête. Ces musulmans de la 1ère heure pouvaient théologiquement avoir raison de ne pas considérer sa succession comme légitime. Or l’État musulman naissant se construit à la fois sur des légitimités religieuses (la règle de succession, la prière) et une légitimité fiscale le paiement de l’impôt « Zakat »). À terme, c’est son point de vue qui a prévalu : l’État considère l’impôt et la prière comme liées. 

Omar son successeur, ajouta à Calife le titre de Commandeur des Croyants. Pour ceux qui se sont proclamés chiites (= partisans d’Ali, le 4e successeur), le calife s’inscrit dans  la tradition néo-platonicienne. Au contraire, pour les sunnites, il a fallu organiser une affaire humaine et donc décider au gré des circonstances.

Ce sont ensuite les Omeyades de Damas qui détiennent le califat jusqu’en 750. Puis les Abassides de Bagdad jusqu’en 1258 et la destruction de la ville par les Mongols. Et enfin les Ottomans à Istanbul jusqu’en 1924 avec l’abolition du califat.

Ce qui rend donc l’État entité politique séculière et non sacrée ! Or c’est le 20e siècle qui fait une lecture de retour aux origines, alors qu’on vient de voir qu’aucune époque des origines ne connait d’État strictement religieux…

En fait, le califat suppose une double notion. Celui qui gouverne la communauté (Umma) exerce une fonction comparable au philosophe platonicien. Et il est également celui qui doit organiser les activités humaines. 

Comment renouveler la pensée politique de gouvernement ?

En 1925, le docteur de l’université Al Azhar Ali Abderraziq, penseur moderniste, considère que l’abolition du califat est l’occasion de réformer la pensée politique. Pour lui, la charia est donc une construction humaine par rapport au Coran.

Le poète Iqbâl, inspirateur du Pakistan, mort avant la partition de l’Inde en 1938 demandait que l’islam sorte de sa fossilisation depuis 1258. Pour lui, la fonction califale devait être transférée à une assemblée élue, transposant ainsi une tradition politique à la modernité de l’époque.

Quel type d’institutions aurait eu cet hypothétique État des musulmans ? Iqbâl s’engageait dans une voie moderniste : le consensus (ijmâ’) qui déciderait de l’application de la Loi musulmane serait non plus celui des oulémas comme au Moyen-Âge, mais celui des députés musulmans élus au Parlement : il prévoyait donc une sorte de démocratie parlementaire.

 

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