Conférence de Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l’université Panthéon-Sorbonne,Yves Trotignon, ex- agent de la DGSE consultant au journal le Monde.

Le djihadisme, sous sa forme moderne, est né dans les marges du conflit afghan dans els années 80. Rapidement exporté dans le monde arabe, où il a puisé ses racines intellectuelles, puis en Afrique , en Asie et en Europe, il est aujourd’hui une idéologie mondialisée, qui se nourrit d’incessants allers-retours entre le Nord et le Sud.
Le djihad peut être considère comme des trajectoires individuelles, un ensemble de circulation, la violence en mouvement.

I)Aux racines de l’idéologie

Le point de départ d e l’idéologie remonte à 1965/66 en Egypte, alors que l’échec des Frères musulmans entraine le passage à la violence e, ils décrètent un dirigeant musulman impie
Les frères musulmans parlent alors de communauté idéale et font enlever un ministre de Anouar Al Sadate.
1979 : attaque de la grande mosquée de la Mecque.
Années 80 : le djihad afghan ; des combattants arabes arrivent. Ce qui montrent que la solidarité religieuse est supérieure à la solidarité nationale et les populations aident r n’importe quel étranger combattant contre les soviétiques. Communauté d’intérêt avec l’Occident : l ennemi est le même.
Au milieu des années 80 la lutte contre les Occidentaux devient la priorité. En particulier quand les Soviétiques se retirent du pays. L’ennemi est alors américain.
Les Arabes imaginent donc de faire un émirat à L’est de l’Afghanistan. Ben Laden prend alors le parti de se soumettre au pouvoir local. Al Qaida ne peut survivre qu’avec un ancrage local « des sanctuaires » en ‘l’Afghanistan, Irak, une partie de l’Afrique.
L’agitation médiatique an faveur de la cause afghane à la fin des années 80 entraine des mouvements de départ: au Pakistan, création des bureaux qui fonctionnent comme des réseaux humanitaires qui mettent en lien l’ensemble des combattants : Invention en Afghanistan d’un djihadisme de mouvement
Apparition d’un phénomène de génération chez les combattants de toutes nationalités : sorte de grande Internationale générée par un vécu partagé : en ce sens ils sont modernes
Dans le Golfe, ils sont perçus comme des héros, souvent issus de grandes familles, ils ont combattu, vécu à la dure, sont sortis de leur confort pour combattre, cela ouvre la voie à d’autres jeunes combattants.
Ces djihadistes ont longtemps eu une image très positive dans le monde arabe.

II) L éclatement du mouvement avec la guerre du Golfe

Rupture nette entre pro-saoudiens et anti-saoudiens

Le s djihadistes retournent dans leurs pays d’origine ou sur d’autres zones de conflits comme la Bosnie
En Algérie ou Tunisie Ils viennent radicaliser le discours politique après le putsch de 1992 de l’armée algérienne ; Emergence d’une armée révolutionnaire, qui veut le Djihad sans reprendre le pouvoir : attentats au Caire en 1993 à Louxor et 1998
Ce sont en fait des vétérans qui cherchent des territoires pour défendre La cause : Bosnie, Pakistan, Yémen Tchétchénie …

La Bosnie est donc la première terre de djihad européen; elle sert de laboratoire.

III) La signification de l’attentat suicide

Hérité de l’histoire, l’attentat suicide n’a pas de consonance religieuse, c’est une technique de guerre pour déjouer un barrage, sauver l’honneur, gagner.
Aujourd’hui il incarne une perte symbolique comme’ attaque de l’ambassade irakienne en 1981 pour réagir à l attaque de l’Iran par l’Irak,
L’idée que le suicide est lié à une culture chiite, à une religion mortifère s’avère donc fausse. La pratique de l’’attentat suicide est rationnelle, sert souvent à déminer le terrain avant l’arrivée des forces d’assaut. Le processus est efficace mais n’a pas d’objectif militaire
Des groupes se forment ainsi à ces techniques.
Lorsque l’Intifada commence, en 1987 le Hamas devient populaire. Mais mal vus ces combattants sont envoyés au sud Liban, dans des endroits reculés ou le Hezbollah les aide et les forme : par exemple utilisation de la technique de » la veste explosive ». Le Hamas justifie les attentats contre les civils, en expliquant que ce sont des soldats potentiels, il s’agit pour eux d’une justification politique. Ainsi la vague d’attentats en 1996 en Israël s’avère une tentative pour bloquer processus d’Oslo que ne voulait pas le Hamas

L’attentat suicide est aussi une mise en scène de la mort, qui peut être une source d’inspiration pour certains, et a en particulier un véritable écho dans les prisons.
Elle s ‘inscrit aussi dans la lignée de cette violence extrême qui caractérise le 20eme siècle de 1914 à aujourd’hui. En Europe » tuer des civils » se justifie car payant t leurs impôts, donc entretenant l’armée. Ils sont considérés comme des ennemis avérés.
Le suicide exprime aussi leur détermination.

IV) Afghanistan et Etat islamique

Apres 40 ans de guerre civile, la société est en état de crise révolutionnaire. Les talibans qui étaient dans la sphère du religieux, se sont trouvés face à une contestation radicale proche du salafisme ;
La stratégie des Talibans est nationale alors que celle des Salafistes est internationale ou transnationale.
Les attentats anti-chiites se multiplient et illustrent une sorte de logique génocidaire, qui se développe aussi au Pakistan .
On peut donc se demander comment EL a un tel écho en Europe alors qu’il n y a pas de chiites en Europe :
D’une part, l’anti-chiisme apporte une sorte de pureté rhétorique et politique et d’autre part, EL possède un territoire. Ce contrôle du territoire apparait comme un Etat rêvé, se situant sur la moitié de la Syrie et de l’Irak. C’est un projet qui correspond à une quête de sens. Et Si ce territoire disparait, que restera-t-il ?

3 Situations différentes :

  • En Irak, Mossoul est en train de tomber, ce qui aggrave la catastrophe sunnite : réfugiés, marginalisés..
  • En Egypte : possibilité de réintégration ?
  • En Europe : pas besoin de El pour poursuivre le combat il existe déjà des cellules, des réseaux .L a chute de L’Etat
  • islamique produira un effet probablement psychologiquement « positif » sur les jeunes car cela contribuera à la « légende dorée » du djihadisme .

La défaite va construire un chapitre de plus dans cette légende dorée du Djihad qui est une longue suite de défaites. Les Djihadistes se regardent « nous combattre » et « nous regardent communiquer » sur cette guerre.
Cela nourrit leur propagande « plus on gagne plus on perd » et alimente sans doute la radicalisation.