À l’occasion de la publication de l’ouvrage : Colonisations. Notre histoire  (Le Seuil), réunissant les meilleurs chercheurs spécialistes des questions coloniales en France et dans le monde, l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Singaravélou, entend rendre compte de manière accessible du profond renouveau de la recherche en histoire, dans les sciences humaines et les arts ces trente dernières années.

Emmanuel Laurentin, producteur à France-Culture du « Temps du débat » a réuni pour une table ronde quelques-uns des auteurs de l’ouvrage autour de Pierre Singaravélou.

PS : La colonisation est l’un des faits marquants des recherches pluri-disciplinaires. L’origine peut être celle de Edward Saïd ; les historiens n’ayant pas le monopole de la question. 

Nadia Yala Kisukidi : Le « notre histoire » nous interpelle comme un nous commun. 

EL : Comment la France s’est-elle empêtrée dans une « décolonisation » ? 

Guillaume Blanc : De Gaulle emploie le premier le mot et le décide mais ce sont ses prédécesseurs qui ont décider de coloniser. Les ferments étaient là depuis la premi!re carte michelin en 1926

EL : Que signifie cette histoire transmise d’un carte avec du rose partout dans les écoles ? 

Arthur Asseraf : Dépasser un cliché, celui de la France « mondiale » avec des régions qui n’ont pas vu les Français, mais aussi avec des colonisations très diverses. 

 

Patrick Boucheron : Romain Bertrand a écrit « L’histoire à parts égales », qui remet en cause nombre de nos représentations. Par ailleurs, dès le XVe siècle, la France royale rate sa colonisation méditerranéenne et la laisse aux Ibériques. 

EL : Sur l’Algérie, par exemple, on a un code de l’indigénat qui en fait est un régime juridique.  

Sylvie Thénault : L’indigénat, c’est une vision du monde hiérarchisé en races. Un socle commun avec des adaptations locales. Ce qui est alors sanctionné, ce sont des infractions à la réglementation. Cela se traduit par de confréries en Algérie, ou des réserves kanakes en Nouvelle-Calédonie. 

Guillaume Calafat : Pour nous, dans le cas de l’espace méditerranéen, il est difficile d’imaginer du XVIe au XVIIIe un lent mouvement qui irait vers la colonisation en partant d’une parité empire ottoman / Europe du sud

 

EL : Dans ce livre, il y aussi les approches culturelles qui comptent. 

Malika Rahal : Avec le chant et la danse, on entrevoit les critères communs des indépendances. Quelles que soient les modalités socio-économiques que prennent ces indépendances, ce sont des invariants pour ce grand moment de fête. Le camion avec lequel on se déplace et sur lequel on se montre est un instrument et un symbole du « mouvement » indépendantiste.

PS : Oui, ce sont toutes ces traces du passé colonial, comme avec Orangina en Algérie, ou les sapeurs et ambianceurs du Congo ; toutes pratiques culturelles qui sont des formes de résistance et de transmission des mémoires. Le coton indien a circulé dans l’ensemble de l’espace culturel européenBien qu’elle n’ait pas eu de colonies, la Suisse a profité du colonialisme. C’est ce que montre l’histoire des indiennes de coton imprimé : https://www.swissinfo.ch/fre/societe/indiennes_le-passé-nauséabond-de-l-industrie-textile-suisse/45862606. sous la forme des « indiennes ». 

Krystel Gualdé :  S’il est vrai qu’il y a circulation de biens et de personnes, il y a aussi des circulations de modes, de regard sur l’autre. Les « indiennes » fascinent les Européens. Elles sont tellement populaires qu’on les interdit en France sous Louis XIV pour protéger les soies et laines. Ce qui est troublant c’est de voir l’engouement de ces mêmes « indiennes » pour les monarques noirs du continent qui vont les acheter contre des esclaves pour la traite…

EL : Comment les acteurs colonisés détournent-ils l’oppression coloniale ? 

AA : Un notable sénégalais au XIXe se fait payer son hadj par la France qui finance son budget de recherche. 

ST : Il faut revenir au coeur de la colonisation, soit la domination (raciste)  avec des règles extrêmement codifiées et sévères. Donc, effectivement il y a des détournements, mais ils restent marginaux. 

EL : Justement, le mot lui-même de colonisation ne vous a-t-il pas posé question ?

GB : Le livre est organisé en 5 parties avec pour chacune une introduction et des textes qui essaient de restituer les horizons des possibles. Par exemple, les institutions n’étaient pas figées dans une « grande Indochine » ou une fédération ouest-africaine.  Avec l’organisation de l’ouvrage nous montrons la domination – mais aussi parce que nous voulions embrasser toutes les possibilités – la possibilité de s’en affranchir partiellement. 

NYK : Concernant le mot « décolonisation » il ya eu débat. Non pas un désaccord sur le sens à donner au mot, mais sur la charge de l’injustice de la colonisation. 

MR : Pour moi, le mot recoupe la dépossession foncière et l’installation d’un droit inégal. 

KG : À St Domingue – et donc Haïti – ce fut une indépendance gagnée par le combat mais occultée par la geste napoléonienne. 

GC : Travaillant sur une période pré-coloniale, je m‘intéresse aux interdépendances. Il y a un temps très long entre le drapeau planté et 2 à 3 siècles plus tard la revendication du fait colonial. 

PB : Je fais une lecture admirative et reconnaissante pour le travail accompli et la valeur d’usages pédagogiques, sociaux, militants. Ainsi les colonisations au pluriel se confrontent à « notre » histoire, contre la foule des  « enchanteurs » trop présents dans les médias face aux tristes (nous). C’est à la fois affligeant, mais aussi encourageant ! Ainsi, Columbia University nous a demandé une traduction. Et quand nous étions jeunes, l’histoire de la France se séparait volontiers de l’histoire coloniale… 

PS : il y a une dimension de choses peu connues, qui auraient pu donner d’autres possibles. L’empire français est vu de façon téléologique, de  Jacques Cartier à l’exposition coloniale de 1931. Or le présent détermine la manière dont le passé a eu lieu. Pourquoi Banania (invention parisienne) et pas Orangina ? Pourquoi l’État-nation et pas des fédérations ? 

AA : C’est pour cela que nous sommes allés chercher des collègues présents dans les universités des pays indépendants. Cela n’était pas de la décoration ; il fallait un décentrement du regard. 

ST : En Nouvelle-Calédonie ? On sait qu’en Amérique latine l’indépendance n’a pas été synonyme de décolonisation. Ce qui est en train d’être tenté, c’est une décolonisation sans indépendance avec la reconnaissance des droits culturels kanaks. Si je porte un regard d’historienne sur les tentatives gouvernementales d’apaisement, je rappelle que la violence subie par les habitants ne peut s’en contenter. 

EL : Comment la décolonisation et ses conséquences sont-elles reçues en Europe ?

MR : Nous avons affaire à une vague impressionnante de décolonisation en Afrique de l’Ouest et du Nord, vague qui apparait en Europe comme un vaguelette. 

KG : La question de la restitution d’objets occulte tout ce que nous avons sous les yeux dans les musées. Toutes nos peintures qui ne parlent pourtant que de cette histoire que nous ne voulons pas voir ! 

GB : Notre fonctionnement à rebours permet de comprendre le pourquoi du mécontentement profond au Niger, quand Areva crée le chômage pour relever les cours, par exemple. On doit comprendre et entendre les autes sociétés. 

NYK : L’une des ruptures est la question des continuités au delà de l’indépendance qui ne pouvait être qu’une étape vers la décolonisation. 

ST : La question de l’émigration permet de comprendre les continuités. 

Questions du public 

Q1 : Les DOM-TOM Les départements et territoires d’Outre-Mer sont devenus depuis 2003 des régions et collectivités d’Outre-Mer (DROM-COM).   sont ils décolonisés ? 

PS : actuellement ils sont intégrés dans les institutions françaises mais travaillés par des questions comme la propriété des terres, les réparations, les flux commerciaux. Ces propriétés sont celles de 1% possédants qui ne sont pas seulement des blancs et il y a aussi des blancs pauvres. 

Q2 : Des désaccords ? 

PS : nous avons réuni un « casting » très international. Pas de désaccords mais des points de vue s’éclairant mutuellement. 

Q3 : Aimé Césaire : « toute colonisation est chosification ». Les statues devraient être détruites ? En Martinique nous exigeons une écriture juste de l’hsitoire. Il n’y a pas eu de bonne colonisaiton.

 

Q4 : Après ce livre, il y a eu un avant et y aura-t-il un après ? 

GB : C’est une histoire éminemment politique. Comment sera-t-elle reçue ? 

(NdR : Pour ne parler que d’ouvrages récents – « L’histoire mondiale de la France » ou « Une histoire du monde au XIXe siècle » ou encore à « L’histoire à part égales », on est dans une clarification de la recherche face aux récits nationaux médiatisés.)